Myriam Chalek, la créatrice de défilés de mode hors-normes qui s'empare du #MeToo

Pour son défilé lors de la fashion week de New York, Myriam Chalek avait des exigences particulières concernant le recrutement des mannequins. Et, pour une fois dans le monde de la mode, celles-ci n’étaient pas d’ordre physique. Cette créatrice franco-algérienne voulait que toutes les femmes qui défilent aient "une expérience #balancetonporc" à raconter : harcèlement sexuel, agression sexuelle ou viol.
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Myriam Chalek
Myriam Chalek, créatrice de défilés de mode hors normes, dans son atelier à New York. (c) Charlotte Oberti
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Lors de cet événement, qui s'est tenu le 9 février, huit femmes, dont deux seulement sont mannequins professionnelles, ont à tour de rôle raconté leurs douloureuses expériences face au public. Un show censé bousculer les mentalités et dénoncer les violences faites aux femmes.

Myriam Chalek, 30 ans, a été directement inspirée par le mouvement féministe aux Etats-Unis dans l'organisation de ce "#MeToo Fashion Show". "J’ai senti la responsabilité de contribuer à ce mouvement et au changement qui est en train de se produire. J’espère que cela inspirera d’autres femmes à parler à leur tour", déclare Myriam Chalek, quelques jours plus tard, dans son petit atelier de Manhattan niché au dernier étage d’un immeuble modeste.
 

Des shows alternatifs

La jeune femme est une adepte des shows alternatifs. Pour elle, le podium d’un défilé de mode est davantage une tribune qu’un piédestal pour des personnes au physique parfait. "La mode est avant tout un art, et l'art est un moyen de faire circuler un message", estime-t-elle. Quitte à ce que le message prenne le pas sur les collections. "J'accepte volontiers que les tenues que je présente soient reléguées au second, voire au troisième plan."
 

On me demandait toujours de trouver des mannequins mesurant au minimum 1,75 mètre et faisant une taille 0. Toujours.Myriam Chalek, créatrice de mode
Pour Myriam Chalek, les défilés de mode sont de toute façon "un truc en plus", un bonus dans sa vie active déjà chargée. Arrivée il y a sept ans aux Etats-Unis, le pays de l’entreprenariat, "pour faire de l’argent", cette diplômée en droit du commerce international a d'abord exercé comme professeur de français et de commerce avant de varier les activités. Elle dirige désormais une entreprise de consigne à bagages, a un pied dans le secteur de l’immobilier, est vice-présidente de l’association caritative "Donnons-leur une chance", qui apporte un soutien financier, moral et matériel aux personnes dans le besoin. Mais surtout, depuis 2012, elle dirige sa compagnie de mode, rebaptisée depuis un an "American Wardrobe". Elle accompagne via cette structure des designers dans la création et le développement de leur ligne de vêtements.

Dans les premiers temps, elle répondait aux requêtes des créateurs sans broncher. "On me demandait toujours de trouver des mannequins mesurant au minimum 1,75 mètre et faisant une taille 0. Toujours. Mais à mes débuts, je ne pensais même pas à m'opposer à ces normes", admet-elle.

Des personnes de petite taille ou aveugles sous les projecteurs

Petit à petit, Myriam Chalek prend de l’aisance financière et, avec elle, une liberté de ton. Un jour, en faisant du shopping, elle voit une personne de petite taille acheter des vêtements au rayon enfants, faute d’options. La frustration qu’elle ressent chez cette femme à qui elle va parler devient la sienne. Où sont les rayons petite taille dans ces magasins pourtant équipés de section pour les fortes corpulences ? L’idée est née.

En 2014, Myriam Chalek inaugure "l’International Dwarf Fashion Show", des défilés réservés aux personnes de petite taille, ou "PPT" comme elle les appelle, qui ont depuis voyagé à Paris, New York, Tokyo et Dubaï"( voir vidéo ci-dessous). Deux ans plus tard suivra le "Blind Fashion Show", pour les aveugles.
 
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Dans ces défilés, les aveugles sont guidés, selon leur degré de cécité, à l’aide d’un discret fil courant le long du podium. Les vêtements portés sont par ailleurs pensés pour leur côté tactile. "On privilégie les différences de textures et on utilise des éléments comme le sequin double face, agréables au toucher", précise Myriam Chalek.
 
Je voulais prouver qu’il était possible d’avoir tout un défilé avec uniquement des personnes de petites tailles ou des aveugles. Myriam Chalek
Pour cette autodidacte, l’enjeu est de se focaliser uniquement sur un groupe de personnes en laissant de côté la masse. "Certains designers font parfois défiler une personne de petite taille ou un aveugle, parmi d’autres mannequins. Je voulais prouver qu’il était possible d’avoir tout un défilé avec uniquement des PPT ou des aveugles. Je veux montrer à la société qu’elle a des perceptions erronées par rapport aux handicaps, ajoute-t-elle. La beauté est une notion tellement subjective. Ce ne sont pas des caractères physiques ou les traits du visage qui rendent une personne belle. C’est quelque chose de personnel. C’est une énergie."
 
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Création de Myriam Chalek (c) Crédit photo Charlotte Oberti

En mars, Myriam Chalek prévoit d’ouvrir à New York un showroom de haute couture dédié aux femmes de petite taille, "Little women fashion". En mai, elle s’envolera avec des modèles aveugles pour Dubaï. Et pour la suite, elle affirme rester ouverte à toute option. "J’ai reçu un email d’un homme qui mesure 2,51 mètres et qui est intéressé par ce que je fais. Pourquoi ne pas faire un défilé avec des géants ? Ou encore avec des vétérans de guerre (dont le nombre aux Etats-Unis est estimé à 20 millions selon l’organisation American Veterans, NDLR) ?"

Une seule chose ne tente pas Myriam Chalek : faire des shows traditionnels. "C’est déjà fait, alors quel intérêt ? Il faut sortir de la norme."