Fil d'Ariane
Des amendes de 15 000 euros, des condamnations allant jusqu'à quinze ans de prison ou même la peine de mort : voilà ce que prévoyait une nouvelle loi sur "la moralité obligatoire" en Iran. Face à la contestion provoquée par ce projet de loi, le gouvernement a décidé de le suspendre, un nouveau texte est en préparation.
Des Iraniennes font leurs achats au bazar traditionnel de Tajrish dans le nord de Téhéran, en Iran, le samedi 26 octobre 2024.
Adoptées par les conservateurs il y a quelques semaines, cette nouvelle loi prévoyait des sanctions sévères pour les personnes prises en flagrant délit de "promotion de la nudité, de l'indécence, du dévoilement ou de l'habillement inapproprié". Les amendes pouvant grimper jusqu'à 15 000 euros et celles qui ne s'y soumettraient pas pourraient aussi subir la flagellation, ou être condamnées à des peines de prison allant de cinq à quinze ans pour les récidivistes.
"Soutien à la famille à travers la promotion de la culture de la chasteté et du hijab" : c'est ainsi que s'intitule ce projet de loi qui devait entrer en vigueur le 13 décembre 2024. Mais face au vent de contestation suscité par ce texte, même au plus haut de l'Etat, le projet a été annulé et la loi non promulguée. Le gouvernement a prévu de nouvelles discussions pour un prochain texte, qui pourraient prendre plusieurs mois, comme l'a précisé sur l'antenne de TV5monde, le correspondant sur place Saviosh Gazhi.
Lors d'une interview accordée aux médias quelques semaines auparavant, le président iranien, Masoud Pezeshkian, a fait part de son opposition à ces nouvelles lois, craignant que leur application entraîne un nouveau mécontentement au sein de la société iranienne.
Le président iranien Masoud Pezeshkian lors du sommet des BRICS à Kazan, en Russie, le 24 octobre 2024.
Composée de 74 articles, le texte prévoyait également des interdictions de voyager et des restrictions concernant l’éducation et l’emploi pour les femmes et les filles qui défient la législation relative au port du voile. Elle entendait aussi sanctionner les entités privées qui n’appliqueraient pas ces lois, précise-t-on sur le site d'Amnesty International.
Une Iranienne participe à un rassemblement annuel devant l'ancienne ambassade des États-Unis à Téhéran, en Iran, le 3 novembre 2024, marquant le 45e anniversaire de la prise de l'ambassade par des étudiants iraniens et la crise des otages.
L'article 37 de la nouvelle loi stipule que les personnes qui encouragent ou propagent l'indécence, le dévoilement ou la "mauvaise tenue" auprès d'entités étrangères, y compris les médias internationaux et les organisations de la société civile, peuvent être condamnées à dix ans de prison et à des amendes pouvant atteindre 15 000 euros, lit-on sur le site du quotidien britannique The Guardian.
Pour Mina Fakhravar, autrice, membre de l’Association des femmes iraniennes de Montréal et doctorante en études féministes et de genre à l’Université d’Ottawa, cette loi marque un tournant dans l'institutionnalisation de l'apartheid de genre en Iran, comme elle l'écrit sur le site de Le Devoir, et "constitue une déclaration de guerre explicite contre les femmes iraniennes".
Adoptée dans un contexte de crise économique aiguë, de tensions géopolitiques et d’instabilité intérieure, cette loi dépasse largement une simple réglementation vestimentaire. Elle constitue une déclaration de guerre explicite contre les femmes iraniennes, en réponse à la révolte Femme, Vie, Liberté, déclenchée par la mort tragique en 2022 de Mahsa Jina Amini. Mina Fakhravar, membre de l'Association femmes iraniennes de Montréal
Et de citer comme exemple l’article 17, qui "prévoit de 'créer ou allouer des centres récréatifs et sportifs exclusivement pour les femmes avec des aménagements appropriés' et d’allouer une partie des parcs à leur usage exclusif". Ce texte revient à une ségrégation genrée selon la militante, qui, en réalité, isole les femmes "et les marginalise dans l’espace public, renforçant leur invisibilisation".
Autre exemple : l'article 5, alinéa 6, "qui place 'la production de tissus pour les tchadors noirs' au centre des priorités culturelles, consolidant l’idée d’un modèle unique et rigide pour les femmes", s'indigne la sociologue.
Pour Diana Eltahawy, directrice adjointe d'Amnesty pour le Moyen-Orient, "cette loi honteuse intensifie la persécution des femmes et des jeunes filles qui ont osé défendre leurs droits à la suite du soulèvement Femme, vie, liberté”.
La communauté internationale ne doit pas rester sans rien faire alors que les autorités iraniennes codifient encore davantage la répression et recourent même à la peine de mort pour réprimer la dissidence contre l’obligation de porter le voile. Diana Eltahawy, directrice adjointe d'Amnesty pour le Moyen-Orient
"Les autorités cherchent à renforcer le système de répression déjà étouffant contre les femmes et les jeunes filles, tout en rendant leur vie quotidienne encore plus intolérable", ajoute-t-elle.
"La communauté internationale ne doit pas rester sans rien faire alors que les autorités iraniennes codifient encore davantage la répression et recourent même à la peine de mort pour réprimer la dissidence contre l’obligation de porter le voile. Elle doit user de son influence pour faire pression sur les autorités iraniennes afin qu’elles retirent cette loi et abolissent l’obligation du port du voile dans la législation et dans la pratique. Elle doit également actionner des leviers juridiques pour amener les dirigeants iraniens à rendre des comptes pour les violations généralisées et systématiques des droits fondamentaux des femmes et des filles commises par l’application de cette obligation", conclut la porte-parole dans son communiqué.
Cette loi devait entrer en vigueur deux ans après les manifestations qui ont secoué le pays après la mort en détention de Mahsa Amini, une Kurde de 22 ans, emprisonnée pour n'avoir pas porté correctement son hijab.
Au cours des deux dernières années, les Iraniennes ont publiquement rejeté les lois vestimentaires imposées par le régime des Mollah. Elles sont de plus en plus nombreuses à défier les interdits en se montrant dans la rue les cheveux découverts.
Jeunes Iraniennes sans voile dans le nord de Téhéran, en Iran, le 15 novembre 2024.
En novembre 2024, les images d'une jeune étudiante iranienne se mettant en sous-vêtements devant l'université de Téhéran, pour protester contre le code vestimentaire strict, sont devenues virales sur les réseaux sociaux. Après plusieurs semaines d'internement dans un hôpital psychiatrique de la capitale, elle avait finalement été relâchée.
(Re)lire Une étudiante iranienne se déshabille en public en signe de protestation
Selon l’article 49 de la nouvelle loi sur "la moralité obligatoire", la "nudité" des femmes et des filles en public ou en ligne peut entraîner une arrestation immédiate, des poursuites judiciaires et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans ou une amende pouvant aller jusqu’à 11 500 euros.
Cette loi interdit également l’importation et la vente de vêtements, de statues, de poupées, de mannequins, de tableaux, de livres et de magazines "promouvant la nudité, l’indécence, le dévoilement et les mauvaises tenues vestimentaires". L'article 59 promet une impunité totale pour les membres de milices autoproclamées qui s’acquittent de leur "devoir religieux" de faire respecter le port obligatoire du voile.
Dans son rapport de mars 2024, la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la République islamique d’Iran, établie par l’ONU, estime que les autorités iraniennes avaient commis le crime contre l’humanité de persécution fondée sur le genre, rappelle Amnesty.
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