Mutilations génitales à Singapour : la tradition qui perdure à l'ombre des gratte-ciels

Singapour, mosaïque culturelle et ethnique d'Asie du Sud-Est, et l'un des pays les plus riches au monde. Une façade ultramoderne et cosmopolite qui dissimule une société traditionnelle pratiquant les mutilations génitales féminines. Celles-ci restent même très répandues dans la communauté malaise où, souvent, les femmes ne réalisent qu'elles en ont été victimes qu'à l'adolescence ou l'âge adulte.
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3 musulmanes à Singapour
Une jeune fille et deux musulmanes plus âgées devant un présentoir à chapeaux en mars 2009, à Singapour, ville-État de 5,7 millions d'habitants à la société multiculturelle et multiraciale. 
 
©AP Photo/Wong Maye-E
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A 22 ans, Saza Faradilla a découvert qu'elle avait subi une mutilation génitale quand elle était bébé, une pratique controversée qui persiste dans la minorité malaise musulmane de Singapour. "Je me suis sentie trahie", raconte-t-elle. Saza n'a appris avoir subi cette mutilation que le jour où elle a protesté contre l'opération prévue pour une jeune parente. "J'étais extrêmement choquée, et je me sentais vraiment, vraiment violée", explique la jeune femme de 26 ans. Saza a alors interrogé sa mère. "Elle m'a dit que j'avais été 'coupée' parce qu'elle ne voulait pas que je devienne adultère, parce que c'est plus propre, et que cela fait partie des traditions religieuses".

Ici, l'opération passe généralement par une ablation d'une partie du clitoris ou du capuchon du clitoris - une procédure moins extrême que ce qui peut se pratiquer ailleurs. Reste qu'il s'agit d'une violation des droits des femmes qui doit cesser, soulignent les militantes locales. Saza Faradilla, elle, a décidé de passer à l'action : avec un groupe de femmes, en majorité musulmanes, elle fait campagne sur Internet, les réseaux sociaux et sur des tracts pour combattre les idées reçues sur les mutilations génitales féminines ; elles organisent aussi des ateliers pour venir en soutien à celles qui les ont subies.

La sexualité des femmes encore tabou

musulmanes singapour
Femmes musulmanes devant l'icône de Singapour, le Merlion, en février 2006.
©AP Photo/Darren Soh

Difficile cependant, de s'attaquer à un sujet aussi tabou que la sexualité des femmes. La réticence de la communauté malaise à en discuter ouvertement rend ce combat encore plus ardu, expliquent les militantes. Accusées de ne pas être de bonnes musulmanes, certaines cachent leur engagement à leur famille pour éviter les tensions.

Il n'existe pas de statistiques sur ces mutilations à Singapour, mais selon un sondage empirique effectué par les militantes auprès de femmes musulmanes, 75% d'entre elles sont concernées. La communauté malaise musulmane représente environ 10% des 5,7 millions de Singapouriens, en majorité d'origine chinoise. Sur ce délicat sujet, le Conseil islamique de Singapour, qui fournit des conseils religieux, s'est prononcé contre les mutilations sexuelles "dont il a été médicalement prouvé qu'elles créent des dégâts".

Informer pour changer les habitudes

On observe cependant peu de signes de recul des mutilations génitales féminines à Singapour, où elles ne sont ni interdites, ni officiellement condamnées. Les militantes ne demandent pas d'interdiction, craignant que la pratique se fasse alors clandestine, mais elles voudraient que les autorités disent clairement qu'elle n'est pas médicalement souhaitable et que le Conseil islamique souligne qu'il ne s'agit pas d'une obligation religieuse. Mais les vieilles habitudes sont difficiles à changer. 

Je ne saurai jamais ce que c'est de se sentir entière, ou pure. On m'a volé cela.

Zubee Ali, militante contre les MGF

Zubee Ali a subi, enfant, une mutilation génitale. Malgré la pression sociale, elle a refusé que ses deux filles en soient victimes. Mais cette femme de 59 ans n'a pas pu convaincre ses frères et soeurs de l'éviter à ses nièces et petites-nièces. "C'est une pratique qui n'a aucun sens, et va à l'encontre de la façon dont nos filles devraient être éduquées", affirme-t-elle. Au-delà de la douleur de l'opération, Zubee regrette d'avoir été privée pour toujours d'une partie d'elle-même. "Je ne saurai jamais ce que c'est de se sentir entière, ou pure. On m'a volé cela".

200 millions de filles

Les Nations unies estiment qu'au moins 200 millions de filles et de femmes ont déjà subi une mutilation génitale dans le monde. 31 pays à travers l'Afrique, le Moyen orient ou l'Asie sont concernés, même si l'ampleur exacte du problème reste difficile à mesurer.

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Six petites filles sont mutilées toutes les minutes dans le monde.
©capture d ecran/source UNICEF
Une partie des musulmans estiment que cette pratique traditionnelle est importante pour la santé et le développement moral des jeunes filles, et qu'elle ne doit pas être remise en cause. Certains arguent que c'est un moyen de brider la libido des femmes et d'éviter qu'elles soient infidèles. L'Organisation mondiale de la Santé considère pourtant que les mutilations génitales représentent un risque pour la santé, viole les droits des filles et constitue "une forme extrême de discrimination sexuelle". Message unanimement relayé par les organisations internationales.