Fil d'Ariane
Son titre Hijabi (Mon hijab) a créé le buzz il y a trois ans avec des millions de vues sur Internet. Mais Mona Haydar en a assez d'être réduite à cette unique image, celle d'une rappeuse voilée. Cette artiste américano-syrienne aspire à être reconnue pour sa musique, et pas seulement comme une militante. Si ses textes parlent de féminisme et d'antiracisme, ils prônent aussi l'amour de soi, de sa culture, et de sa religion. Rencontre.
"On va commencer une révolution ce soir !" lance Mona Haydar. Ainsi commence-t-elle son premier concert en France sous les cris et applaudissements de quelques centaines de jeunes femmes, le 27 avril dernier au festival Lallab à Paris. Artiste autoproduite, elle a bâti sa renommée sur internet. Son message, et ses chansons, ont déjà séduit un public dont elle se montre très proche en échangeant avec lui entre chaque chanson, ou en faisant monter des fans sur scène pour l’accompagner.
Mona Haydar, la trentaine, est une rappeuse américaine d’origine syrienne. Son mini album sorti l’an dernier est intitulé Barbarian. Un titre qui représente bien la dualité et la problématique liée au fait d’être arabe et musulmane aux Etats-Unis aujourd’hui. Mais c’est son premier morceau Hijabi ('Mon hijab'), qui a littéralement créé le buzz en 2017, avec plus de 5 millions de vues à l'époque. Le magazine musical Billboard l’a classé parmi les 20 meilleures chansons engagées de 2017, puis dans le top 25 des hymnes féministes.
Femme, arabe, musulmane, voilée, féministe, mère, aumônier, militante intersectionnelle, poète, et rappeuse, Mona Haydar est tout cela à la fois. Pour elle, ces deux dernières sont celles qui comptent le plus : "Tout ce dont les médias veulent parler, c‘est mon hijab, mon féminisme, et on ne me parle quasiment jamais de ma musique, mon art. À leurs yeux, je suis toujours une activiste politique, et jamais juste une artiste. Mais, je suis une rappeuse en fait. Je veux pouvoir faire mon métier sans avoir à représenter qui que ce soit. Je ne peux jamais être moi-même," regrette-elle.
Née en 1988 en Arabie Saoudite, elle grandit à Flint, dans le Michigan, que sa famille a rejoint après avoir quitté Damas, en Syrie. À l’époque où ses parents s’installent dans cette petite ville, il n’y a que deux autres familles arabes. Pour Mona, cette situation a été décisive : "Cela a eu un gros impact sur ma vie, de grandir dans une ville entourée de noirs, de blancs, et peu d’arabes. Ce n’était pas forcément normal pour la majorité blanche d’avoir des voisins musulmans à cette époque. Mais j’ai eu la chance d’arriver longtemps après mes sœurs aînées. Elles ont dû subir toutes les horreurs. J’ai eu le privilège d’être préservée de ça. Quand ma grande sœur allait à l’école, elle était la seule arabe, la seule à porter le hijab !", raconte-t-elle.
C’est dans ce contexte, que la jeune Mona Haydar commence à écrire de la poésie. Elle n’est qu’une enfant qui vient d’apprendre à écrire. "C’était naturel pour moi, ça faisait partie de ma manière de penser. J’ai même été publiée dans le journal de ma ville, à 10 ans." Une fierté pour elle qui la pousse à continuer à s’exprimer par le biais de la poésie. À l’adolescence, Mona Haydar commence à participer à des scènes ouvertes, dans des cafés, prend de l’assurance et apprend le métier auprès d’autres auteurs. À l’université, poussée par une de ses professeures, elle commence à se produire partout dans le pays, tout en préparant un master en éthique chrétienne.
Le hip-hop, c’est une culture, une philosophie.
Mona Haydar
Le hip-hop, culture musicale très répandue dans sa ville d’origine, a toujours fait partie de vie de la jeune femme. Elle se souvient : "J’ai grandi en écoutant du hip-hop, mes sœurs écoutaient du hip-hop. C’est la langue officielle de Flint." Une musique qui a façonné sa façon d’appréhender le monde : "Le hip-hop, c’est la vie, c’est une culture, une philosophie. Pour moi, le hip-hop sert à construire des ponts entre les gens, il émancipe, apporte la paix. Mais il sert aussi à dire la vérité aux dominants, parce que nous sommes le pouvoir, et qu’on peut changer le monde avec nos voix, si on les utilise comme il faut."
