Fil d'Ariane
260.000 femmes sont mortes à la suite de complications liées à la grossesse ou à l'accouchement en 2023, soit un décès toutes les deux minutes, selon l'OMS. Si le taux de mortalité maternelle a baissé au cours de la dernière décennie, ces progrès se retrouvent aujourd'hui menacés par les coupes dans l'aide humanitaire, qui sapent les services de santé.
Une femme somalienne allaite son enfant dans un camp de personnes déplacées à la périphérie de Dollow, en Somalie, le 20 septembre 2022.
"Certaines régions sont déjà en train de reculer. Dans ce contexte de fragilité, la complaisance n'est pas seulement dangereuse, elle est mortelle", alerte la directrice de la santé sexuelle et reproductive à l'OMS, Pascale Allotey, en conférence de presse.
Si ce rapport montre des lueurs d'espoir, les données soulignent également à quel point la grossesse reste dangereuse dans une grande partie du monde aujourd'hui. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS
Selon un rapport publié par l'Organisation mondiale de la santé, au nom de plusieurs agences de l'ONU, la mortalité maternelle a baissé de 40% entre 2000 et 2023 dans le monde, en grande partie grâce à l'amélioration de l'accès aux services de santé essentiels.
Mais les progrès ont ralenti au cours de la dernière décennie.
Selon le rapport publié ce 7 avril, à l'occasion de la Journée mondiale de la santé, les femmes enceintes affectées par les urgences humanitaires sont confrontées à certains des risques parmi les plus élevés au monde. Près des deux tiers des décès maternels dans le monde surviennent aujourd'hui dans des pays en situation de fragilité ou de conflit. Pour les femmes qui vivent dans ces contextes, les risques sont considérables : une jeune fille de 15 ans a une chance sur 51 de mourir de complications liées à la grossesse au cours de sa vie, contre 1 chance sur 593 dans les pays plus stables. Le Tchad et la République centrafricaine sont les pays où le risque de décès est le plus élevé (1 sur 24), suivis du Nigeria (1 sur 25), de la Somalie (1 sur 30) et de l'Afghanistan (1 sur 40).
"Si ce rapport montre des lueurs d'espoir, les données soulignent également à quel point la grossesse reste dangereuse dans une grande partie du monde aujourd'hui", confirme le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans un communiqué. "En plus de garantir l'accès à des soins de maternité de qualité, il sera essentiel de renforcer la santé et les droits reproductifs des femmes et des jeunes filles", réclame-t-il.
Une infirmière vérifie la tension artérielle de Shakeela Bibi, enceinte, dans une clinique installée sous une tente dans un camp de secours pour les victimes des inondations, à Fazilpur près de Multan, au Pakistan, le 24 septembre 2022.
Le rapport est publié alors que les réductions dans l'aide humanitaire, en particulier depuis le retour au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis, ont de graves répercussions sur les soins de santé essentiels dans de nombreuses régions, y compris dans des situations humanitaires.
"Nous allons être confrontés à des vents contraires de plus en plus forts", avertit le docteur Bruce Aylward, sous-directeur général à l'OMS, lors de la conférence de presse, expliquant que la réduction de l'aide touche l'accès aux médicaments et au matériel médical mais aussi au personnel qualifié.
Les réductions de fonds alloués risquent non seulement de compromettre les progrès mais aussi d'entraîner un retour en arrière. Bruce Aylward, sous-directeur général à l'OMS
Et le Covid-19 a servi de leçon pour montrer les terribles dégâts que peuvent faire les interruptions des services de santé. Tout comme pour la pandémie de Covid, les coupes drastiques dans l'aide des Etats-Unis à l'étranger sont un "choc aigu auquel les pays n'ont pas eu le temps" de se préparer.
"Les réductions de fonds alloués risquent non seulement de compromettre les progrès mais aussi d'entraîner un retour en arrière", insiste Bruce Aylward.
"Ces coupes ont entraîné la fermeture d'établissements et la réduction des effectifs de personnel soignant, mais aussi la rupture des chaînes d'approvisionnement en fournitures et médicaments essentiels, tels que les traitements contre les hémorragies, la pré-éclampsie et le paludisme, qui sont les principales causes de mortalité maternelle", regrette l'UNICEF dans un communiqué.
Le rapport fournit d'ailleurs le premier aperçu mondial de l'impact du Covid sur la mortalité maternelle.
"Environ 40.000 décès maternels supplémentaires ont été enregistrés en 2021, soit 322.000 contre 282.000 l'année précédente", précise Jenny Cresswell, scientifique à l'OMS et auteure du rapport. "Cette augmentation est liée non seulement aux conséquences directes du Covid-19, mais aussi aux interruptions généralisées des soins de maternité", a-t-elle indiqué.
Le rapport met aussi en évidence des inégalités persistantes dans le monde.
L'Afrique subsaharienne représentait environ 70% des décès maternels en 2023. Avec une baisse de la mortalité maternelle d'environ 40% entre 2000 et 2023, l'Afrique subsaharienne a réalisé des progrès significatifs et est l'une des trois régions des Nations unies, avec l'Australie/ Nouvelle-Zélande et l'Asie centrale et du Sud, à avoir enregistré des baisses significatives après 2015.
Signe d'un ralentissement des progrès dans le monde, la lutte contre la mortalité maternelle a stagné dans cinq régions depuis 2015 : en Afrique du Nord, en Asie de l'Ouest, de l'Est et du Sud-Est, en Océanie (à l'exclusion de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande), en Europe et en Amérique du Nord, et en Amérique latine/Caraïbes.
Le taux de mortalité maternelle aux Etats-Unis est "très bas" mais "c'est l'un des pays où l'on observe des tendances à la hausse", en progression de 38% entre 2000 et 2023, explique Jenny Cresswell. Elle estime en revanche qu'il est prématuré de se prononcer sur les effets de la levée de la protection fédérale de l'avortement aux Etats-Unis en 2022.
Une sage-femme de la clinique de Jackson (Missouri) qui s'occupe des femmes enceintes, mesure l'estomac d'une parturiente, le 17 décembre 2021.
L'inquiétude liée aux coupes budgétaires se porte aussi sur la mortalité infantile. "Lorsqu'une mère décède pendant sa grossesse ou son accouchement, la vie de son bébé est également en danger. Bien trop souvent, les deux périssent de causes que nous sommes pourtant en mesure de prévenir », estime Catherine Russell, directrice générale de l'UNICEF.
Le 24 mars dernier, un rapport signé par l’Unicef, l’OMS et la Banque mondiale estimait qu'après des décennies de progrès durement arrachés, la lutte contre la mortalité infantile pourrait subir un brutal coup d’arrêt. Si les États-Unis ne sont pas explicitement nommés, ce rapport était publié près de deux mois après l’annonce par l’administration de Donald Trump de la suppression de la majeure partie des programmes de l'USAID, dont le budget annuel était de 42,8 milliards de dollars. Chaque jour, ce sont 5000 femmes qui "subissent l’expérience déchirante d’avoir un bébé mort-né", souligne ce rapport. En 2023, 1,9 million de nouveau-nés n’ont pas survécu après 28 semaines de grossesse.
Lire aussi dans Terriennes :
IVG restreinte aux États-Unis : la mortalité infantile en hausse
Etats-Unis : pourquoi cette mortalité record pour les femmes noires dans les maternités ?
Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité chez les femmes