#MonPostPartum : tout ce qu'on n'a jamais voulu montrer sur le post-accouchement

Avec le mot-dièse #MonPostPartum, les femmes brisent le silence sur le quotidien difficile qui suit l'accouchement. A l'origine de cette mobilisation : la censure d'une publicité sur la période post-partum par la chaîne américaine CBS, le soir de la 92e cérémonie des Oscars. Entretien avec Katie Vigos, militante et créatrice du compte Instagram "Empowered Birth Project", qui traite du rapport au corps après la grossesse. 
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La maternité n’est pas celle que l’on voit dans les films: Incontinence, vergetures, points de suture douloureux, saignements, dépression... le post-partum peut-être une étape difficile dans la vie d'une jeune mère. 
Capture d'écran, Instagram Empowered Birth Project.
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Incontinence, vergetures, points de suture douloureux, saignements, dépression... Le post-partum peut être une étape difficile pour les mères. Depuis le 15 février, des mamans du monde entier ont décidé de briser le silence et d'évoquer les réalités crues de l'après-accouchement. Photos et messages mettent à mal les clichés sur une période que l'on a tendance à "embellir" et cassent le mythe de la "mère parfaite".

Une publicité sur le postpartum boycottée aux Oscars

Le 9 février 2020, c'est une publicité de la marque pour mamans Frida Mom qui a déclenché cette vague médiatique. Boycottée aux Oscars et accusée de présenter un "contenu trop explicite", la marque met en scène la réalité du retour à la maison après l'accouchement. On y voit une jeune femme venant d'accoucher, réveillée par des douleurs dans la nuit, qui change sa "couche-culotte" spéciale post-accouchement.
 

Les femmes ont été nombreuses à réagir au boycott de la chaîne américaine CBS et de l'académie des Oscars. Personnalités et anonymes se sont mobilisées en affichant fièrement leur corps et posant avec des couches. Elles dénoncent l'hypocrisie d'un système qui magnifie l'accouchement, le qualifiant de "plus beau jour de la vie" d'une femme, sans évoquer concrètement ce qui attend les femmes dans les semaines qui suivent leur accouchement.
 

En réponse à la polémique, le mannequin Ashley Graham, amie de la fondatrice de Frida mom, affichait fièrement son corps, accompagné d'une légende : "Je n’aurais jamais cru que les couches jetables deviendraient mon accessoire préféré, mais nous y voilà ! Personne ne parle du rétablissement et de la guérison (...) des nouvelles mamans. Je voulais vous montrer que ce ne sont pas que des moments "tout roses" ! Cela a été difficile. (...) C’est incroyable le nombre de tabous lorsqu'il s'agit de parler de ce que les femmes vivent vraiment".

#MonPostPartum

En réponse à CBS, Morgane Koresh, Ayla Linares, Masha Sacré et Illana Weizman ont créé le hashtag #MonPostPartum qui inonde les réseaux sociaux depuis le 15 février. Leur objectif ? Rendre cette expérience non pas choquante, mais normale. 

La maternité n’est pas celle que l’on voit dans les films. Une femme ne perd pas tous ses kilos du jour au lendemain. Elle a des marques, des vergetures, de la peau distendue. Une grossesse peut changer le corps d'une femme à vie : 

"#Monpostpartum ? Des règles abondantes durant 9 mois, impossible de faire pipi sans avoir les larmes aux yeux, impossible de marcher normalement, des contractions même APRÈS l’accouchement", explique une internaute. 

Certaines lancent la discussion sur des réalités encore plus taboues de l'accouchement, à savoir les idées noires qui peuvent hanter les nouvelles mamans : "les phobies d'impulsion, c'est quand vous avez très peur de faire (quelque chose) de transgressif. Ça s'observe beaucoup durant le #postpartum chez les jeunes parents qui sont terrorisés à l'idée de faire du mal au bébé tout en étant incapables de chasser ces idées noires", déclare une autre internaute.

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En réaction à une publicité rejetée par @abcnews et l’Académie des Oscars qui dépeint honnêtement l’épisode douloureux du post-partum ainsi que la publication d’@ashleygraham qui pointe du doigt le silence autour de cette convalescence, me voici, portant une couche pour adulte, épongeant le sang qui coule pendant des jours et des semaines, le ventre encore gonflé, l’utérus encore étendu, les contractions qui le remettent doucement en place, les jambes bleuies, les points qui tirent, l’impossibilité de s’asseoir sans douleurs, l’urine qui brûle, l’impression d’être passée sous un rouleau compresseur. Si on parlait davantage de ces sujets, si on ne les invisibilisait pas de façon systématique, les mères se sentiraient moins isolées, moins démunies. Préoccupez-vous des mères. Mettez en lumière leur vécu.

Une publication partagée par Illana Weizman (@illanaweizman) le 12 Févr. 2020 à 3 :48 PST

"Le flou orchestré autour du post-partum, l’effacement volontaire des représentations culturelles de cette période de vie charnière pour les femmes contribuent à la détérioration de leur santé mentale. Une société qui invisibilise un vécu féminin déterminant, un vécu qui doit être montré, raconté, exposé, pour réparer les mères et pour préparer celles qui le seront dans le futur est une société misogyne et irresponsable," écrivait Illana Weizman, co-créatrice #MonPostPartum.
 


