"Musée du patriarcat", vision dystopique d'un avenir égalitaire

Et si en ce 8 mars 2025, on se donnait rendez-vous en 2035 au vernissage du Musée national du patriarcat ? Un scénario imaginé comme acte de résistance face à un régime patriarcal qui ne semble pas prêt de disparaître ... Entretien avec Ynaée Benaben, co-fondatrice de l'association En Avant Toute(s) à l'initiative de cette campagne.

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affiche métro musée patriarcat

Affiche de la campagne d'En avant toute(s) promouvant le Musée du patriarcat, un musée fictif en 2035.

© En avant toute(s) / Artefact
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Imaginer un futur où le patriarcat ne serait plus qu'un -mauvais ?- souvenir, cela reviendrait à "rêver d'un monde où la liberté et l'égalité sont enfin une réalité", lit-on sur le document présentant cette campagne d'affichage imaginée par l'association En avant toute(s), créée avec l'agence Artefact 3000.

Femme au foyer des années 50, "manspreading" dans le métro, contraception féminine : dans ce musée fictif, chaque affiche met en scène des "artefacts" du patriarcat, comme autant de souvenirs d'une époque où l'égalité n'était qu'un idéal. Sur chaque affiche, un QR code nous renvoie au site du musée avec ce message : "Hélas, ce musée n'existe pas encore." Chaque visiteu.r.se est invité à faire un don en soutien à l'action de l'association qui lutte au quotidien pour l'égalité et contre les violences faites aux femmes. 

Billets musée patriarcat

Courez donc acheter votre billet pour le Musée national du patriarcat !

© En avant toute(s) / Artefact

Et si ce musée devenait réalité ? Nous avons posé la question à Inae Benaben, présidente d'En avant toute(s).

Entretien avec Ynaee Benaben

Terriennes : d'où est venue l'idée d'un musée du patriarcat et qu'est ce que vous avez voulu démontrer avec ce scénario?

Ynaee Benaben : L'idée du musée national du patriarcat, c'était de prendre un peu à l'envers la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. Et c'est né d'une conception de l'agence Artefact 3000, qui est venue à nous En avant toute(s) pour qu'on utilise l'humour afin de contourner les stéréotypes qui existent aujourd'hui, et puis pour mettre un petit peu d'espoir et de drôlerie dans le quotidien. Pas toujours facile sur les questions d'égalité.

Il y a par exemple une œuvre que moi j'aime beaucoup, qui est la chaussette sale, la fameuse chaussette posée à côté du linge sale, au lieu d'être soit dans le linge, soit directement lavée. Et elle représente, je trouve, vraiment la charge mentale. Yanaée Benaben, cofondatrie En avant toute(s)

On accuse souvent les féministes d'être trop radicales ...
On voit en tout cas que l'humour, c'est aussi une bonne manière de souligner le ridicule de certains comportements aujourd'hui. Le ridicule de certaines inégalités, et aussi de les rendre plus petites, c'est de voir qu'on peut agir dessus finalement, tous et toutes, aussi bien au niveau des sociétés, avec des lois, des changements à grande échelle, que dans notre quotidien et dans notre intimité.
 
Pouvez-vous nous citer un exemple de stéréotype qu'on retrouve dans ce musée ?
Il y a par exemple une œuvre que moi j'aime beaucoup, qui est la chaussette sale, la fameuse chaussette posée à côté du linge sale, au lieu d'être soit dans le linge, soit directement lavée. Et elle représente, je trouve, vraiment la charge mentale et l'absurdité de ce que suppose le fait de la poser à côté.
Et ça montre bien qu'il y a une répartition très inégale aujourd'hui entre les femmes et les hommes.
 
Visite musée patriarcat

Visite guidée imaginaire d'un musée du patriarcat, un régime qui aurait disparu en 2035 ?

© En avant toute(s) / Artefact
 

S'il fallait donner une définition du patriarcat, quelle serait la vôtre en quelques mots ? 

Le patriarcat c'est vraiment le système qui organise la domination des hommes sur les femmes aujourd'hui dans notre société mais aussi dans la grande majorité des sociétés au niveau mondial. L'objectif du musée c'est de se dire ça y est on est en 2035 le patriarcat n'existe plus mais il n'est pas oublié pour autant et donc on le regarde dans cet espace qui est un peu un espace de mémorial de ces comportements qui ne seraient plus. Disons honnêtement c'est optimiste, il va falloir probablement beaucoup plus de temps que ça mais c'est aussi parce qu'on se donne cette projection que ça nous donne l'élan de continuer, d'inventer, de se mobiliser, de s'unir.

