Musiques de cinéma : les compositrices veulent se faire entendre

Vladimir Cosma, Ennio Morricone, ou plus récemment Hans Zimmer... Derrière ces noms résonnent des mélodies qui ont bercé de grands moments en salle obscure, mais qui peut citer une compositrice de musique de film ? Invisibilisées dans les génériques, souffrant d'un manque de représentativité et de soutien, les femmes restent aujourd'hui largement minoritaires dans le monde de la musique de cinéma. 
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femmes musiques de cinéma
Les compositrices de film restent largement sous-représentées dans un monde encore très masculin. En 2022, en France, on ne compte que 11% de compositrices de musique à l’image, selon un compte rendu publié sur le site femmedecinema.org.
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En 2022, on ne compte que 11% de compositrices de musique à l’image, et les femmes ne représentent que 16% des personnes ayant touché des droits d’auteur.ice.s à la Sacem. Seulement 15% des bénéficiaires des aides de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) étaient des femmes. Un chiffre néammoins en nette amélioration comparativement à 2019 – elles ne représentaient alors que 3,5% des bénéficiaires de ces mêmes aides (source femmesdecinema.org).

compositrices film panneau
©Le Lab

Selon le rapport du Centre national du cinéma et de l'image animée de 2022 : "Entre 2012 et 2021, la musique originale de 37 projets soutenus par le CNC (Centre national du cinéma) est strictement composée par des femmes, soit 6,7% de l'ensemble des projets aidés". Le CNC recensait 30,6% de films réalisés ou coréalisés par des femmes en 2021. Selon le collectif Femmes de Cinéma, un film sur quatre en France est réalisé par une cinéaste. En Europe, sur 100 films, 22 sont l'oeuvre d'une réalisatrice.

"Cherchez la femme"

"Le milieu du cinéma n'est pas le plus inclusif. C'est catastrophique pour les compositrices de musique de films", affirme Flore Benguigui, chanteuse du groupe L'Impératrice et réalisatrice d'un podcast Cherchez la Femme qui s'est fixé pour mission de sortir de l'ombre les oubliées de l'industrie musicale.

​Dans son podcast, la chanteuse a sorti des limbes Angela Morley, femme trans (née homme, alors Walter "Wally" Stott), restée dans l'ombre de John Williams en tant qu'orchestratrice, c'est-à-dire compositrice en second, pour Star Wars, E.T. et Superman, ou encore Shirley Walker, dont le travail sur le Batman de Tim Burton est relégué au second plan derrière celui de Danny Elfman.

Compositrices trop invisibles, donc "inaudibles" ?

Pour fédérer encore plus largement, Flore Benguigui vient de lancer "Cherchez la Femme" en version table ronde en public, avec mini-concerts de musiciennes, Dj Sets 100% féminins et dégustation de vin de vigneronnes. Ce rendez-vous mensuel à Paris est le prolongement logique de son podcast diffusé tous les mois sur Tsugi Radio, média en ligne. La chanteuse entend ainsi créer du réseau pour les professionnelles de la musique.

Le manque de représentation des compositrices de musique de films a été abordé avec trois d'entre elles, Uèle Lamore, Anne-Sophie Versnaeyen et Julie Roué lors d'un premier rendez-vous en public.

"Les hommes sont assez forts pour se fédérer", constate Anne-Sophie Versnaeyen, qui trouve cependant des exceptions, comme avec Nicolas Bedos, pour qui elle a composé plusieurs musiques, comme celle de La Belle Epoque.

"Les hommes choisissent leurs doubles ; pour les compositrices il y aussi une identification plus évidente avec les réalisatrices", nuance Julie Roué, autrice de la B.O. d'Une femme du monde de Cécile Ducrocq, avec Laure Calamy.

Nous, les femmes, n'avons pas eu cet apprentissage des mecs qui disent "je veux mon nom au générique".
Uèle Lamore, compositrice

"Nous, les femmes, n'avons pas eu cet apprentissage des mecs qui disent 'je veux mon nom au générique'", déplore Uèle Lamore qui a signé la B.O. du film d'Aïssa Maïga Marcher sur l'eau, sorti en 2021.

L'invisibilisation des compositrices de B.O. est en effet une autre partie du problème.
En 2019, deux prix de la Sacem de la musique de films ont été décernés à des compositrices, dont Anne Dudley pour Elle de Paul Verhoeven. 

C’est un domaine d’activité où il y a peu de femmes. Jusque récemment, je ne savais pas si je devais dire : je suis compositeur ou compositrice.
Anne-Sophie Versnaeyen, sur France Info

"C’est vrai que c’est un domaine d’activité où il y a peu de femmes. Jusque récemment, je ne savais pas si je devais dire : je suis compositeur ou compositrice. Comme si je n’avais jamais entendu ce mot "compositrice". Il y en a toujours eues, mais en raison des sociétés dans lesquelles elles vivaient, tout était réservé aux hommes, et notamment les activités créatrices", reconnait Anne-Sophie Versnaeyen, lors de la sortie du film La Belle époque, sur France Info. "Mais s’il y a beaucoup de femmes instrumentistes dans les orchestres, c’est une autre chose de leur confier des compositions ou la direction d’une formation, car ce sont des postes à responsabilité. Cela reste rare, mais le changement est en marche", tenait-elle alors à conclure.

La compositrice, qui a également signé la B.O. du film Mascarade de Nicolas Bedos (selectionné à Cannes hors compétition en 2022), a reçu le premier Prix des auditeurs France Musique-Sacem de la musique de film parmi une sélection de films sortis en salles et sur les plateformes entre le 1er janvier et 30 novembre 2022.

Des quotas, pourquoi pas ?

Pour entrer sous les projecteurs, Uèle Lamore prône l'instauration de "quotas" lié à l'attribution de subventions.

Dans les festivals, quand je suis interviewée par les journalistes, la question 'Qu'est-ce que ça fait d'être une femme ici ?' prend la place d'une autre question, alors que j'aurais pu parler de mon travail.
Julie Roué, compositrice de musique de film

Julie Roué agit au sein de Troisième autrice, un groupe Facebook devenu une association de compositrices de musique à l'image, qui organise des tables rondes sur des "sujets comme la maternité, l'argent, les contrats, ces petits tabous pour les femmes". Le but est "d'armer les jeunes compositrices" de B.O. "pour qu'elles gagnent du temps". "Dans les festivals, quand je suis interviewée par les journalistes, la question 'Qu'est-ce que ça fait d'être une femme ici ?' prend la place d'une autre question, alors que j'aurais pu parler de mon travail", se désole-t-elle.