Fil d'Ariane
Sur la couverture de Nage libre, la silhouette d'une femme semble prendre son envol sur la toile de fond d'un ciel au crépuscule : les 19 nouvelles qui composent le recueil Nage libre parlent de désir de liberté et d'épanouissement, de détermination et d'instants de grâce, mais aussi de ce qu'il peut en coûter de souffrance et de renoncement à faire un choix. Déclinés sur le mode du conte fantastique, de la scène du quotidien, de l’intrigue policière ou du roman psychologique, ces moments de la vie de femmes sont actionnés par de grandes ou petites décisions, toujours libératrices et décisives.
Les nouvelles de Laure de Rivières questionnent les choix de vie. Elles renvoient au passé à travers des scènes d'enfance qui réveillent les sensations fondatrices. A la solitude, comme celle de la mère de famille qui choisit l'avortement face à une nouvelle grossesse, sans rien dire à son mari. D'autres arrachent de francs éclats de rire, comme la conversation au petit déjeuner entre deux ados et leur mère, ou entraînent du côté sombre et animal de l'être, avec cette citadine qui s'enfonce au coeur de la forêt en quête du brame des cerfs. Sous la plume de l'autrice, ces portraits de femmes de tous les âges et de toutes les générations sonnent juste et brossent un portrait en creux de notre époque.
Aux questions de Terriennes sur les remous qui, dernièrement, agitent la société et font bouger les marques entre femmes et hommes, Laure de Rivières répond depuis la Californie, où elle s'est installée avec sa famille. Elle parle aussi de courage, de liberté, de curiosité, de besoin d'ailleurs et de sa vie de famille "nomade". Et des Etats-Unis de Donald Trump ou de l'affaire Weinstein.
C’est un patchwork de plein de femmes, soit rencontrées au cours de mes pérégrinations, soit piochées dans les albums de famille (pas toujours les miens d’ailleurs !), observées aux terrasses des cafés, déclinées d’après une histoire entendue, fantasmée… J’ai grandi entourée de femmes fortes, avec des personnalités très marquées qui ont fait des choix de vie parfois étonnants ou inspirants. Je crois qu’il y a toujours eu chez moi la volonté de ne pas les décevoir, et de leur rendre hommage même si elles ne sont pas directement à la source de mes histoires.
J’ai de l’affection pour toutes, parce que toutes présentent une facette qui m’intéresse : la jeune nageuse du début bascule dans le monde des adultes en une course. Blanche Neige façon féministe me fait rire parce qu’en y pensant, c’est vrai que c’est fou que cette fille ne se soit jamais révoltée ! J’ai de la compassion pour la mère de famille qui voit passer sa vie à travers les couches de ses enfants, de la tendresse pour cette petite fille insouciante qui se réveille dans la maison de famille, de la peine pour l’ado qui s’invente une vie pour se faire des amis, de l’admiration viscérale pour celle qui porte un enfant pour sa sœur, de la compassion pour celle qui se tait face à l’injustice.
Après avoir passé plus de quinze ans à écrire pour les autres, en tant que journaliste ou pour les clients de mon agence de communication, j’ai vu arriver notre déménagement à Los Angeles, il y a deux ans, comme une occasion inespérée d’être enfin obligée d’écrire… pour moi !
Cela faisait des années que j’avais des livres en formation dans ma tête, mais j’étais incapable de m’y atteler sérieusement, toujours happée par le boulot qui va trop vite, les enfants qui sont nombreux, les voyages qui sont névralgiques dans ma vie, mais qui prennent du temps. Tout à coup, je me suis retrouvée seule, et j’ai plongé dans l’écriture comme on plonge dans une mer chaude en plein soleil. J’ai littéralement adoré passer ces heures en apnée, envahie par une histoire qui jaillissait d’une source trop longtemps contenue. Pas vraiment une fonction exutoire, mais plus un plaisir sans cesse réitéré.
