Fil d'Ariane
Proposer des modèles féminins d’inspiration en tant que femme musulmane n’est pas toujours évident tant les stéréotypes ont la vie dure. Avec l’ouvrage jeunesse et illustré "Musulmanes du monde" dont la sortie est prévue le 30 avril, la journaliste Elise Saint-Jullian souhaite normaliser l’image de ces femmes, et montrer combien certaines ont été des pionnières. À l’occasion de la journée internationale de la femme musulmane, ce 27 mars, Terriennes part à la rencontre des femmes à l’origine de ce projet.
“Je voudrais qu’on arrête de s’attarder uniquement sur le voile des musulmanes”, lance comme un cri du cœur, Elise Saint-Jullian, journaliste et auteure du livre à paraître “Musulmanes du monde”. Elle qui a déjà beaucoup écrit sur les femmes et les religions dans ses articles de presse a eu l’envie d’aller plus loin et de raconter des parcours de femmes brillantes, actives et souvent pionnières, en un mot, inspirantes.
À bientôt 29 ans, la jeune femme a déjà plusieurs années de journalisme derrière elle, notamment pour Terriennes. “J’ai toujours eu envie d’écrire sur ces sujets qui me passionnent, sur lesquels je me pose moi-même des questions”, explique Élise Saint-Jullian. “Pendant plusieurs années, j’ai fait ce travail sur les religions, l’islam en particulier et sur le droit des femmes”, raconte-t-elle. Mais ces thématiques mettent la jeune femme devant une réalité difficile. La représentation des femmes musulmanes est trop souvent le résultat de stéréotypes, selon elle. Avant cela, elle s’y était déjà confrontée elle-même. “Celle qui m’a donné envie d’en savoir plus et d’écrire sur ces sujets, c’est ma meilleure amie, musulmane, rencontrée lors de nos études universitaires”, détaille-t-elle. “Avant elle, je n’avais jamais parlé a une femme qui portait le voile, je ne connaissais rien de l’islam. Je pense sincèrement que j’avais beaucoup de préjugés, tout simplement”, confie-t-elle.
Petit à petit, elle cherche à mieux comprendre l’origine de ces préjugés, en même temps que la place des femmes en islam. C’est une deuxième rencontre majeure qui illumine sa réflexion, Asma Lamrabet, (médecin, et essayiste féministe marocaine), à l’époque directrice du Centre des études féminines en Islam à Rabat. “J’ai été impressionnée par ses travaux de relecture du Coran dans une perspective féministe”, déclare Élise. “En découvrant la richesse de la langue arabe qui permet d’avoir plusieurs significations possibles pour un seul mot, j’ai réalisé aussi que les interprétations les plus courantes du Coran ont été faites par des hommes. Les femmes y sont minorées”, déclare la jeune journaliste.
Pour la jeune journaliste, la religion n’est pas source d’inégalités mais elle comprend qu’elle est plutôt utilisée “pour justifier les inégalités envers les femmes”. Elle découvre aussi la réalité des femmes musulmanes, très différente des stéréotypes présents dans les médias. “Alors j’ai décidé d’interviewer des femmes musulmanes actives, engagées, qui œuvrent pour un monde meilleur et dont plusieurs apparaissent d’ailleurs dans le livre. Je voulais vraiment changer les préjugés autour de ces femmes dans les médias, auprès du grand public”, développe Élise Saint-Jullian
Parallèlement à son travail, la jeune journaliste décide de se convertir à l’Islam, le plus naturellement possible. Elle découvre ainsi une véritable diversité de profils de femmes. “J’ai réalisé qu’on pouvait être musulman et ne pas avoir la meme culture que les autres. On peut être musulmane et s’appeler Élise ou Fatoumata. C’est ainsi que j’ai pris conscience de cette diversité”. Curieuse du monde qui l’entoure, la jeune femme veut aller plus loin que ses articles sur ces femmes. Elle veut offrir aux jeunes adolescentes des modèles féminins pour se construire.
L’idée du livre jeunesse prend forme dans l’esprit de la jeune journaliste. “Il existe déjà de nombreux ouvrages mettant en avant des femmes courageuses aux parcours incroyables comme Rosa Parks, Marie Curie, entre autres. Pourtant peu de femmes musulmanes figurent dans ces livres. La diversité est primordiale, notamment dans la littérature jeunesse, pour que chaque enfant puisse se reconnaître dans des figures qui aident à grandir”, explique-t-elle.
Elle commence alors ses recherches de musulmanes inspirantes, pendant plusieurs mois. Rapidement, Élise Saint-Jullian cible essentiellement des femmes contemporaines. “Il existe déjà beaucoup de livres sur des figures religieuses féminines. Je voulais me concentrer sur des femmes modernes, moins connues, et surtout venant du monde entier”, confie la journaliste. Elle cherche alors, région par région, des femmes au parcours incroyable, mais aussi d’âge différent. “Les jeunes filles (et garçons) pourront s’identifier à ces femmes scientifiques, militantes, entrepreneuses, mais aussi réfugiées, handicapées, en accord avec les différentes facettes de nos identités”, déclare-t-elle.
Pourtant, il n’a pas été simple pour elle de découvrir ces femmes. “Quand on tape ‘femmes musulmanes inspirantes’ sur Google, on est limité à quelques noms, comme Malala Yousafzai, par exemple”. Les ressources en anglais lui offrent un peu plus de possibilités, mais là encore, la manière dont ces femmes sont présentées pose problème à la jeune journaliste. “Elles sont souvent montrées comme des victimes : victimes d’agressions islamophobes ou victimes des hommes de leur communauté. Les femmes musulmanes sont bien plus que cela et ont beaucoup de choses à dire. Les parcours inspirants sont indispensables pour changer le regard que l’on peut porter sur ces femmes musulmanes”, détaille-t-elle.
