Nancy Huston, Mary McAleese, femmes en colère contre l'église catholique face aux abus sexuels

Aux Etats-Unis, au Canada, au Chili, en Argentine, en Australie, mais aussi en France, en Irlande ou en Allemagne, des révélations en cascade dressent une géographie tragique des abus sexuels commis par des hommes d'église. Un fléau qui émeut peu la hiérarchie catholique, semble-t-il, malgré la lettre de contrition du Pape François. L'ex présidente d'Irlande Mary McAleese et l'écrivaine canadienne Nancy Huston crient leur colère contre ce refus d'introspection et de changements. Elles en appellent à la fin du célibat des prêtres, de leur impunité, et de la répression de la sexualité. 
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Nancy Huston et Mary McAleese
L'écrivaine canadienne Nancy Huston à gauche, l'ex présidente irlandaise Mary McAleese à droite 
AP Photo/Laurent Rebours et Tobias Noergaard Pedersen
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L'une a choisi un texte écrit, l'autre une conférence de presse. Nancy Huston la plume, Mary McAleese la parole, deux moyens d'expression qui correspondent à ce qu'elles sont : une femme de lettres et une politique, toutes deux engagées et scrutant le monde. Et elles n'ont pas attendu que le pape François s'exprime, de façon assez ambiguë d'ailleurs (voir sujet vidéo ci-dessous), sur l'avalanche de révélations d'agressions sexuelles, allant jusqu'au viol, perpétrées par des prélats ou des curés sur des enfants qui leur étaient confiés pour être éduqués et pas violentés.

Les conclusions de l'enquête du procureur de Pensylvanie dévoilées le 14 août 2018 étaient effrayantes : plus de mille enfants victimes d'abus sexuels commis par au moins 300 prêtres, dans le plus grand silence, et couverts, pendant des années, par leur hiérarchie. Et l'église catholique américaine ne fait que s'inscrire dans une vaste ronde de forfaits ecclésiastiques accomplis partout où elle est présente... 

L'église catholique, cet "empire de la misogynie", "diabolique" avec les homosexuels
Mary McAleese, ex présidente d'Irlande

La partie visible de l'iceberg... Tout cela aurait pu être éviter si seulement le Vatican acceptait enfin de sortir la sexualité (et même les sexualités) de la honte et des carcans dogmatiques dans lesquels plus de 2000 ans de magistère l'ont enfermée. La très respectée Mary McAleese accuse directement le Vatican. Et donc le Pape François.

Elle a choisi le 19 août pour ces déclarations, le jour même où une lettre du pape visant à condamner les "atrocités" commises contre des enfants était publiée. Et alors que François s'apprête à se rendre dans cette Irlande si catholique, les 25 et 26 août, à l'occasion de  la 9ème Rencontre mondiale des familles. Lors d'une conférence qu'elle donnait au Trinity College de Dublin, elle a lancé que "le Vatican devait être directement tenu pour responsable". Et pas seulement pour les dommages causés en général, mais en particulier pour "ses enseignements qui affectent les enfants homosexuels".  
L'histoire de l'île nous rappelle que les établissements catholiques irlandais, églises, pensionnats, orphelinats, sont loin d'être indemnes de scandales liées à la sexualité... 

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Ce n'est pas la première fois que l'ancienne présidente pourfend ainsi le dogme qui rejette les homosexuels de l'Eglise. Le 7 août, elle avait traité de "diabolique" la position du clergé sur l'homosexualité. En juin, elle était la première ancienne présidente irlandaise à participer au défilé de la Dublin Pride, en compagnie de son fils Justin et de son mari Fionan. Et le 8 mars, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle avait qualifié l'église catholique d'"empire de la misogynie". 

Autant d'adjectifs que ne renierait pas l'écrivaine franco-canadienne Nancy Huston. Comme on peut le lire dans la forte et longue supplique qu'elle a adressée au souverain pontife, par voie de presse, dans les colonnes du Monde : « François, arrêtez le massacre » : 

Lettre de Nancy Huston au pape François, extrait :

S’ils abordaient avec leur sexe tumescent – ce pauvre sexe nié, perpétuellement réprimé – des adultes de leur paroisse, ou s’ils allaient rendre visite aux travailleurs et travailleuses du sexe, ils seraient « pris » tout de suite. Avec les enfants, ça peut durer des années… des décennies.

