Fil d'Ariane
Un but contre la Corée du Sud, puis un autre, spectaculaire et décisif, contre l'Allemagne favorite du Mondial 2023. Linda Caicedo, 18 ans, lesbienne et rescapée d'un cancer, est l'éblouissante porte-drapeau d'un football féminin victorieux, quoiqu'encore déprécié, en Colombie.
Linda Caicedo lors d'une séance d'entraînement à Bogota, en Colombie, le 6 juillet 2023.
La soirée du 30 juillet 2023 vécue par les 40 500 spectateurs du Sydney Football Stadium, public largement acquis à la cause colombienne, restera dans les mémoires. Les fans colombiens ont vécu un ascenseur émotionnel déclenché par un but sublime de Linda Caicedo, rattrapé par l'Allemande Alexandra Popp sur penalty, avant la victoire sur une tête de Manuela Vanegas au bout du temps additionnel.
Aujourd'hui la Colombie est une puissance mondiale.
Manuela Vanegas
L'enceinte parée de jaune a alors basculé dans la fête et la liesse, sous un vacarme rarement observé lors d'un Mondial féminin. Les Colombiennes ont bien mérité leur tour d'honneur à la fin de la rencontre, car l'Allemagne n'avait plus perdu le moindre match de groupes en Coupe du monde depuis 1995. "Aujourd'hui la Colombie est une puissance mondiale" du football féminin, a clamé Manuela Vanegas après la rencontre.
Déjà buteuse contre la Corée du Sud, dominée 2 à 0 par la Colombie, la jeune joueuse a été victime d'un inquiétant malaise ces derniers jours. Elle s'est brutalement écroulée à l'entraînement, victime de douleurs à la poitrine qui ont inquiété tous les suiveurs, mais ne l'ont pas empêchée de briller sur le terrain contre l'Allemagne. Elle a fini la rencontre éreintée, portée par les "Linda, Linda !" d'un stade incandescent. "Linda a eu des problèmes par le passé, mais rien d'inquiétant. Elle était très fatiguée, elle a senti une petite accélération cardiaque, mais elle a décidé de finir le match", explique le sélectionneur adjoint Angelo Marsiglia.
Linda Caicedo dédie le premier but de son équipe à son amoureuse lors du match du groupe H de la Coupe du monde féminine entre l'Allemagne et la Colombie à Sydney, en Australie, le 30 juillet 2023.
A 18 ans seulement, Linda Caicedo est un ovni du football en Colombie, un phénomène de précocité victorieuse sur le terrain et de courage dans la vie. Des projecteurs de l'Océanie au terrain défoncé de Villagorgona, petit village près de Cali, dans le sud-ouest de la Colombie où elle s'est formée, il y a un monde d'écart. Mais c'est là-bas que cette pépite s'est forgée un corps et un esprit à toute épreuve, dans un pays où le football féminin souffre encore du machisme et d'un manque de soutien.
Linda Caicedo fait "partie de ces gens touchés par la grâce de Dieu", note Diego Vasquez, son premier entraîneur. Angelo Marsiglia, entraîneur adjoint de l'équipe de Colombie au Mondial 2023, la décrit comme une joueuse "extraordinaire" : "Elle veut le ballon, elle ne se cache jamais, elle vient d'une autre planète, elle est unique".
Au pays, ses cheveux tressés et son sourire permanent en ont fait une idole, encore plus adorée depuis le début de cette Coupe du monde. Et ce n'est pas son premier fait d'armes. En 2022, elle est arrivée en quarts de finale du Mondial des moins de 20 ans au Costa Rica, puis en finale de celui des moins de 17 ans, en Inde. En sélection A, elle a également joué en 2022 la finale de la Copa America, perdue face au Brésil 1 à 0, tout en ramenant le trophée honorifique de meilleure joueuse du tournoi.
"Je garde toujours à l'esprit que je suis très jeune, je n'ai que 18 ans, dit avec modestie la jeune prodige. J'ai encore beaucoup à apprendre. J'amasse chaque jours un peu plus d'expérience dans cette équipe. C'est ma première Coupe du monde senior, je veux en profiter". A sa majorité, en février 2023, elle a signé avec le Real Madrid, qui voit en elle l'un des grands espoirs du football mondial.
