Fil d'Ariane
Certains sont mauvais perdants jusqu'à la goujaterie et au sexisme le plus cru. Le député UDI (centriste allié aux Républicains de droite) François Rochebloine appartient à cette catégorie de messieurs un peu âgés, habitués au pouvoir, incapable d'accepter l'alternance, surtout lorsqu'elle est incarnée par des (jeunes) femmes. Pour la première fois de son histoire, l'Assemblée nationale compte 38% de députées, pas encore la parité, mais un record en France donc, comme nous le décortiquions > ici.
Il semble que le 18 juin 2017, le ciel soit tombé sur la tête de ce "cumulard" qui se pensait indéboulonnable : député de la 3ème circonscription de la Loire (Massif central) durant "28 ans, 11 mois et 28 jours" comme le précise Wikipédia, dans une fiche élogieuse qu'on imagine rédigée par les soins du représentant de la nation, Conseiller général pendant presque autant de temps - 21 ans, 9 mois et 23 jours -, et conseiller municipal également. Cet homme installé dans son fauteuil du Palais Bourbon depuis près de 30 ans est connu pour ses propos parfois peu amènes, pour le meilleur et pour le pire. Pour la reconnaissance du génocide arménien par la France ou contre la candidate écologiste Eva Joly à la présidentielle de 2012 qui voulait en finir avec le défilé du 14 juillet.
Je ne pense pas qu'elle aura le temps de faire sa lessive et d'emmener ses enfants à l'école
François Rochebloine, député battu de la Loire
Et donc ce 19 juin 2017, le pire venait de lui arriver : à 72 ans, cet homme habitué à l'automatisme de ses électeurs a été défait par son adversaire de La République en Marche (LREM) Valéria Faure-Muntian Et nettement : par 52,62% contre 47,38%. La défaite est telle que le sorti se laisse un peu aller à son mécontentement face à la caméra de France Bleu Saint-Étienne Loire : « J’ai eu l'occasion de débattre à quatre reprises avec elle, ce n'est pas la compétence qui a gagné, désolé de le dire comme ça. J'étais disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept et 365 jours par an, au détriment de ma vie familiale. Je ne pense pas qu'elle aura le temps de faire sa lessive et d'emmener ses enfants à l'école, comme elle m'a dit qu'elle était une personne normale. Moi aussi je l'étais, et j'avais la chance d'avoir une épouse qui m'a bien accompagné. »
Pour mémoire, François Rochebloine était directeur commercial d'une PME lorsqu'il fut élu, et Valéria Faure-Muntian exerçait comme « account manager » dans une agence d’un groupe d’assurances, ce qui n’est pas bien différent.
Des internautes facétieuses assènent alors quelques bons conseils au député sortant en vue d'aider cette "pauvre élu"e à gérer son emploi du temps :
Coucou Francois @Rochebloine !
— coucou (@aweed) 20 juin 2017
Et bien vous allez soulager votre femme et la faire à sa place!
un tutoriel pour qu'il ne passe pas pour une brelle devant sa femme https://t.co/cXSGBWkKEd
— Lahouari bennaceri (@l_bennaceri) 20 juin 2017
Une semaine auparavant, Jean-Pierre Door, l'un de ses collègues LR (droite), 75 ans et 15 ans de députation, plus au Nord, dans la 4ème circonscription du Loiret en posture délicate à l'issue du premier tour face à Mélusine Harlé sa concurrente (jeune elle aussi) LREM, n'était pas beaucoup plus aimable : "Quand on voit ce qu'on a fait, ce qu'on a eu comme action ! Entre l'expérience plus le bilan et l'inexpérience plus le parachutage, les gens ont choisi la deuxième option". Mélusine Harlé, (dont on a brossé le portrait pour Terriennes à retrouver > ici) affichait pourtant une expérience d'élue municipale, dans la circonscription, de militante associative et culturelle et un CV de diplômée, d'universitaire et d'entrepreure qui n'a rien à envier au médecin Door (lequel est finalement passé au deuxième tour mais avec huit voix d'avance et un recours devant le Conseil constitutionnel est déposé).
On remarquera que les deux interpellées "en incompétence" ont répondu avec élégance et courtoisie, remerciant même leurs détracteurs pour "leur travail accompli". Les chiens aboient, la caravane passe.
Sur les rives de la Loire encore, mais beaucoup plus à l'Ouest et au Nord, c'est à d'autres quolibets assez peu empathiques que s'est frottée la nouvelle députée LREM Sandrine Josso. La "novice" a eu l'outrecuidance aux yeux de certains d'annoncer qu'elle prendrait son temps pour faire connaissance avec la Chambre des députés, et que ce mercredi 21 juin 2017 présenté partout et à contresens comme le jour de la rentrée parlementaire, elle le consacrerait à ses enfants.