Comme moi, comme d’autres, vous devez être frappé par la ressemblance entre cette salve de révélations « scandaleuses » et une autre, qui défraie l’actualité depuis bientôt un an : celle des témoignages #metoo sur le harcèlement sexuel. Ici et là, même propension des hommes à profiter de leur pouvoir pour satisfaire leurs besoins sexuels.
Si l’on mettait à la disposition des enfants du monde entier un site Internet sur lequel ils pourraient déposer leur plainte en toute impunité, ce « balancetonpretre » provoquerait à coup sûr un tsunami mondial qui, par sa violence et son volume, dépasserait j’en suis certaine celui de « balancetonporc ». Seraient encore reléguées au silence, il est vrai, les nombreuses victimes qui, en raison de leur jeune âge (18 mois, exemple entendu ce matin) ou de leur misère (d’innombrables enfants du tiers-monde, illettrés et/ou non connectés) n’auraient pas accès au site. (.../...)
Pour les harceleurs de tout poil, il serait de la toute première importance de chercher les causes de leur passage à l’acte machiste. Pour les prêtres catholiques, en revanche, point n’est besoin de chercher. La raison est là, évidente, flagrante comme le nez au milieu du visage.
François, c’est un massacre
Pourquoi s’en prennent-ils de façon si prépondérante aux enfants et aux adolescents ? Non parce qu’ils sont pédophiles – la proportion de vrais pédophiles parmi les prêtres est sûrement aussi minuscule que dans la population générale – mais parce qu’ils ont peur, et que les plus jeunes sont les plus faibles, les plus vulnérables, les plus faciles à intimider, les moins aptes donc à les dénoncer.
S’ils abordaient avec leur sexe tumescent – ce pauvre sexe nié, perpétuellement réprimé – des adultes de leur paroisse, ou s’ils allaient rendre visite aux travailleurs et travailleuses du sexe, ils seraient « pris » tout de suite. Avec les enfants, ça peut durer des années… des décennies. On prend les nouveaux enfants de chœur… On prend les fillettes qui viennent de faire leur première communion… On prend cette toute jeune femme, dans le secret du confessionnal… ce tout jeune homme, pendant les vacances en colonie… On a sur elle, sur lui, sur eux, une ascendance, un pouvoir plus qu’humain, quasi divin… Et l’année d’après, on recommence, avec les mêmes ou d’autres… François, ce n’est pas un sacre, c’est un massacre." (.../...)

Ce que propose Nancy Huston (dont les mots nuancés et précis ont aussi accompagné le mouvement #MeToo, comme encore en juin 2018 dans le quotidien Libération), c'est d'en finir avec le célibat, l'abstinence, et tout comme pour Mary McAleese, de ne plus enfermer la sexualité dans les tréfonds du mal (et du mâle) : "Le problème, c’est que l’on demande à des individus normaux une chose anormale. C’est l’Eglise qui est « perverse » dans son refus de reconnaître l’importance de la sexualité et les conséquences désastreuses de son refoulement." écrit-elle très directement au pape. Dont nous ne sommes pas très sûr.es qu'il ait entendu le message, tant sa condamnation des actes mis au jour par les enquêteurs reste édulcorée. 

Une condamnation, mais pour quelles solutions ?

Dans sa lettre du 19 août 2018, il écrit donc : "Ces derniers jours est paru un rapport détaillant le vécu d’au moins mille personnes qui ont été victimes d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience, perpétrés par des prêtres pendant à peu près soixante-dix ans. Bien qu’on puisse dire que la majorité des cas appartient au passé (...) nous pouvons constater que les blessures infligées ne disparaissent jamais, ce qui nous oblige à condamner avec force ces atrocités". Comme si tout était réglé aujourd'hui... Naïveté ou perversité ? "Que l’Esprit Saint nous donne la grâce de la conversion et l’onction intérieure pour pouvoir exprimer, devant les crimes d’abus, notre compassion et notre décision de lutter avec courage." a-t-il écrit, un peu en langue de bois, sur son compte twitter...

Tandis que déjà les critiques s'élèvent :

On peut tenter d'espérer des mesures - mais lesquelles ? -, en lisant cette autre phrase : "Considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparer du dommage causé ne sera jamais suffisant. Considérant l'avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées".
Alors l'idée de Nancy Huston - adieu à l'abstinence et au célibat -, ne mériterait-elle pas d'être le socle de cette nouvelle culture ? 

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter : @braibant1