Le rap est si présent dans sa vie qu’elle en plaisante souvent avec ses camarades d'études : "Un jour je ferais du rap, vous allez voir !", sans se prendre au sérieux. À force de blaguer, elle se dit un jour : "Et pourquoi pas, après tout ?"
En 2015, elle contacte un artiste de la scène locale, Tunde Olaniran, pour l’aider à concrétiser son idée. "De par ses origines diverses, son histoire est complexe et je sentais qu’il pouvait comprendre ma démarche. Il a accepté tout de suite, même s’il pensait que je voulais faire un album de slam. Il a été surpris de réaliser que c’était vraiment du hip-hop que je voulais faire. Il m’a aidée à me sentir à l’aise avec ma propre voix, et a notamment fait la production musicale pour le morceau ‘Hijabi’."
Sortir ce titre était une priorité pour la jeune femme, pour faire la transition entre la poésie et le rap. "Le rap, c’est littéralement du rythme et de la poésie. C’était une progression naturelle, même si elle a été difficile, puisque j'ai grandi avec l’idée que la musique était ‘haram’ (interdite)." Au moment de jouer ce morceau sur scène, devant une assemblée majoritairement féminine et musulmane, la rappeuse prévient : "Cette chanson ne parle pas de Hijab, mais de liberté." Le public exulte avant de reprendre en chœur la chanson en entier, sans oublier la chorégraphie.
« So even if you hate it Donc même si vous le détestez
I still wrap my hijab J’enroule toujours mon hijab
Wrap my hijab » J’enroule mon hijab
Le bonheur, c’est une déclaration politique. Votre joie, c’est de la résistance face à l’oppresseur.
Mona Haydar, rappeuse
La vidéo du morceau Hijabi est rapidement devenue virale. On y voit Mona Haydar, enceinte de 8 mois, entourée de nombreuses femmes représentant la diversité. En plus du message prônant la liberté de porter son hijab, Mona Haydar, dans cette vidéo, met en scène la joie de vivre des femmes musulmanes, qu’elle considère comme une arme politique de résistance : "Le bonheur, c’est une déclaration politique. Votre joie, c’est de la résistance face à l’oppresseur qui vous dit que vous devez vous sentir abattue, que vous devez vous isoler. Ils ne peuvent pas nous prendre notre bonheur. Ils peuvent prendre notre liberté, ils peuvent nous enfermer, mais on peut encore être heureux. C’est la plus grande arme contre l’injustice, contre l’oppression. C’est la liberté pure," déclare-t-elle fièrement.
Un choix musical qui n’est pas incompatible, selon elle, avec ses idées féministes, bien au contraire. Mona Haydar a une approche intersectionnelle de ses combats. Elle milite aussi activement pour les droits sociaux des minorités. Elle a notamment pris position en faveur des Améridiens de la réserve Sioux à Standing Rock, qui protestaient contre la construction d’un oléoduc sur leurs terres, en allant les rejoindre en 2016. Une prise de conscience sur la préservation de notre planète qui n’est pas étrangère à sa foi, puisque pour elle, l’écologie, le rejet de la consommation de masse, font partie intégrante de sa spiritualité musulmane.
À certains médias lui reprochant de faire du rap alors qu’elle est féministe, elle réaffirme son amour pour le hip-hop, et en profite pour les égratigner : "Certains ne supportent pas l’idée qu’un mouvement créé par la culture afro-américaine ne soit pas vil, ou sexiste. Si tout ce que vous voyez dans le hip-hop, c’est du sexisme, c’est que vous n’y avez assez prêté attention. À ceux qui ne veulent y voir que des choses dégradantes, je dis qu’ils sont racistes. Le sexisme existe dans tous les domaines. Considérer un art, une culture comme primitive, sulbalterne, c’est juste raciste. Point final," affirme-t-elle.
Il n’y a pas un type de beauté supérieur à un autre. J’ai eu besoin de décoloniser ce que je pensais être beau.
