Depuis quelques années, retirée de la scène, Jessye Norman tentait, malgré la maladie, de rester droite, jusqu'à ce jour du 30 septembre 2019, où sa voix s'est tue, à 74 ans, des suites d'une septicémie.
Jessye Norman
grandissant, elle se met à écouter les opéras à la radio. "Je ne me souviens pas d'un seul moment de ma vie où je n'essayais pas de chanter", disait-elle en 2014 à la radio américaine NPR.
Jeune femme noire dans un milieu de la musique classique essentiellement blanc, elle décroche une bourse à l'université Howard, établissement fondé à Washington pour accueillir les étudiants noirs en pleine ségrégation. Elle en ressort en 1967 diplômée de musique. Mais c'est en Europe qu'elle va décrocher ses premiers contrats, l'Amérique des années 1960 n'a pas encore trouvé de place pour une jeune cantatrice africaine-américaine.

Direction, tout d'abord, l'Allemagne. Elle devient l'une des principales chanteuses de l'opéra de Berlin. Nous sommes en 1968, elle n'a que 23 ans et fait sensation en incarnant Elisabeth dans Tanhauser. Les premiers rôles et contrats se succèdent, elle se produit dans les années qui suivent avec plusieurs compagnies d'opéra allemandes et italiennes. En 1970, elle fait ses débuts à Florence. Cinq ans plus tard, la France la découvre dans l’Aïda de Verdi. Des invitations suivent au Festival d’Aix-en-Provence (Hippolyte et Aricie de Rameau en 1983, Ariane à Naxos de Richard Strauss en 1985), à l’Opéra-Comique (1984) et au Châtelet (1983, et régulièrement depuis 2000). C'est donc le public européen qui pendant des années va profiter de son timbre sombre et majestueux. Elle s’impose comme l’une des sopranos dramatiques les plus reconnues, en particulier pour ses interprétations de Wagner.
Retour aux origines
Sa revanche avec son pays natal n'arrivera que tardivement. Après une prestation unique sur la scène du Lincoln Center, en 1973, c'est avec New York et l'illustre Metropolitan Opera, dont elle écoutait les retransmissions lorsqu'elle était petite, qu'elle a rendez-vous dans les années 1980. Et comme pour rattraper le temps perdu, le Met va la produire plus de 80 fois, dans un répertoire allant de Wagner à Poulenc, en passant par Bartok, Schönberg et Strauss. "Elle était l’une des plus grandes artistes à chanter sur notre scène, déclare le directeur du Met, Peter Gelb. Son souvenir vivra à jamais."Sous la direction des plus grands chefs d'orchestre, comme Pierre Boulez, Herbert von Karajan ou encore le Japonais Seiji Ozawa, elle enchaîne les tournées mondiales. Le succès est ininterrompu. Elle reçoit des ovations interminables du public — 47 minutes à Tokyo en 1985, 55 minutes à Salzbourg l'année suivante.
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Grande voix, grand coeur
Jessye Norman n'était pas qu'une voix, mais aussi une personne d'engagement. Ayant à coeur de mettre sa notoriété au service d'artistes issus de milieux défavorisés. Ainsi, elle fonde dans sa ville natale d’Augusta la Jessye Norman School of the Arts, gratuite pour les enfants des quartiers les plus démunis.

"C'est avec une profonde tristesse que nous annonçons la mort de la star internationale de l'opéra Jessye Norman, a indiqué sa famille dans un communiqué transmis par une porte-parole. Nous sommes très fiers de ses réussites musicales et de l'inspiration qu'elle a été pour le public dans le monde entier, qui continuera à être une source de joie". "Nous sommes également fiers des causes humanitaires qu'elle a défendues, telles que la faim, les sans-abris, le développement des jeunes et l'éducation artistique et culturelle", a-t-elle ajouté.
Jessye et la Marseillaise
Pour les Français.e.s, c'est sans doute le souvenir de Jessye Norman, toute drapée de tricolore, une robe imaginée par le styliste Azzedine Alaïa, interprétant La Marseillaise lors du bicentenaire de la Révolution, le 14 juillet 1989 sur la place de la Concorde à Paris, dans une mise en scène de Jean-Paul Goude, qui restera.Jessye Norman (Tiens-toi droite et chante)
Elle y confie aussi adorer le français tout comme ses auteurs et autrices. L'occasion pour elle de citer Simone de Beauvoir : "La vie garde un prix tant qu’on en accorde à celle des autres à travers l’amour, l’amitié, l’indignation, la compassion".
Sur la page d'accueil du site de l'école qu'elle a fondée à Augusta, voici ce qu'on peut aussi lire : "Je représente quelque chose de plus grand que moi. Dans tout ce que je fais et dans tout ce que je dis."
She was my MJ, my Prince, my Bowie…
— L'opéra et ses zouz (@lOperaetsesZouz) October 1, 2019
Listening to her inspired me so many times and her autobiography is a book of poems and wisdom that I would recommend to everyone.
What a musician, what a singer and what a human being!
R.I.P #JessyeNorman pic.twitter.com/Mf67JEcfN8
Axelle Fanyo, soprano française qui milite pour la place des femmes noires dans l'art lyrique, a tenu à remercier sur son compte instagram Jessye Norman, "un modèle et une véritable inspiration pour moi, me montrant que mon rêve de devenir chanteuse d'opéra était possible! ".
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