Winnie Mandela a rejoint Nelson Mandela. L'ex-militante et dirigeante politique sud-africaine est morte ce lundi 2 avril 2018 dans un hôpital de Johannesburg. Elle avait 81 ans. Combattante infatigable aux côtés de son leader et président de mari, baptisée la "Pasionaria des townships", retour sur le parcours d'une femme engagée, dont l'image d'icône s'est écornée au fil des années.
Winnie Mandela, l'ex-épouse de l'ancien président sud-africain Nelson Mandela, est décédée à l'âge de 81 ans des suites "d'une longue maladie", lundi 2 avril 2018, dans un hôpital de Johannesburg, a annoncé son porte-parole.
"C'est avec une grande tristesse que nous informons le public que Mme Winnie Madikizela Mandela est décédée à l'hôpital Milkpark de Johannesburg lundi 2 avril", a déclaré Victor Dlamini dans un communiqué.
Winnie Madikizela-Mandela a tiré un statut de leur lutte partagée, et elle continuait à être définie par lui.
Alan Conwell, New York Times
"Winnie Madikizela-Mandela, dont la place sacrée dans le panthéon des libérateurs d'Afrique du Sud a été érodée par le scandale de la corruption, de l'enlèvement, du meurtre et de l'implosion adultère de son mariage légendaire avec Nelson Mandela est morte", écrit d'elle Alan Conwell, dans un article qu'il consacre à la vie de l'ex-épouse de Nelson Mandela dans le New York Times, "Charmante, intelligente, complexe, fougueuse et éloquente, Mme Madikizela-Mandela (Madikizela était son nom de famille à la naissance) était inévitablement connue de la plupart du monde par son mariage avec le révéré M. Mandela. C'était un lien qui a duré de manière ambiguë : elle a tiré un statut de leur lutte partagée, et elle continuait à être définie par lui."
Un mariage qui passe après l'engagement politique
Née le 26 septembre 1936 dans la province du Cap oriental (sud), dont est également originaire Nelson Mandela, elle décroche un diplôme universitaire de travailleur social, une exception pour une femme noire à l'époque.
Son mariage en juin 1958 avec Nelson Mandela - elle a 21 ans, et lui, divorcé et père de famille, presque 40 - est vite contrarié par l'engagement politique de son mari.
On n'a jamais eu vraiment de vie de famille (...) on ne pouvait pas arracher Nelson à son peuple. La lutte contre l'apartheid, la Nation venaient d'abord.
Winnie Mandela
"On n'a jamais eu vraiment de vie de famille (...) on ne pouvait pas arracher Nelson à son peuple. La lutte contre l'apartheid, la Nation venaient d'abord", écrit-elle dans ses mémoires. Après leur mariage, Nelson Mandela entre très vite dans la clandestinité. Restée seule avec leurs fillettes après son arrestation en août 1962, Winnie maintient la flamme du combat contre le régime raciste blanc. La jeune assistante sociale est alors la cible de manoeuvres d'intimidation et de pressions constantes. Emprisonnée, astreinte à domicile, bannie dans un bourg à l'écart du monde où sa maison est visée par deux attaques à la bombe...
Mais rien n'arrête la résistante, qui continue à défier les autorités blanches. Elle devient l'une des figures de proue du Congrès national africain (ANC), fer de lance de la lutte anti-apartheid. En 1976, elle appelle les lycéens de Soweto révoltés à "
se battre jusqu'au bout".
Une mère de la Nation contestée
La radicale "
Pasionaria des townships" se révèle pourtant, avec le temps, un handicap et une gêne pour l'ANC. Alors que les traîtres présumés à la cause anti-apartheid sont brûlés vifs, avec un pneu passé autour du cou, elle déclare que les Sud-Africains doivent se libérer avec des "boîtes d'allumettes". Un véritable appel au meurtre.
Winnie s'entoure d'un groupe de jeunes hommes formant sa garde rapprochée, le "Mandela United Football Club" (MUFC), aux méthodes particulièrement brutales.
En 1991, elle est reconnue coupable de complicité dans l'enlèvement d'un jeune militant, Stompie Seipei. Elle est condamnée à six ans de prison, une peine ultérieurement commuée en simple amende.
En 1998, la Commission vérité et réconciliation (TRC) chargée de juger les crimes politiques de l'apartheid déclare Winnie "
coupable politiquement et moralement des énormes violations des droits humains" commises par le MUFC.