A qui s'adresse cette campagne ? 

Cette campagne elle s'adresse à tout le monde ! Elle s'adresse à toutes celles et ceux qui ont envie d'un joli futur, qui pensent qu'on peut s'aimer sainement, qui pensent qu'on peut réinventer des relations sociales qui soient plus équilibrées, plus égalitaires et puis qui ont envie de faire les choses joliment avec tendresse.

affiche contraception musée patriarcat

Et si, en 2035, la contraception n'était plus seulement une affaire de femmes ?

© En avant toute(s) / Artefact

Sur la contraception mais aussi sur l'égalité professionnelle, sur la question des violences, on est quand même à des années-lumières d'une égalité réelle. Ynaée Benaben

Quand on voit les affiches de la campagne, on a quand même du mal à y croire ... Une contraception qui pourrait aussi être masculine, vraiment ?

On a l'impression qu'on est à des kilomètres de pas mal des oeuvres à vrai dire. Elles démontrent à quel point c'est absurde la manière dont sont ancrés des imaginaires. Souvenez-vous d'un temps où la contraception n'était que féminine parce que c'est bien le cas. Et effectivement sur la contraception mais aussi sur l'égalité professionnelle, sur la question des violences, on est quand même à des années-lumières d'une égalité réelle. Pour autant ça bouge grandement. Et le fait que ce musée national aujourd'hui apparaisse avec cette campagne en est une démonstration. Le fait qu'on soit aujourd'hui ici pour en discuter et que ça intéresse de plus en plus de monde, c'est bien qu'on se sent tous et toutes concerné;e.s. Donc ça va être important qu'on ne lâche rien.

S'il fallait choisir l'un des thèmes abordés dans ce musée, quel serait-il ? 

Je pense que le manspreading est très beau parce qu'il est une représentation de l'espace. Donc c'est vraiment la place investie physiquement par les femmes et aussi parce qu'au moment du questionnement très fort qui a émergé suite à MeToo sur les réseaux sociaux, le manspreading s'est imposé initialement comme quelque chose de très anodin et pourtant très significatif. Et je trouve que le remettre là, sur une affiche, comme quelque chose qui est un détail si déterminant, c'est aussi une bonne manière de se rappeler que les petites choses sont parfois les plus grandes.

Un petit rappel peut-être nécessaire, le manspreading c'est quoi ?

Le manspreading c'est le comportement qu'ont de nombreux hommes de s'asseoir les jambes écartées dans des espaces publics en occupant donc tout l'espace sans se soucier des femmes qui peuvent être autour.

Certaines oeuvres relèvent du passé, comme la femme dans la cuisine, image des années 50, pourquoi y revenir ?

Il y a certaines œuvres qui relèvent du passé justement parce que c'était important de nous inscrire dans l'histoire, c'est à dire que le patriarcat on en parle aujourd'hui parce qu'on l'hérite. C'était aussi l'idée d'un musée, c'est de se rendre compte que ce sont des héritages, ce sont des vécus qui ont été transmis de génération en génération, on n'en est pas exempt et donc ça ne disparaît pas du jour au lendemain et puis on les porte, on les véhicule nous aussi, ça fait partie de la manière qu'on a de se représenter les autres, de nous représenter au monde et donc les années 50 oui mais finalement les années 70 aussi sont représentées comme les années 2000 et puis c'est un chemin qu'on essaye de continuer de maintenir surtout.

Chaque 8 mars, le monde semble s'intéresser à la condition des femmes ... A quand la fin du 8 mars ? 

Idéalement on ne servirait plus à rien ! (rires) Moi j'ai hâte que l'association n'ait plus de raison d'être. Il va nous falloir du temps, il va nous falloir beaucoup d'énergie, beaucoup d'investissement. Et puis on est dans un moment aussi où politiquement on sent plein de fragilité, beaucoup de vulnérabilité, où il y a une géopolitique tendue. Et on sait que les crises sont aussi des moments où les droits des femmes sont vite remis en question.

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