Pour Linda Caicedo, tout commence au Real Juanchito, le club de Villagorgona, jusqu'alors exclusivement masculin. Pendant six ans, elle ne joue qu'avec des garçons, puis avec des filles plus âgées qu'elle, alors que le football féminin commence tout juste à se développer dans le pays.
En juillet 2019, à l'âge de 14 ans, elle débute sa carrière professionnelle avec l'America de Cali. La nouvelle recrue s'y fait vite remarquer, terminant meilleure buteuse du championnat remporté par son équipe. En novembre 2019, elle est appelée pour la première fois en équipe nationale.
Son ascension fulgurante est interrompue en 2020, lorsque, en pleine pandémie de Covid-19, Linda Caicedo souffre de douleurs à l'abdomen. Après des examens, le diagnostic tombe : cancer ovarien. Deux semaines plus tard, elle est opérée d'une tumeur et subit l'ablation d'un ovaire.
Pour les personnes qui traversent des périodes difficiles, je suis l'exemple qui montre que l'on peut surmonter tout cela.
Linda Caicedo
Aujourd'hui, Linda Caicedo attribue en partie son rétablissement au soutien de sa famille et de l'entraîneur national, Nelson Abadia qui, toujours à ses côtés, la rassurent et l'accompagnent. "Le processus a été difficile, mais Dieu merci, je l'ai surmonté, dit-elle. Ma famille m'a toujours soutenue et mon entraîneur a toujours été très proche de moi. Pour les personnes qui traversent des périodes difficiles, je suis l'exemple qui montre que l'on peut surmonter tout cela."
Quelques jours après la fin de sa chimiothérapie, Linda Caicedo reprend l'entraînement et rejoint l'autre club de Cali, le Deportivo, décrochant un nouveau titre national en 2021. Une consécration à la saveur particulière, un an après la maladie et le traitement qui l'obligeait à jouer avec une perruque.
Les filles voient en Linda Caicedo une figure qu'elles rêvent d'égaler un jour.
Rafael Murillo
Linda Caicedo est l'ambassadrice du football féminin en Colombie. L'équipe nationale ne s'est qualifiée pour sa première Coupe du monde qu'en 2011, mais n'a cessé de monter en puissance depuis. "Les filles voient en Linda Caicedo une figure qu'elles rêvent d'égaler un jour", estime Rafael Murillo, le président de son premier club. Une poignée de filles s'entraîne sur sa pelouse clairsemée. Portant les couleurs du Real Juanchito, Mariana Medina, 8 ans, remarque timidement : "quand je serai grande, j'aimerais être comme Linda, jouer comme elle".
Née dans la ville de Candelaria, Linda Caicedo vient d'un milieu très modeste et n'a jamais oublié les sacrifices qu'elle a dû faire pour arriver là où elle brille aujourd'hui. Elle s'est récemment revenue dans sa ville natale pour donner 100 sacs de nourriture à des personnes dans le besoin, sans la présence des médias.
Chez les parents de Linda, Mauro Caicedo et Herlinda Alegria, un espace est réservé aux multiples trophées, médailles et récompenses reçues par leur fille cadette.
Linda est née avec le don d’être une fille qui, quoi qu’elle demande à Dieu, se donne les moyens d’y parvenir et réussit.
Mauro Caicedo
A côté des récompenses, une photo montre Linda aux côtés des camarades de classe avec lesquels elle a décroché son diplôme de fin d'études secondaires. Elle est la plus jeune, diplômée à l'âge de 15 ans, alors que les autres ont 17 ou 18 ans. "Linda est née avec le don d’être une fille qui, quoi qu’elle demande à Dieu, se donne les moyens d’y parvenir et réussit, dit fièrement d'elle son père. Elle a une façon de penser et d’agir qui fait qu'on pourrait penser qu'elle est plus âgée".
Plus que jamais crédible pour réaliser un parcours historique au Mondial, la Colombie a totalement chamboulé les forces en présence dans le groupe H. Seule équipe à six points, elle n'a désormais besoin que d'un match nul contre le Maroc, ce 3 août à Perth pour s'assurer la qualification et la première place en prime.
Linda Caicedo à l'entraînement avec équipe à Leichhardt Oval le 29 juillet 2023.
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