Mostra de Venise : Roman Polanski, tapis rouge et polémique

Gêne, malaise, colère... La sélection du dernier film de Roman Polanski J'accuse à la 76ème Mostra de Venise relance la controverse autour du réalisateur, condamné pour le viol d'une adolescente dans les années 70 aux Etats-Unis. La présidente du jury du festival a même décidé de boycotter la soirée de gala consacrée au film. Le cinéaste franco-polonais, âgé de 86 ans, qui n'a pas fait le déplacement jusqu'à la Cité des Doges, dénonce un "harcèlement".
Image
polanski
©AP Photo/Francois Mori
En février 2019, les avocats de Roman Polanski ont fait appel pour qu'il soit réintégré au sein de l'Académie des arts et des sciences du cinéma, dont il a été exclu. (Paris, 2017)
 
Image
mostra deneuve binoche
©Arthur Mola/Invision/AP
Catherine Deneuve et Juliette Binoche lors de l'ouverture du 76ème festival de la Mostra de Venise, le mercredi 28août 2019 (Italie) alors que gronde la polémique autour de la sélection du film de Roman Polanski.
Partager7 minutes de lecture

"J'accuse", voilà donc le dernier film de Roman Polanski ... Inspiré du célèbre pamphlet d'Emile Zola, prenant la défense d'un innocent accusé à tord, Alfred Dreyfus.

Faudrait-il y voir une allusion sous-jacente à ce que Roman Polanski plaide depuis toujours, l'innocence, démentant les accusations de viol ? Un viol pour lequel il a bel et bien été condamné, mais dont il n'a jamais purgé la peine, puisqu'il a fui les Etats-Unis pour échapper à sa peine. Cette affaire, malgré les années, et même si la victime elle-même demande que le dossier soit définitivement clos, suscite toujours autant le débat...

anti polanski
En octobre 2017, un groupe de militantes féministes, dont des membres de Femen, avaient manifesté devant la Cinémathèque française à Paris pour protester contre la rétrospective consacrée au cinéaste Roman Polanski.
©AP Photo/Michel Euler

Jusqu'au tapis rouge de la Mostra... Depuis plusieurs jours, de nombreuses voix s'élèvent pour critiquer la présence de ce thriller historique consacré à l'Affaire Dreyfus, avec Jean Dujardin dans le rôle principal, qui indigne les féministes.

"Nous savons tous que le monde a changé après #MeToo", a déclaré à l'AFP la fondatrice du groupe de pression Women and Hollywood, Melissa Silverstein. "La question que je pose est: Est-ce un manque de conscience ou une indifférence délibérée ?".

(traduction: Imaginez que vous soyez à un festival tellement décalé que la direction de votre propre jury vous contredit lors de la conférence de presse d'ouverture. Je compatis avec Lucretia Martel.)

Un malaise Polanski

Le malaise ne se réduit pas au champ des militantes féministes, il atteind les instances internes de la Mostra. Et même parmi les plus hautes. Lors de la conférence de presse inaugurale, Lucrecia Martel, qui n'est autre que la présidente du jury cette année, a reconnu être "très gênée" par la sélection de ce film,
 
Je représente beaucoup de femmes qui se battent en Argentine pour des questions comme celle-là, et je ne souhaite pas me mettre debout et applaudir !
Lucrecia Martel, présidente du jury 2019 de la Mostra

La réalisatrice a indiqué, dans un premier temps, qu'elle "n'assisterait pas" à la soirée de projection officielle du film ce vendredi 30 août.

"Je représente beaucoup de femmes qui se battent en Argentine pour des questions comme celle-là, et je ne souhaite pas me mettre debout et applaudir", a-t-elle ajouté, tout en soulignant cependant qu'elle avait "vu que la victime considérait l'affaire close". "Exclure ou mettre Polanski (en compétition) nous oblige à discuter, ce n'est pas une question simple à résoudre", a-t-elle dit.

Défendre l'oeuvre au-delà de l'homme ?

