"Mon nom est clitoris" : quête du plaisir et sexualité féminine à coeur ouvert

Virginité, masturbation, vaginisme, plaisir, orgasme et consentement ... De leurs premières fois à celles qui ont suivi, des jeunes femmes se racontent, face caméra. Des confidences intimes qui soulignent combien il est difficile, encore au XXIe siècle, de construire sa sexualité et de s'y épanouir quand on est née fille. 
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Mon nom est clitoris, un film de Lisa Belluart Monet et Daphnée Leblond, nous plonge dans les confidences d'une dizaine de jeunes femmes sur leur sexualité et les injonctions qu'elles ont dû affronter. 
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Le film démarre sur une séance de dessin. Les deux réalisatrices, Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet, demandent aux jeunes femmes de représenter tout simplement leur clitoris. 
 
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Dessin réalisé par l'une des intervenantes du film.
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Pas si simple, justement. On pourrait avoir le sentiment qu'aujourd'hui, en 2020, tout a été dit ou presque sur le clitoris, du moins que tout le monde sait à quoi ça ressemble de près ou de loin. Campagnes d'affichage, etc ... Il est même, enfin, entré dans les livres scolaires. Et bien non, pas de printemps du clito en vue, et nous voilà fort dépourvu.e.s.

Défilent à l'image différentes illustrations ou définitions du clitoris. S'il fallait donner une note à la manière d'un.e enseignant.e justement, on écrirait sans doute au feutre rouge "peu satisfaisant" ou "encore des efforts à faire" au bas de la page. Comme le démontre la réaction de stupéfaction, pour ne pas dire sidération, d'une des intervenantes lorsqu'on lui annonce qu'un clitoris peut mesurer jusqu'à 11 cm, soit la taille d'un pénis de taille moyenne. "QUOI ?" Ou quand une autre avoue tout simplement que ce sujet n'a jamais été abordé durant sa scolarité. 

"Cela apparaît très clairement quand on observe lʼhistoire de lʼorgane et de ses représentations. Le clitoris est connu depuis la nuit des temps. Dès le XVIe siècle, des anatomistes italiens ont décrit les premières traces de ses parties internes. Pourtant, à un moment, il a disparu ! Un vrai obscurantisme. Et la censure persiste… On est loin aujourdʼhui de le trouver dans tous les manuels scolaires. La médecine féminine est trop peu développée, donc la connaissance du corps féminin aussi. Il y a une censure morale et politique", explique Daphné Leblond sur le site de Iota production (qui a produit le film).

Marie, Gwendoline, Jessyca, Alice, Océane, Maja et les autres... Elles ont à peine passé la vingtaine, elles sont douze à avoir accepté de se livrer, en toute simplicité, à Lisa Belluart Monet et Daphné Leblond. Certaines sont des amies, des connaissances, d'autres ont juste répondu oui. Pas de mise en scène, un décor commun : chacune se confie face caméra depuis son lit, dans sa chambre. "On nʼimaginait pas dénoncer un tabou tout en lui laissant une part de son pouvoir. Dissimuler son visage, cʼest encore en partie céder au tabou ; le montrer, cʼest combattre la censure de façon très concrète, précise de son côté Lisa Billuart Monet. Faire les interviews sur le lit, cela nous semblait cohérent. Comme cʼest un témoignage difficile à livrer, il fallait un endroit où les filles soient en sécurité, où elles se sentent chez elles, pour rendre leur parole plus fluide et plus naturelle".  Les réalisatrices insistent sur leur choix de filmer des filles de leur âge : "Nous ne voulions pas quʼelles aient trop de recul sur leur sexualité, ou un chemin de réflexion très long. Chez les trentenaires, il y a souvent un effet de bilan."

