Nahal Tajadod, l’Iran au féminin pluriel

Le 14 juin 2013, les Iraniens sont conviés à choisir leur président, qui ne saurait être une présidente. Les Iraniennes ont le droit de vote, mais toujours pas le droit de se présenter à la fonction suprême, ce qui a été dénoncé une nouvelle fois par les Nations unies.  Dans Elle joue, paru aux éditions Albin Michel, l'écrivaine franco-iranienne Nahal Tajadod cherche, depuis l'exil, à comprendre ses compatriotes contemporaines. Pour cela, elle nous entraine vers le destin croisé de deux femmes. L’une d’elle a grandi sous le régime du Chah, l’autre sous la République islamique. Nahal Tajadod romance l’histoire de sa rencontre avec la jeune actrice Golshifteh Farahani, récemment à l’affiche de Syngue Sabour.
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Nahal Tajadod, l’Iran au féminin pluriel
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Nahal Tajadod, l’Iran au féminin pluriel
Le dernier roman de Nahal Tajadod, paru aux éditions Albin Michel, Paris, 384 pages, 20 euros 90
« Je me suis trouvée dans la douleur de ne pas être en Iran », confie Nahal Tajadod. Depuis trente ans, elle est confrontée à un dilemme, « écrire l’Iran sans y être ». Car elle admet que malgré les années d’exil, elle ne trouve son inspiration que dans son pays natal. Derrière de grandes lunettes, le visage encadré par de longs cheveux noirs, Nahal Tajadod, livre avec sincérité ses passions et ses doutes.   Même si elle y retourne quand l’occasion se présente, elle cherche en permanence à toucher du doigt et comprendre cet Iran contemporain, qui est si différent de l’Iran qu’elle a connu. Pour elle, pas question de juger, il faut saisir ce qui les animent, surtout les femmes, toutes les femmes, même la femme du Sud de Téhéran, enveloppée dans son tchador noir et dont le rêve est de se rendre à la Mecque. Elle cherche toujours, ce qui  la rapproche, elle, fille lettrée issue d’une famille privilégiée, de cet autre Iran. Amener l'Iran chez soi Et pour saisir les transformations de son pays, quoi de mieux que « d’amener tout l’Iran chez moi », ce que représente pour elle Golshifteh Farahani. Pour son dernier roman, elle s’est donc inspirée de la vie de la jeune actrice iranienne, star dans son pays, presque anonyme dans l’exil. De vingt ans sa cadette, élevée dans la république islamique, Golshifteh Farahani, qui sert de modèle à Sheyda, la plus jeune de ses deux héroïnes, a frappé l’écrivaine par l’intensité de son caractère.
Nahal Tajadod, l’Iran au féminin pluriel
Photo Tina Mirandon
Raconter la femme iranienne, les femmes iraniennes à travers ses deux personnages mi-réels mi-fictionnels, était-ce son ambition ? Nahal relève les sourcils et insiste : « l’idée n’est pas de dire que je représente la femme iranienne, ou qu’elle représente la femme iranienne. Il y a tant de femmes iraniennes que je ne comprends pas ! Je veux aller vers elles, les comprendre. Mon rôle en tant qu’écrivaine, c’est d’être à l’écoute de toutes les femmes, même celles qui ne me ressemblent pas ». Ni noir ni blanc, mais des nuances La situation des femmes est-elle plus dure aujourd’hui qu’à son époque ? Là encore, Nahal refuse d’être catégorique : « on peut dire que c’est difficile en ce moment pour les femmes et que ça l’a toujours été. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, Golshifteh a les mêmes difficultés que celles qu’avait ma grand –mère dans l’Iran des années 40 ». Un retour en arrière, en somme. Mais ajoute-elle « aujourd’hui, les femmes d’Iran sont comme investies d’une mission, tout ce qu’elles font a du poids, elles travaillent, conduisent, étudient ![72 % d’étudiantes dans les universités, ndlr.] »   Enthousiaste, lumineuse, inspirée, Nahal l’est aussi quand il s’agit de parler et de défendre la culture de l’Iran. Elle répète souvent, lors des lectures et discussions publiques : « je crois que si l’Iran n’a pas été encore bombardé, c’est parce que les gens ont vu les films du grand cinéaste iranien Abbas Kiarostami. En Irak, le seul visage connu, c’était Saddam, mais en Iran, il n’y a pas que le visage du président, et chaque Iranien en exil devient un ambassadeur.» 

Nahal Tajadod : “Les femmes iraniennes ne se cachent pas sous leur tchador“

Les paradoxes de la condition des Iraniennes

L'image de la femme disparaissant sous son tchador et effacée de la sphère professionnelle, scolaire ou publique est peu exacte au regard des statistiques (Unesco et Banque mondiale) : - 80% des filles sont scolarisées dans le secondaire (92% pour les garçons); - 38% (soit près de trois fois plus qu'en 1999) des jeunes femmes font leur entrée à l'Université contre 35% seulement chez les jeunes hommes. Les étudiantes constituent plus de la moitié du corps estudiantin, malgré les restrictions de certaines filières imposées en 2011 au sexe féminin  ( informatique, de génie chimique ou encore d’administration des affaires et sciences, par exemple) ; - mais seulement 17% des Iraniennes occupent un emploi, même si 40% de celles qui ont fait des études supérieures ont accès au marché du travail qui reste donc verrouillé aux femmes. Le paradoxe c'est donc que lorsqu'elles travaillent, les Iraniennes sont avant tout des cadres...

Les Nations unies dénoncent l'exclusion des Iraniennes de la présidentielle

Plusieurs experts de l'ONU ont dénoncé "les restrictions abusives aux droits des citoyens iraniens d'être candidats à l'élection présidentielle" de juin 2013, en particulier l'exclusion de 30 femmes, qui constituent "une grave violation des droits garantis par les lois internationales". Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Iran, Ahmed Shaheed souligne que ces pratiques sont contraires à la Convention internationale sur les droits politiques et civils que l'Iran a ratifiée. Mme Kamala Chandrakirana, présidente du groupe de l'ONU sur la discrimination des femmes, rappelle que cette exclusion est contraire aux articles 2 et 3 de la Convention qui "exige la reconnaissance des droits sans distinction d'aucune sorte, y compris de sexe". "La loi interdit aux femmes d'accéder à la présidence", avait affirmé le 17 mai l'ayatollah Mohammad Yazdi, religieux conservateur et ancien chef de la Justice, membre important du Conseil des gardiens de la Constitution, chargé notamment de valider les candidatures. Sur 700 personnes, dont 30 femmes, le conseil n'avait retenu que 8 candidats pour cette élection prévue le 14 juin.