"Grotesque", répète celle que l'on surnomme la "Mère de la Nation", même si des témoins l'accusent de torture.
Elle était une formidable égérie de la lutte, et puis quelque chose a terriblement mal tourné. Desmond Tutu à propos de Winnie Mandela
"Elle était une formidable égérie de la lutte, une icône de la libération", dira d'elle le prix Nobel de la paix Desmond Tutu, président de la TRC et ami de Nelson Mandela,
"Et puis, quelque chose a terriblement mal tourné".
Nommée vice-ministre de la Culture après les premières élections multiraciales de 1994, Winnie est renvoyée pour insubordination par le gouvernement de son époux, un an plus tard. Mise au ban de la direction de l'ANC, condamnée une nouvelle fois en 2003 pour fraude, Winnie fait tout de même son retour en politique quatre ans plus tard en intégrant le Comité exécutif du parti, l'instance dirigeante de l'ANC. Elle multiplie les contradictions. Députée depuis 1994 et réélue à chaque élection, elle brille par son absence au Parlement. Celle qui mène grand train prend régulièrement la défense des plus pauvres. Elle critique vertement l'accord historique passé par son illustre mari avec les Blancs pour mettre fin à la ségrégation. "
Mandela nous a abandonnés", assène-t-elle, "
l'accord qu'il a conclu est mauvais pour les Noirs".
L'image du couple Mandela, marchant main dans la main à la libération du héros anti-apartheid en 1990, a fait le tour du monde. Mais les époux ne se sont jamais retrouvés, ils avaient fini par divorcer en 1996 à l'issue d'une sordide procédure qui a révélé les infidélités de Winnie. Leur animosité a continué même après la mort de Nelson Mandela en 2013. Il ne lui a rien légué. Furieuse, elle avait engagé une bataille pour récupérer la maison familiale de Qunu (sud). La justice l'avait récemment déboutée de ses demandes.
Prisonnière numéro 1323/69
Dans son livre 491 jours : prisonnière numéro 1323/69, paru en 2013, Winnie Madikizela-Mandela reprend des passages de son journal et y inclut aussi des lettres échangées avec son mari Nelson, déjà emprisonné depuis sept ans à l'époque. « J'ai pensé qu'il fallait raconter cette histoire pour les générations prochaines, pour que cela ne se reproduise pas », a-t-elle expliqué lors du lancement du livre à Johannesburg.
Arrêtée le 12 mai 1969 en tant qu'activiste anti-apartheid, elle a été détenue à l'isolement à la prison centrale de Pretoria jusqu'à sa libération le 14 septembre 1970. « La détention à l'isolement est pire que les travaux forcés, confie-t-elle. Quand vous étendez les bras vous touchez les murs, vous êtes réduite à moins que rien. » C'est la veuve de l'un de ses avocats qui avait gardé le journal et qui le lui a rendu 41 ans après.
La période la plus sombre de ma vie
Winnie Mandela
Pour Winnie Madikizela-Mandela, relire ce texte a été une expérience extrêmement pénible, ramenant à sa mémoire les souffrances que sa famille a endurées, notamment ses deux filles, alors de jeunes enfants, Zindzi et Zenani.
« Je ne pouvais lire qu'un seul paragraphe puis je le reposais", raconte-t-elle.
Que Winnie "Mama africa" repose en paix
Sur les réseaux sociaux, les hommages affluent, malgré sa personnalité constestée et son parcours décrié.
"Winnie Mandela, une force féroce dans la lutte pour la LIBERTÉ nous a quitté RIP Mama Africa et peut-être des milliers de Winnie Mandela se leveront à travers l'Afrique pour poursuivre le travail urgent pour la liberté, contre la pauvreté et les despotes particulièrement ici au Kenya", écrit cet internaute kenyan.
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La mère de la nation. Quelles que soient vos pensées sur Winnie, elle a sacrifié sa vie pour la liberté de cette nation. Puisse-t-elle se reposer dans la paix éternelle]
"
Passons cette journée à rendre hommage à la grande reine révolutionnaire, mère Winnie Mandela", écrit cet autre twittos. Mais au milieu de ce concert de louanges, certes historiquement mérités, d'autres voix s'expriment pour évoquer la part plus sombre d'une icône à l'image écornée.
Winnie Mandela, une personnalité complexe : les précisions de Sabine Cessou, journaliste et auteure d'une biographie de Winnie Mandela