Si le film démarre sur le sujet, central s'il en est, du clitoris, il va évidemment bien au-delà et suit un parcours chronologique. Les premières sensations d'abord. Comment petites filles ont-elles compris ce qu'il se passait "en bas" comme certaines le disent ? Le frottement des draps, lors des cours de gym à l'école sur une barre assymétrique, sous le jet du pommeau de douche ou pour faire comme dans les films : "A force de voir toutes ces femmes le faire au cinéma, je me suis dit qu'il fallait que j'essaye". Et le plus souvent, les efforts finissent par payer. Le premier plaisir, le premier orgasme. "Je ne m'étais jamais masturbée avant. J'ai eu des rapports sexuels avec mon copain. Ce n'est qu'après que j'ai essayé", avoue l'une des jeunes femmes. Certaines expriment leur gêne : "Je trouvais ça à la fois sale et excitant, et du coup j'en parlais pas, j'avais honte". Une autre raconte comment, lors d'un cours présenté comme "d'éducation sexuelle", dans un institut catholique, elle demande à la religieuse pourquoi seule la masturbation masculine est abordée et si les filles le faisaient aussi ou non. L'enseignante esquivera la réponse. 
 
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Image extraite d'un livret scolaire que l'on peut voir dans le film "Mon nom est clitoris" de Lisa Bolluart Monet et Daphné Leblond. (Sortie le 17 juin 2020)
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"Ce qui est dingue, cʼest quʼon commence par interdire la masturbation aux femmes, on les fait se sentir sales, immorales, et puis après on leur reproche de ne pas le faire, de ne pas connaître leur propre corps ! Sans transition. Cʼest la double peine. Ces échecs peuvent déjà être humiliants, mais si en plus on se fait traiter dʼincapable, de prude, de névrosée...", commente Daphnée Leblond.​

Premières fois, point G et injonctions

Après l'exploration et les premières sensations en solo viennent ensuite les premières fois avec un ou une partenaire… L'une des jeunes filles explique que, pour elle, la première fois était avec une fille, et que dès lors, elle ne s'estimait "plus vierge". Une autre s'insurge : "On ne perd rien ! Pourquoi dit-on 'perdre sa virginité', il faut bannir ce mot, il ne veut rien dire !" "A peine arrivée dans cette période sexuelle, on nous demande déjà d'être performante", regrette encore une autre, ajoutant un peu plus tard que ce qui l'a longtemps freinée, était "d'entendre dire que le plaisir féminin c'est dans la tête". 

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Performance ? Plaisir ? Jouir à tous les coups ? Orgasme vaginal ou clitoridien ? Pénétration obligatoire ? Même en cette première moitié de XXIe siècle, les injonctions ont la peau dure.

Pour Lisa Billuart Monet, "On passe de la 'vierge' à la 'pute' sans transition, comme sʼil nʼy avait que deux possibilités. Maja, lʼune des jeunes filles dʼorigine maghrébine, parle du racisme en disant quʼon la voit soit comme une femme soumise qui a 16 grands frères, séquestrée par son papa, soit comme la 'beurette' des films porno. Cet exemple est très fort, et cette injonction est encore plus présente pour les personnes racisées".

Outre les séquences d'interview brutes, le film est entrecoupé de séquences parodiques ou plus pédagogiques. On sourit lorsqu'un reportage télé sur la victoire des Bleus en 1998 devient une ode au clitoris, l'organe devient lui-même transformé en trophée doré, ou encore lorsqu'une émission scientifique destinée aux plus jeunes se retrouve détournée. On y voit l'un des présentateurs, lumière frontale sur la tête déambulant dans les méandres d'une grotte, les pieds dans l'eau, comme s'il partait à la recherche du fameux point G. 

"La zone G, cʼest la zone de contact entre les parois du vagin et la partie interne du clitoris. Or il y a encore des articles scientifiques sur internet qui essayent de démontrer que la zone G nʼexiste pas, explique Daphné Leblon. Dans le cinéma, on nʼaime pas trop la pédagogie (...) On a fait un film militant, on voulait faire plus que pointer du doigt le problème. Il y a des choses à dire, pourquoi sʼen priver ?"

Eduquer, militer et surtout dire les mots, comme l'indique si justement le titre du film. "Ne pas prononcer un mot, cʼest invisibiliser la chose quʼil désigne. Dʼautant quʼaujourdʼhui , les mots-clés que lʼon tape dans une barre de recherche, comme on le montre dans le film , renforcent encore le poids des mots ! Si on pense à toutes celles et ceux qui trouvent notre film en tapant 'clitoris' dans leur navigateur, cʼest une petite revanche un peu jouissive !" 

Sortie en France le 17 juin 2020, le 30 octobre en Suisse et le 20 novembre en Belgique.
Les deux réalisatrices ont reçu le Prix Magritte du Meilleur documentaire.