Nappy et happy : la coiffure afro émancipatrice !

Adieu tressages, défrisages et lissages brésiliens ? De plus en plus de femmes noires affichent leurs cheveux crépus pour revendiquer leur identité. Être "nappy" ou ne pas l'être ? Ce mouvement capillaire prônant la coiffure afro, né aux Etats-Unis dans les années 1960, est loin de se réduire à un mouvement esthétique. Il a pourtant du mal encore à s'imposer en terre africaine.
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©facebook/Nappyfrancophones
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« Nappy » et fière de l'être … Le terme « nappy » vient de la contraction de deux mots anglais, « natural » et « happy ». et pourrait bien servir de libération, du moins dans un premier temps capillaire de la femme noire…

Derrière cette bannière « nappy girls », se sont regroupées toutes les femmes qui ont décidé d’assumer leurs cheveux crépus. Fini les crèmes lissantes, et autres techniques (assez nocives en général) de défrisage, séances de «tortures »,  que les femmes noires ou métisses s’infligeaient à elles-mêmes, dans la droite ligne de ce que leur avait imposé plus tôt leur maman.

La nappy planète est devenue une véritable communauté, de nombreux blogs et forums spécialisés se sont créés pour donner les conseils et astuces nécessaires.
 


Phénomène de mode ou militant ?


Sur les réseaux, dans les publicités, ou dans les clips musicaux, mannequins, chanteuses affichent fièrement leur coiffure afro. Mais le mouvement Nappy ne se réduit pas à un phénomène de mode ou purement esthétique.

Pour beaucoup, il devient une revendication politique liée à la place des populations noires et métissées dans la société. Être Nappy, c’est être fier-e de ses origines et de son identité. Le cheveux crépus, laissés à l’air libre, seraient donc l’instrument de cette identité noire. Dans les années 1970, avec l’émergence du parti des « Black Panthers », c’était l’un des signes montrant que l’on refusait de se plier aux règles des Blanc-he-s. En 1962, depuis Harlem, naissait le courant « Black is beautiful ». Son symbole : un peigne terminé par un poing noir.


La personnalité qui l’a sans doute le mieux incarné, une femme. Angela Davis, reconnaissable entre tous et toutes à sa coiffure afro.
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Angela Davis, lors d'une conférence de presse à San José (Etats-Unis), le 25 février 1972.
©APphoto

Au cours de ces années, un vaste mouvement en faveur de la réhabilitation de la culture africaine et afro-américaine se développe aux Etats-Unis. De son côté, l’Afrique se décolonialise. Dans les Caraïbes, la Jamaïque résonne aux rythmes de la musique reggae et du mouvement rastafari, dont les adeptes, les rastas sont souvent reconnaissables à leurs dreadlocks.
 

Les cheveux des esclaves

 
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©DR
Pourquoi les femmes noires (les hommes aussi sont concernés) ont-ils donc voulu cacher (parfois raser pour les hommes) ou lisser leur cheveux crépus ? Cela remonte à l’histoire de l’esclavage. Les épouses des maîtres blancs demandent à leurs servantes noires de cacher leurs cheveux parce qu’ils troublent leur mari. Les maîtres quant à eux, demandaient à leurs esclaves noirs de se raser par hygiène ou purement pour leur infliger un asservissement de plus.

Dans son ouvrage, "Peau noire cheveu crépu, l’histoire d’une aliénation" (Jasor, 2005), la sociologue martiniquaise Juliette Sméralda, explique : "Se défriser, c’est faire la preuve de son aptitude à devenir un sujet socialement adapté (…) au modèle occidental". Son livre est devenu référence en la matière.

En 2009, l’acteur américain Chris Rock produit un documentaire "Good Haïr". L’idée de ce film a germé dans l’esprit du réalisateur quand sa fille Lola, lui a demandé « Papa, comment puis je faire pour avoir de beaux cheveux ? » De beaux cheveux, que signifie avoir de beaux cheveux pour sa petite fille ? Des cheveux lisses comme les stars à la télé !

En voix off, le comédien Paul Mooney l’explique en quelques mots : « Si tes cheveux sont lisses, les blancs restent « peace ». Mais si tu gardes ton afro, pour eux c’est trop affreux » (« If your hair is relaxed, white people are relaxed. If your hair is nappy, they are not happy »). Dans ce documentaire, Chris rock remonte la filière des produits lissants, particulièrement nocifs, avec démonstration scientifique à l’appui.
 

En 2012, Eva Doumbla met en scène une pièce "Moi et mon cheveu. Cabaret capillaire", sur des textes de Marie-Louise Bibish Mumbu. De ses workshops (ateliers) menés depuis 2009 en Afrique et au Brésil, elle a rassemblé autour d’elle une fabuleuse équipe de femmes autour d’une question simple : pourquoi les femmes noires lissent-elles à tout prix leurs cheveux, au prix de souffrances intolérables ?
 

Si le mouvement des nappy girls semble conquérir de plus en plus de jeunes femmes, sur les podiums des défilés de mode, dans les magazines, sur la scènes musicale et dans les quartiers "branchés" des grandes métropoles, en Afrique, il semble néanmoins avoir du mal à séduire comme l’explique dans son reportage au Togo, notre correspondante Emmanuelle Sodji. Chez beaucoup de femmes, cette coiffure « afro » reste encore souvent assimilée à une coiffure « négligée », voire « pas civilisée ».
 
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Après le combat contre les crèmes éclaircissantes pour la peau, si dangereuses pour la santé, pouvons-nous voir alors se profiler sur ce front capillaire une nouvelle bataille vers l'émancipation des femmes noires ou métisses ?