Morgane Koresh, co-créatrice #MonPostPartum, tient à rassurer celles et ceux qui "pensent que l'on cherche à faire peur, à dégoûter les femmes d'avoir des enfants... ", en précisant que "ce n'est pas le propos", et que les femmes ont le droit de savoir et de raconter leurs vécus. "Ça n'enlève rien à l'amour pour leurs bébés".

Entretien avec Katie Vigos

À travers son compte instagram “Empowered Birth Projet”, la militante, infirmière de profession, nous montre la réalité de l’accouchement et du post-partum, mais aussi de la fausse couche. 
Katie Vigos
Katie Vigos, fondatrice du compte "Empowered Birth Project". 
© Katie Vigos

En 2018, elle lançait une pétition contre la censure des photos de maternité sur les réseaux sociaux. Après plusieurs mois de discussions, les plateformes Facebook et Instagram autorisent les photos de femmes en train d'allaiter ainsi que les photos d'accouchement.  

Terriennes : Comment vous est venue l'idée de "Empowered Birth Project"? 

Katie Vigos : L’idée m’est venue, après avoir eu mon deuxième enfant à la maison. À l’époque, il n’y avait pas autant de ressources en ligne sur l’accouchement à la maison. J'étais demandeuse de conseils et de témoignages de personnes dans la même situation que moi. En accouchant à la maison, j’ai vécu une grande expérience d'empouvoirement. Rien ne s’est passé comme prévu,  j’ai subi une césarienne d’urgence. J’ai vécu une expérience traumatisante. J’ai dû m’en remettre, mais il fallait que je le raconte pour aider et éveiller les consciences.  J’ai donc pensé à concevoir une plateforme en ligne où les femmes pourraient se parler entre elles. Pour que les mamans puissent témoigner et montrer que l’accouchement n’est pas celui que l’on voit dans les films. J’avais déjà créé le compte instagram “empoweredbirthproject” en 2006 pour parler de ma propre expérience, puis j'ai encouragé les échanges sur l’accouchement dans le monde entier, du point de vue politique et militant. 

Pourquoi est-il important de parler de dépression post-partum et pre-partum ? 

La parole se libère enfin sur le post-partum. Je pense qu’il faut parler de la dépression des femmes après l’accouchement, car cette expérience est loin d'être isolée.  En six ans, j’ai vu beaucoup de changements, socialement et culturellement. Petit à petit, on arrive à normaliser certaines choses, comme le changement du corps, les marques, l'allaitement. Les femmes s’en cachaient beaucoup, il y avait une sorte de honte. C’est grâce au travail acharné de militant.e.s comme moi que les choses changent. C’est très encourageant, mais il faut continuer à en parler pour que les femmes sachent que c'est normal et qu'elles pourront être soutenues et aidées. 


Vous évoquez les fausses couches, à travers des photos difficiles, pourquoi est-ce important de les montrer  ?

La perte fait partie des réalités de la vie. C’est tellement important, car les fausses couches stigmatisent. Celles à qui ça arrive se privent d'en parler autour d’eux. Le sujet a longtemps été éloigné des débats. On est très déconnectés, alors que cela arrive si souvent. Si l'on regarde les chiffres, 1 femme sur 4 vit l’expérience de la fausse couche. En revanche, peu connaissent le processus et savent à quoi ça ressemble. Ca ne devrait pas être le cas.  En documentant les fausses couches en photos, j’ai l’impression que les gens réalisent et peuvent se sentir accompagnés. Je veux qu'à travers mon travail, les femmes sachent à quoi s'attendre en période de deuil. Je montre d'ailleurs qu’à travers le deuil, on peut aussi vivre de beaux moments.

Les femmes ont-elles accès au soutien psychologique nécessaire pendant et après leur grossesse ? 

Non, en tout cas pas aux États-Unis. L'accès aux soins et leur prise en charge en règle générale sont très limités. L'accompagnement devrait être proposé aux femmes qui viennent d'accoucher, mais il est compliqué psychologiquement de faire la démarche. Les femmes n’ont pas le soutien psychologique dont elles auraient besoin. le suivi est primordial.


Comment avez-vous réussi à dépasser la censure sur les réseaux sociaux ?

Il y a eu du changement en 2015, lorsqu'Instagram et Facebook ont autorisé la visibilité des tétons, mais seulement si la femme est en train d’allaiter. C’était déjà très un grand pas en avant. En 2018, j’ai lancé une grande pétition contre la censure : "Autoriser les photos de naissance non censurées sur Instagram", qui a obtenu plus de 23 000 signatures. Il n’était pas normal que les naissances fassent l’objet d'une censure, cela fait partie de la vie. On a gagné, maintenant nous pouvons voir beaucoup plus sur l’accouchement sur les réseaux sociaux. J’ai eu un grand nombre de discussions avec les plateformes sur la censure, et petit à petit, on a réussi à montrer de plus en plus de contenus.