Je ne sais pas si j’en fait bon usage, mais en tout cas j’essaye ! J’ai toujours eu très peur de me retrouver enfermée dans une vie que je n’aurais pas choisie, qui serait venue à moi et qui se serait installée en douce, sans bien m’en rendre compte, « parce que c’est comme ça ». Après la naissance de nos deux premiers enfants, nous sommes partis tous les 4 faire un tour du monde pour justement remettre les choses en perspective : qui sommes-nous devenus maintenant que nous sommes parents ? quelle est la partie sociale, logistique, amoureuse de notre relation ? Qui sont nos enfants ? Qui serions-nous si nous n’avions aucun paravent derrière lequel nous masquer (bien pratiques nos agendas de citadins surchargés pour éviter de se parler…) ?
Nous avons organisé le voyage de façon à nous mettre dans des situations de vie inconnues de nous, pour voir comment on allait réagir, ce qui allait se révéler. On a vécu 3 mois sur une petite ile déserte, sans avoir rien d’autre à faire que de vivre et se nourrir. Nous avons été agriculteurs 3 autres mois en Australie, puis vagabonds en Afrique. Ensuite, ce besoin de se réajuster, de prendre le temps de se regarder et de décider, librement, de nos vies, ne nous a plus jamais quitté.
J’ai changé quatre fois de métier, parce que j’ai évolué, compris et accepté des choses qui ont mis du temps à éclore. Ecrire fait partie de ces envies rentrées enfin libérées ! Je voudrais faire encore des millions de choses, vivre des millions de vie. Je n’aurais jamais le temps, mais je suis consciente de ma liberté, et j’essaie d’être à la hauteur ! Mon mari trouve ça fatigant parfois….
Parce que c’était nouveau, faisable, agréable, dérangeant, risqué. Parce que là-bas, tout est possible, le cliché est vrai ! J’ai écrit mon livre, les enfants parlent anglais, le climat est fantastique et nous avons rencontré des gens formidables, variés, courageux, engagés. Ça aurait pu être n’importe où, c’est le changement qui est source d’étonnement. Déménager de Paris à Saint-Etienne est à mon sens aussi jubilatoire et déstabilisant. Ce n’est pas vraiment une question de ville. C’est plus l’énergie dont a besoin pour le faire qui est réjouissante.
Les Etats-Unis ont longtemps été la figure de proue des mouvements féministes, ils ont été parmi les plus actifs à promouvoir l’égalité hommes-femmes, à faire passer des lois sur le sujet. Mais cette belle mouvance a tendance à ralentir depuis les années 2000 et les femmes, aujourd’hui, gagnent toujours 78 % seulement de ce que gagnent les hommes, ici. Dans le même temps, le taux de pauvreté parmi les femmes est plus élevé. Une Américaine sur trois vit en deçà ou au niveau du seuil de pauvreté.
L’arrivée de Trump au pouvoir n’arrange pas les choses, avec des mouvements anti-avortement puissants par exemple. Mais le contre-pied de ce retour en arrière social est la réactivation des mouvements féministes qu’on croyait endormis. Avec ma fille de 17 ans, je suis allée défiler dans les rues de Los Angeles pour la Women’s March, suite à l’élection de Trump, et on sentait comme une grande masse d’humains sortir de leur torpeur. Une espèce de réveil progressif, mais bien réel.
Je ne pense pas du tout que ce soit un pétard mouillé : la moitié des patrons à Los Angeles a été virée ! Tous les jours, on apprend la démission contrite d’un sénateur, d’un producteur, d’un acteur, d’un musicien. C’est non-stop. Je pense vraiment que les façons de faire vont changer, et que les abus seront plus difficilement mis sous le tapis.
Je trouve fantastique ce qu‘il se passe, et sidérant qu’on se soit tous tu aussi longtemps. Il y a une grande part d’hypocrisie dans les yeux étonnés que nous offrent certaines personnalités à l’annonce d’un nouveau scandale. Mais je suis aussi, personnellement, effarée de l’ampleur des abus. Moi qui n’ai jamais été abusée, ou harcelée, j’ai une vision très équilibrée, très égalitaire de la relation homme-femme.
Je pense que les Hommes sont nos meilleurs alliés, nos piliers. Et vice-versa. Et même si j’ai toujours eu la chance d’avoir des hommes comme ça autour de moi, j’ai vu les désastres des sociétés machistes sur les femmes, en Inde ou dans certains pays d’Asie par exemple. Et notre engagement collectif jouera pour les contrer, quelle que soit la forme que la domination puisse prendre. Car c’est de cela dont il s’agit : de domination.