Sous le #MosqueMeToo (#Mosquée moi aussi), des milliers de musulmanes continuent de dénoncer le harcèlement et les agressions sexuelles subies lors de leur pèlerinage à La Mecque, en Arabie-Saoudite. La journaliste americano-egyptienne, Mona Eltahawi, a lancé ce hashtag spécifique pour ces femmes qui "se sentent exclues de #MeToo parce qu'elles ne sont ni blanches, ni célèbres". Elle est, depuis, la cible d'une campagne de cyberharcèlement.
La vague de libération de la parole poursuit sa déferlante balayant chaque jour, de plus en plus, tout préjugé qui tenderait à croire qu'il y aurait des exceptions. Des lieux exempts de harcèlement et d'agressions sexuelles envers les femmes. Il n'en existe pas, comme vient nous le rappeler le tweet d'Anggi Lagorio :
"Les gens pensent que La Mecque est l'endroit le plus sacré pour les musulmans, donc personne n'y ferait rien de mal. C'est totalement faux."Comme Anggi, plusieurs musulmanes relatent, depuis le 5 février, avec le #MosqueMeToo, les violences qu'elles ont subies lors du hadj, le pèlerinage à La Mecque, qui rassemble deux millions de pèlerins venus du monde entier chaque année en Arabie saoudite. Les femmes représentent un peu moins de 50 % des pèlerins.
Mona Eltahawi initiatrice du #MosqueMeToo
Tout débute avec un post Facebook de la Pakistanaise Sabica Khan dans lequel elle raconte avoir été harcelée sexuellement, à plusieurs reprises, alors qu'elle accomplissait la tawaf, qui consiste à faire sept fois le tour de la Kaaba (bâtiment cubique de la grande mosquée). Elle a subi des attouchements qui l'ont "
littéralement pétrifiée", écrit-elle, avant de conclure que toute son "
expérience à la ville sainte a été éclipsée par cet horrible incident". D'autres musulmanes ont alors répondu à son post, en partageant des expériences similaires, comme le rapporte
le site stepfeed dans un article (en anglais).
Dans la foulée, la journaliste féministe américano-egyptienne, Mona Eltahawi, relaie cet article et lance le hashtag #MosqueMeToo (MosquéeMoiAussi, en français) :
"J'ai partagé mon expérience d'agression sexuelle pendant le hadj en 1982 alors que j'avais 15 ans dans l'espoir que cela aiderait les femmes musulmanes à briser le silence et le tabou qui entourent leur expérience de harcèlement ou d'agression sexuelle pendant le hadj ou dans des lieux sacrés." Elle subit depuis une campagne de cyberharcèlement qui n'en finit pas. La journaliste a compilé une partie de ces attaques répétées dans un tweet :
"1. Vous êtes trop moche pour être agressée
2. Vous avez été payé pour dénoncer
3. Vous voulez juste être célèbre
4. Vous voulez juste l'attention
5. Vous voulez détruire l'Islam
6. Vous voulez que les hommes musulmans aient l'air mauvais
7. Vous êtes une putain etc. etc. etc." De nombreux internautes ont également reproché à Mona Eltahawy d'avoir attendu plus de 30 ans avant de raconter son agression à la Mecque. Mais elle a aussitôt répliqué dans un tweet, et rappelé qu'en 2013, elle avait déjà rapporté cette agression sexuelle au cours d'une émission de télévision en prime time en langue arabe, en Egypte.
Par le passé, l'écrivaine de 50 ans avait également dénoncé ces violences dans son livre "Foulards et hymens. Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution."
Ces dénonciations avaient été très peu relayées à l'époque, mais avec le #MosqueMeToo, l'activiste féministe est parvenue à déclencher une foule de réactions sur Twitter. Des milliers de femmes musulmanes à travers le monde ont dénoncé des actes d'agressions survenus à La Mecque. Comme cette internaute qui écrit : "
C'est arrivé à ma mère. Mais elle l'a caché à mon père, sinon le hadj aurait été terminé pour lui. Ce mal doit cesser."
"J'ai aussi été harcelée à La Mecque et à Médine pendant le hadj quand j'avais une vingtaine d'années. C'était dégueulasse et ça m'a déroutée. Je l'ai dit à mes parents tout de suite, mais je n'ai pu donner les détails que l'année dernière", assure une autre internaute, Bunga Manggiasih
D'autres ont insisté sur la pression qui pèse sur les victimes lorsque les violences surviennent dans les lieux de cultes. "
Les femmes musulmanes comme toutes les femmes subissent du harcèlement, mais quand cela arrive dans un contexte religieux, on leur demande de se taire pour une cause plus importante qu’elles. C’est à la fois injuste et oppressif ", a en effet déploré, Aisha Sarwari, éditorialiste et féministe pakistanaise.
Pourquoi un hashtag spécifique et pas le symbolique MeToo ?
Interrogée par la chaîne allemande DW News, l'initatrice a expliqué, dans une vidéo publiée le 12 février, pourquoi elle a choisi de lancer un hashtag spécifique. Selon elle, il fallait créer un mot-clé qui se distinguerait de #MeToo, celui-ci étant dévenu un hashtag réservé à dénoncer ce que les hommes puissants blancs font à des femmes célèbres blanches.
Elle reconnaît toutefois que le #MeToo est une plateforme mondiale mais que certaines femmes "
se sentent exclues de #MeToo parce qu'elles ne sont pas blanches et pas célèbres".
L'initiative a rencontré un écho partout dans le monde. Mais, faits prévisibles, des tweets, avec d'un côté des internautes prostrés dans un déni des violences sexuelles dans les lieux de cultes musulmans et de l'autre, ceux qui déversaient en masse des propos islamophobes, ont émaillé la toile. A ces deux camps, le dessinateur Plantu répond : "
Le problème, c'est pas la mecque, c'est les mecs."
Depuis quelques jours, les hommes sont aussi de plus en plus nombreux à témoigner leur soutien à cette action. A l'image de Farooq Saeed, dans un tweet daté du 15 février, il écrit :
"La seule façon de surmonter le harcèlement est d'identifier le problème et d'aller chercher une solution, ce qui n'est possible que si nous acceptons ce qui se passe vraiment avec les femmes. Plus de pouvoir pour vous et les autres afin d' élever ce problème et créer une prise de conscience."