Fil d'Ariane
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Née Jeanne Roques, à Paris en 1889, son père est compositeur et sa mère est peintre, la jeune fille trouve ce pseudonyme dans « Fortunio », un roman fantastique de Théophile Gauthier. Encouragée par sa mère, Musidora suit des cours d’art à l’académie Fremiet (le grand sculpteur animalier). Elle est très douée, mais c’est en tant qu'actrice et pas comme peintre qu’elle se fait remarquer en 1910 dans une pièce d’Aristide Bruant « La Loupiotte » . A partir de ce moment, Musidora se consacre à la scène. La jeune débutante connait le succès deux ans plus tard au Bataclan dans la revue « Ça grise » dont elle partage l’affiche avec Colette. Puis ce sera son premier film « Les misères de l’aiguille », un drame social, en 1913. C’est le moment où le cinéaste Louis Feuillade la découvre et la fait entrer chez Gaumont. Il faut attendre 1915, quand Louis Feuillade est démobilisé, pour que commence le tournage du feuilleton qui la rend célèbre : « Les Vampires ». C’est de ce film, où elle traversait les péripéties les plus insensées, que nous est venu le mot « vamp ».
« Elle est présente dès qu’on s’approche du surréalisme » nous dit Emilie Cauquy – responsable de la valorisation et de l’accès aux collections films à la Cinémathèque française.
Avec ce teint très blanc et ses yeux entourés de khôl, Musidora créé une image inquiétante et originale qui fascine les surréalistes. « André Breton et Aragon, lui écrivent une pièce de théâtre « Le Trésor des Jésuites ». Pierre Louÿs, et Robert Desnos l’admirent. » explique celle qui a conçu cette rétrospective qui lui est consacrée du 3 au 12 janvier.
Sa célébrité d’actrice lui donne les moyens de passer à la réalisation. Elle monte sa maison de production (comme Alice Guy et Germaine Dulac). «C’est Colette qui l’encourage à devenir indépendante et à produire ses propres films. » nous explique Emilie Cauquy. « Elle adapte trois romans de son amie Colette : Minne, La Vagabonde, La Flamme cachée (1916-1918), qui n’ont pas été retrouvés. »
« Dans les archives de la Cinémathèque, on a des scénarios, des notes, des plans de travail. Elle connait vraiment le langage du cinéma. Musidora dès 1916 écrit des critiques dans les journaux. Elle est poussée par Colette bien sûr, mais elle écrit sur le cinéma. Et dans ses documents de travail on voit qu’elle maîtrise complètement le langage, le découpage, plan américain, plan large, ça ne lui pose aucun problème et qu’elle projette complètement son écrit en œuvre de cinéma. », ajoute-t-elle.
Musidora est fascinée par l’Espagne, dont la ruralité et l’aspect sauvage attirent beaucoup d’artistes durant ces années juste après la première guerre mondiale. La réalisatrice y rencontre un torero très célèbre, Antonio Cañero, dont elle tombe amoureuse. Elle vivra quatre ans en Espagne qui sera le théâtre de ses six derniers films.
« La période espagnole correspond à la grande indépendance de Musidora. Elle va profiter de sa fortune, parce qu’elle est très riche quand elle sort de chez Gaumont, pour fonder sa société qui va durer de 1919 à 1925, la Société des films Musidora. Elle va décider de placer son argent pour produire des projets en grande indépendance, des projets qu’elle va écrire, tourner, produire. C’est un peu une Varda avant la lettre… », confie Emilie Cauquy
Mais ça lui coûte très cher car, contrairement à Colette, elle n'est pas une femme d'affaires, «Elle va assez mal placer son argent. Elle est obligée, quand elle tourne ses films en Espagne de faire des allers-retours pour accepter des contrats de music-hall, de chanson afin de financer ses films.»
Musidora met en scène sa propre vie et est une cinéaste à part entière. Cette femme de 35 ans tournera des films très personnels, tout comme Colette qui écrit des romans qui parlent de sa vie et qui sont une source d’inspiration pour les femmes de son époque et encore aujourd’hui. « Elles n’étaient pas des Olympe de Gouge mais … c’est quelque chose de typiquement français : c’était des femmes de tête qui ont su manœuvrer pour faire passer leurs idées car elles étaient super pionnières, super visionnaires et modernes. », lance l'initiatrice de cette exposition.
Mais quand arrive le cinéma parlant en 1928, Musidora cesse complètement de tourner. L'actrice devient auteure de nombreuses pièces de théâtre et même de romans. Ce n’est qu’en 1950 qu’elle reprend la caméra pour réaliser un hommage à Louis Feuillade, une commande d’Henri Langlois, le directeur de la cinémathèque française, « La magique image ». Ce film a disparu, mais pour Emilie Cauquy « il n’y a pas de film perdu, mais plutôt un film mal rangé, qui pourrait un jour ressurgir.»
En 1944, après son divorce, Musidora est contactée par Henri Langlois qui l’emploie à la Cinémathèque française au service historique, puis à la communication. Dans les années 50 il n’y a pas cet intérêt pour les archives du cinéma nous explique Emilie Cauquy. Gaumont vendra pour un franc symbolique toutes ses archives à la Cinémathèque. « Henri Langlois commence tout de suite à faire sauvegarder les films, à tirer les négatifs. Il organise des projections des feuilletons de Feuillade mais dans le désordre, sans cartons, sans accompagnement musical. Toute une génération de jeunes cinéastes – Rohmer, Truffaut, Godard … en a été inspiré. »
Musidora travaille aux archives et ne s’arrêtera qu’à sa mort, en 1957.