Que s'est-il ensuite dit dans les couloirs du festival pour que la même présidente du jury revienne sur ses propos un peu plus tard  ? Il est vrai qu'une telle polémique risque de ternir l'image "glamour" du festival vénitien. Dans un communiqué officiel, Lucrecia Martel a tenu à préciser que ses paroles avaient "mal comprises" et qu'elle n'est "en aucune façon opposée" à la présence du film de Roman Polanski en compétition. Elle a ajouté qu'elle n'avait "aucun préjugé" sur cette oeuvre et la regarderait "de la même façon que tous les autres films de la compétition". 

De son côté, le directeur de la Mostra, Alberto Barbera, lui, reste droit dans ses bottes sous couvert de défendre l'oeuvre du cinéaste : "Je suis convaincu qu'il faut faire une distinction très claire entre l'homme et l'artiste". "C'est l'un des derniers maîtres toujours actifs du cinéma européen", explique-t-il. "J'ai vu le film de Polanski, je n'ai eu aucun doute et j'ai décidé de l'accepter".

"Paradoxalement, on peut aussi apprécier le travail d'un criminel", renchérit la réalisatrice italienne Susanna Nicchiarelli, membre du jury, comme le rapporte dans un tweet un journaliste du Corriere della sera.
 

Des critiques d'une violence inouie et totalement excessives.
Catherine Deneuve

Sans surprise, dans le camp des défenseurs de Roman Polanski, Catherine Deneuve est montée au créneau, comme elle l'a régulièrement fait par le passé. Dans une déclaration recueillie par l'AFP, elle juge les critiques sur sa sélection "d'une violence inouie" et "totalement excessives".
 

"Harcelé" 

Pour ce qui est du cinéaste, aujourd'hui âgé de 86 ans,  il n'a pas fait le déplacement à Venise pour présenter son film. Roman Polanski est toujours poursuivi par la justice américaine pour le viol d'une adolescente en 1977. 
 

Dans un entretien accordé au romancier Pascal Bruckner, Roman Polanski est revenu sur les accusations d'agression sexuelle qui pèsent sur lui depuis plusieurs années.
Le réalisateur se dit "harcelé", et trouve même dans l’affaire Dreyfus quelques ressemblances avec sa propre histoire : "Je peux voir la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n'ai pas faites. La plupart des gens qui me harcèlent ne me connaissent pas et ne savent rien sur l'affaire." 

 

Polémique dans la polémique

Ajoutant à la polémique, la présence dans une section parallèle d'"American Skin", le nouveau film de Nate Parker. Le réalisateur américain de "The Birth of a Nation" a été acquitté en 2011 du viol d'une étudiante. Cette sombre histoire a ressurgi en 2016, via la couverture de Variety. Le magazine révélait que la victime s'était suicidée en 2012 dans un centre de désintoxication. La jeune femme avaient accusé le cinéaste et son colocataire au moment des faits, lui-même également poursuivi puis blanchi, de l'avoir harcelée et suivie après son dépôt de plainte pour viol.
 

 "Polémique : Venise trouve de la place à Roman Polanski et Nate Parker alors qu'il accueille une minorité de réalisatrices", titrent plusieurs articles sur le net.
 

Les présences en sélection des films de deux réalisateurs controversés sont d'autant plus décriées que le festival accueille cette année peu de femmes réalisatrices dans la compétition. Deux seulement ont été sélectionnées, la Saoudienne Haifaa Al-Mansour avec "The Perfect Candidate" et l'Australienne Shannon Murphy avec "Babyteeth".

Interrogé à ce sujet, Alberto Barbera a tenté de se justifier en expliquant que s'il avait trouvé d'autres réalisatrices à mettre en compétition, "il les aurait acceptées". Il s'est dit "tout à fait contre les quotas de femmes quand on fait une sélection",  estimant que cela serait selon lui, "une erreur effarante". Position totalement à l'opposé de la présidente du jury, Lucrecia Martel, qui elle, s'est exprimée clairement en faveur des quotas. "Ca ne me plaît pas mais je ne connais pas d'autre système", a-t-elle dit. "Il faut donner aux femmes la place qui leur est due".
 

Quotas ou non... Sur son compte twitter, la fondatrice du groupe de pression Women and Hollywood, Melissa Silverstein se félicite que le Festival du film de Londres, qui aura lieu du 2 au 13 octobre 2019, affiche 60% de femmes dans sa compétition. Comme quoi, tout est possible...