Loin de toute vision victimaire, le livre “Musulmanes du monde” propose une autre approche. “Je voulais casser cette image de la femme musulmane qui doit toujours se ‘libérer’ de l’emprise d’un homme, qu’il soit son père, son frère. Dans plusieurs histoires de vie que j’ai sélectionnées, on remarque d'ailleurs que les pères ont joué un rôle souvent important dans la destinée de leur fille, en les soutenant dans leurs études, ou choix de vie, au-delà des conventions sociales qui mettent parfois des freins aux filles”, détaille l’auteure. Elle décide donc de rendre hommage à des femmes pionnières dans leurs domaines, comme la première femme à devenir pilote de ligne au Maroc, et dans le monde arabe, Touria Chaoui, ou encore Hawa Abdi, la première femme gynécologue en Somalie. “Ces femmes ont ouvert la voie à d’autres, par leur combativité et leur courage face aux préjugés. Une adolescente pourra se dire par exemple : ‘il n’y a encore jamais eu de femme musulmane qui a osé faire telle chose ou tel métier, mais ce n’est pas grave, moi je serai la première dans le domaine’. C’est l’essentiel”, confie la jeune auteure.
Pour Élise Saint-Jullian, il était évident que ce projet se ferait avec une illustratrice. “Quand on ouvre un livre, si on voit de beaux dessins qui accompagnent le texte, je trouve que cela a bien plus d’impact, surtout auprès des jeunes”, avoue-t-elle. Elle découvre via le réseau Instagram, LK. Imany qui travaille beaucoup autour des représentations des minorités. “C’était primordial pour moi que ce soit une illustratrice musulmane pour mettre en avant ces femmes”, explique-t-elle.
C’est au moment des Césars 2020, que la journaliste contacte l’illustratrice, pour lui parler de son projet de livre. Cette dernière avait publié des dessins représentant les actrices Adèle Haenel et Aïssa Maïga, mais aussi de Soraya Hachoumi (actrice principale du film Soumaya), qu'elle aurait aimé voir nominée lors de cette soirée.
À ce moment, la jeune femme de 29 ans, architecte paysagiste de formation, venait de mettre sa carrière en pause, pour se consacrer au dessin et à l’écriture. “J’ai toujours dessiné, mais prise par mes études et ma carrière, j’avais arrêté pendant neuf ans”, explique LK. Imany. “J’avais envie de plus de diversité dans les œuvres culturelles françaises”, détaille-t-elle. La jeune artiste porte le manque de représentation comme une lutte de tous les instants. “J’ai vraiment l’impression que rien n’est fait pour nous, on n’existe pas. Je suis une femme d’origine maghrébine, musulmane et je porte le foulard. C’est le combo gagnant pour le manque de représentation”, annonce LK. Imany. “On a vraiment l’impression que nos narrations, nos vécus n’ont pas de valeur. Il existe des traductions d'œuvres en anglais qui ont eu du succès, mais rien n’est fait pour des œuvres en français”, déplore la jeune artiste.
La rencontre virtuelle avec Élise Saint-Jullian et son projet de livre tombait à pic pour LK. Imany. “Quand j’ai reçu son manuscrit, j’étais ravie. C’était vraiment le projet qu’il me fallait !”, s’exclame-t-elle. L’idée d’être elles aussi dans une posture de pionnières, avec ce projet de livre, a ravi les deux jeunes femmes. “Avec tout ce qui s’est passé sur les questions de races, du patriarcat, je ne pouvais qu’être partante”, conclut LK. Imany.
À un mois de la sortie du livre, Élise et son illustratrice LK. Imany participent à la journée internationale de la femme musulmane via l’événement en ligne organisé par l’association Lallab, pour parler de leur travail sur le livre “Musulmanes du monde”. C’est également ce jour là que les pré-commandes du livres seront ouvertes auprès de la maison d'édition. Un choix qui a tout son sens pour Ouafa Mameche. "Cette journée, lancée en 2017 pour faire résonner les voix des femmes musulmanes, dans leur diversité et leur pluralité, a totalement le même but que cet ouvrage", explique-t-elle. "Personnellement, j'ai connu cette journée lancée par une féministe américaine, par le biais de l'association Lallab, qui organise tous les ans des évènements ce jour-là. Il était alors naturel de coordonner le lancement avec la journée de Lallab. Elles ont eu la gentillesse de laisser un créneau à Elise et LK. Imany afin de présenter le livre", poursuit-elle.
À un mois de la sortie du livre ces jeunes femmes ont hâte de l'avoir enfin entre les mains et de voir comment le jeune public va réagir. Les réactions sur les réseaux sociaux, lors de la publication de la couverture ont été très positives pour la jeune éditrice. "Elles ont dépassé nos espérances. Nous savions qu'un tel livre manquait cruellement dans le paysage littéraire et les réactions enthousiastes nous ont confortés dans notre choix de publication. Des femmes mais aussi des hommes avaient hâte de le commander pour en offrir aux enfants et adolescents autour d'eux, de découvrir et de faire découvrir ces femmes à leurs enfants, frères et soeurs", s'enthousiasme Ouafa Mameche.
Élise Saint-Jullian tient, elle, à affiner son propos avant la sortie. "Ce livre aurait pu contenir des milliers de femmes. J’ai choisi des femmes qui ont accompli des choses significatives dans l’histoire. Mais en réalité il y a tellement de femmes musulmanes courageuses dont on ne parle jamais. Pour moi les infirmières, les femmes de ménage, les auxiliaires de vie, les nourrices, les caissières, les ouvrières, les institutrices, toutes ces femmes qui prennent soin des autres et du monde sont aussi des héroïnes. Elles sont aussi des modèles à suivre", déclare-t-elle.