Les réseaux sociaux se sont déchaînés avec le mot dièse #JaiTennis, les internautes clouant au pilori l'élue pour, à leurs yeux, sa légèreté affichée.
"Sandrine Josso, Tennis-woman et accessoirement Députée #EnMarche a ses heures perdues...." pic.twitter.com/S1VESHOrrr
— Stalker (@_Stalker_69_) 21 juin 2017
A la Baule, la députée LREM ira à l'AN, "mais pas mercredi". Elle veut d'abord "faire un peu de tennis" avec ses enfants. (cc @AntoineDen) pic.twitter.com/0YsdFOGOnq
— Raphaël Godet (@Raphaelgodet) 19 juin 2017
Ses élus et la nation apprécieront le sens du devoir républicain de Sandrine Josso députée #LREM. L'AN? J'peux pas, #JaiTennis! #Arnaque #EM https://t.co/67LVSLAd07
— citoyenne du monde (@citoyenne_terre) 20 juin 2017
A tous ces messages, la députée a répondu calmement et avec des arguments imparables. Sur la forme, elle a rappelé que les nouveaux élus avaient une semaine pour prendre leurs marques au palais Bourbon, avant la "vraie" rentrée parlementaire de cette 15ème législature de la Vème République, qui se fera officiellement le mardi 27 juin 2017 avec l'élection du/de la président-e de l'Assemblée.
Les propos tenus par @nicolasbeytout sur le plateau de @LCI sont purement diffamatoires. pic.twitter.com/SdLcUMnxAu
— Sandrine Josso (@Josso2017) 20 juin 2017
Et sur le fond, cette nutritionniste et diététicienne, passionnée par son métier et par la chose publique, a rappelé qu'elle avait été happée pendant plus d'un mois par une campagne tendue, difficile, et que consacrer quelques heures à ses deux enfants, avant de plonger dans le bain législatif ne lui semblait pas superflu, y compris pour son propre "bien être" (un sujet qu'elle maîtrise) afin de mieux travailler pour la nation.
Garder son équilibre en tant que députée, le bien-être, c'est important ! Je profite 2h de mes enfants ce mercredi matin. https://t.co/nolUvBs50v
— Sandrine Josso (@Josso2017) 20 juin 2017
A toutes ces piques, on rajoutera cet entretien mené par un confrère de FranceInfo qui insiste lourdement sur l'inexpérience politique de Naïma Moutchou. "Vous êtes complètement novice" répète le journaliste à l'élue de la 4ème circonscription du Val-d'Oise (Banlieue Nord-Ouest de Paris). Ladite "bleue" répond alors sereinement : "si vous parlez de la politique politicienne, celle des 'égos' et des bisbilles etc, alors oui je suis novice, mais j'ai une vraie expertise, en particulier juridique, puisque je suis avocate depuis plus 10 ans".
Surtout que côté hommes, il y en a un paquet aussi de novices - les trois quarts de cette Assemblée nationale 2017 sont des petits nouveaux.
Aucun camp n'est exempt de ce sexisme ordinaire, de ces propos qui vont de soi. « Mais qui va garder les enfants ? », s'interrogeait l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius lorsque Ségolène Royal, alors compagne de François Hollande (ils avaient quatre bambins), annonça sa candidature à l'élection présidentielle en 2007...
En 2012, cette fois c'était un internaute qui partageait son contentement de voir plus d'élues à l'assemblée avec un tweet désolant de bêtise :
155 femmes élues députées, c'est rassurant de savoir que l'Assemblée Nationale sera toujours propre et bien rangée.
— Nicky Lahcene (@NickyLahcene) 18 juin 2012
A tous ces messieurs infatués, et plein de condescendance, on conseillera la relecture d’un reportage paru dans le Figaro du 18 janvier 1951, six ans après l’entrée des femmes à la Chambre des députés française, parmi lesquelles Germaine Peyroles, avocate, résistante, mère de quatre enfants (dont l’écrivain Gilles Perrault). La nouvelle élue de la circonscription de la Seine (Paris, on est alors sous la IVème République), raconte ainsi l’accueil qui fut réservé aux 33 pionnières du droit de vote et de l’éligibililté accordé un an plus tôt :
« — Lorsque vous êtes entrée pour la première fois à l'Assemblée, n'avez-vous pas eu à souffrir d'une certaine condescendance masculine?
— Non! Jamais!... Voyez-vous ; hommes et femmes, nous sortions tous des mêmes combats de la Résistance. Nous avions de l'estime les uns pour les autres, nous étions réellement co-équipiers. »
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1