Mona Haydar
Cet ethnocentrisme que l’artiste engagée dénonce est au cœur de son deuxième single Barbarian. L’appropriation culturelle, le mépris des traditions orientales, et le monopole des normes de beauté occidentales sont des aspects évoqués par la rappeuse : "Je parle de ceux qui considèrent la culture arabe, ou n’importe quelle culture indigène, non blanche, comme moins glorieuse, et qui voient ces peuples comme sales, barbares, sauvages, non civilisés. C’est vraiment intrigant pour moi. À une époque, en Europe, ils avaient littéralement des maladies parce qu’ils ne se lavaient pas. Ils devaient manger avec des couverts parce que leurs mains étaient trop sales. Pourtant, encore aujourd’hui, c’est ce qui vient des cultures indigènes qui est considéré comme sale, barbare. Les valeurs sont inversées. Quand on n’est pas conscient de ça, on croit à ces conneries. Que nos cultures ne valent rien. On intériorise ces valeurs racistes. On croit à ces mensonges," déplore-t-elle.
Mona Haydar vit depuis six mois au Maroc, à Marrakech avec sa famille. Une situation qu’elle n’avait pas prévue, puisqu’ils s’y sont rendus pour de simples vacances chez des proches, au départ. Vivant en région amazigh, ou berbère en français, elle rejette cette traduction : "Ce mot vient de ‘barbare’. Les gens ne devraient plus l’utiliser. On a besoin de décoloniser notre langage." Elle incite les femmes issues des minorités à se libérer des stigmates créés par ce mot : "Historiquement, les barbares se sont vu coller tous les stéréotypes négatifs. On doit arrêter de les laisser nous définir. Il n’y a pas un type de beauté supérieur à un autre. J’ai eu besoin de décoloniser ce que je pensais être beau, on m’avait appris que certaines de mes particularités ne l’étaient pas."
Elle explique : "Dans la culture syrienne, nous avons l’expression française ‘petite bouche’. Pour être considérée comme jolie, il fallait avoir une petite bouche, des lèvres très fines, sinon tu étais moche. J’ai grandi en intériorisant cette idée. On disait de moi : ‘La pauvre, elle a de grosses lèvres. Heureusement elle a la peau claire, elle trouvera peut-être quand même un mari.’ On me répétait ces choses folles, et j’ai cru que j’étais laide. Aujourd’hui, ces grosses lèvres qu’on nous reprochait deviennent le critère de beauté en Occident. J’ai besoin de faire comprendre que nos apparences sont acceptables, que nous ne devons pas appliquer d’autres critères à nos corps. »
If they're civilized, Si ce sont eux les civilisés,
I'd rather stay savage Je préfère rester une sauvage.
We them barbarians C’est nous les barbares
Beautiful and scaring them Belles et on les effraie
Earth shakin rattling Comme un tremblement de terre
Be wild out loud again Sois à nouveau une sauvage
La misogynie et le patriarcat sont physiquement violents avec les femmes. Si le féminisme nous fait juste détester les hommes, il ne les tue pas. »
Mona Haydar
Dans sa chanson Dog (chien), elle vise les hommes qui objectifient les femmes, en particulier, ceux qui utilisent leur religion pour le faire : "Dog parle surtout d’écraser le patriarcat parce qu’il est non seulement nuisible pour les femmes, mais tout aussi mauvais pour les hommes."
Son féminisme fait partie intégrante de sa foi, et vice-versa. Il découle même de son éthique religieuse : "Le prophète Muhammad était le plus grand féministe, et certains veulent me dire qu’il serait contre le féminisme ? Je vais vous montrer combien vous avez tort ! "
Elle continue sur le cliché des féministes misandres : "Pour ceux qui me reprochent de haïr les hommes parce que je suis féministe, vous savez quoi ? La misogynie et le patriarcat sont physiquement violents. Les femmes sont violées, agressées, violentées, tuées. Qu’est-ce que le féminisme fait aux hommes ? Si le féminisme nous fait juste détester les hommes, il ne les tue pas. Le féminisme est bon, parce qu’il protège les femmes."
Mona Haydar ne s’excuse pas de ses engagements ou ses croyances. Elle a conscience que certaines féministes, notamment en France, refusent cet engagement venant de musulmanes, et qui plus est, portant le voile. Sa réponse est sans équivoque : "Je suis au courant de ces critiques. Pour moi, être musulmane, c’est être féministe. Je ne devrais même pas avoir à me dire féministe. Peu importe ce que les gens pensent de moi, je m’en fous ! Ça ne changera pas ce que je suis, ni ce que je construis !" Elle rajoute avec un sourire : "Le féminisme m’a apporté une liberté, mais quand on me demande comment je peux être musulmane et féministe, je réponds que c’est ma religion qui m’a donné cette liberté en premier."