Fil d'Ariane
Cascade de boucles brunes, "sourire bravache" et rouge à lèvres éclatant, Narges Mohammadi, plus combative que jamais, fait la Une de magazine ELLE. Profitant d'une libération provisoire de trois semaines pour raisons médicales, la Prix Nobel de la Paix iranienne a décidé d'accorder, non sans risques, une rare interview à distance. Elle y parle de son projet de publier une biographie ainsi qu'un autre livre sur les conditions des femmes détenues en Iran.
Narges Mohammadi a été utorisée à quitter pour quelques semaines la prison d’Evin, à Téhéran, afin de subir une intervention médicale.
"Mon corps est fragilisé, il est vrai, après trois ans de détention discontinue sans permission et des refus de soins répétés qui m'ont sérieusement éprouvé, mais mon mental est d'acier", assure Narges Mohammadi dans le magazine ELLE publié ce 2 janvier 2025.
L'isolement figure parmi les instruments de torture les plus couramment utilisés. C'est un lieu où des prisonniers et des prisonnières politiques meurent. Narges Mohammadi, dans ELLE
Pour preuve, la militante iranienne des droits humains explique avoir fini d'écrire son autobiographie, avec la ferme intention de la publier rapidement. "J'écris un autre livre sur les agressions et le harcèlement sexuel commis contre les femmes détenues en Iran. J'espère qu'il paraîtra bientôt", déclare Narges Mohammadi, répondant en persan, par écrit et par message vocal, à des questions posées par le magazine français.
"Dans le quartier des femmes, nous sommes soixante-dix, de tous horizons, de tous les âges et de toutes les sensibilités politiques", parmi lesquelles "des journalistes, des écrivaines, des intellectuelles, des personnes de différentes religions persécutées, des Bahaïs, des Kurdes, des militantes des droits des femmes", précise la prix Nobel de la paix. "L'isolement figure parmi les instruments de torture les plus couramment utilisés. C'est un lieu où des prisonniers et des prisonnières politiques meurent. J'ai personnellement documenté des cas de torture et de violences sexuelles graves sur mes codétenues", affirme encore la militante de 52 ans, qui purge actuellement sa peine de treize ans dans la prison d'Evin à Téhéran.
Narges Mohammadi fait état d'actes de résistance des détenues. "Malgré tout, c'est un enjeu pour nous, prisonnières politiques, de nous battre pour garder un semblant de normalité, car il s'agit de montrer à nos bourreaux qu’ils n'arriveront pas à nous atteindre, à nous briser", poursuit-elle, indiquant partager, pour sa part, une chambre avec 13 autres détenues.
Nous organisons souvent des sit-in. Narges Mohammadi dans ELLE
"Récemment, quarante-cinq prisonnières sur soixante-dix se sont réunies pour protester dans la cour de la prison contre la condamnation à mort de Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi, deux de nos codétenues militantes des droits des femmes kurdes", rapporte-t-elle.
"Nous organisons souvent des sit-in", assure-t-elle, dénonçant des représailles sous forme de privation de parloirs et de téléphone.
Une privation qui lui coûte tant, ce qui peut aisément faire comprendre l'émotion de ce moment, le 4 décembre dernier. Après trois ans sans avoir pu entendre sa voix, elle a pu depuis sa résidence sous surveillance, s'entretenir en visioconférence avec son fils Ali Rahmani.
Narges Mohammadi a subi plusieurs interventions chirurgicales pendant sa liberté provisoire. Mais l'avocate a aussi profité de ce temps hors de prison pour poursuivre son combat de militante, postant sur son compte Instagram le slogan "Femme, vie, liberté", ou encore un message de soutien à la chanteuse Parastoo Ahmadi, qui a défié les autorités en publiant une vidéo dans laquelle l'artiste interprète un célèbre chant iranien, les cheveux libres. Même affaiblie physiquement, elle a multiplié les rencontres, comme ici avec Dayeh Sharifeh, une femme endeuillée par l'exécution de son fils prisonnier : "une rencontre qui nous rappelle les souffrances endurées par les mères dont les enfants ont été exécutés et dont les corps leur ont été refusés, les empêchant ainsi d'être enterrés par leurs proches".
"Les boucles brunes de Narges Mohammadi, cascadant en toute liberté en couverture de ELLE, sont un manifeste. Un geste de défi que la Prix Nobel de la paix 2023 avait fixé comme condition : elle posera pour nous, oui, mais évidemment sans tchador, symbole de l’oppression exercée par la République islamique sur les Iraniennes", lit-on dans l'édito du magazine ELLE.
Rarement un rouge à lèvres aura été si politique. Rarement le courage d’une femme aura été si puissant. Ava Djamshidi, éditorialiste ELLE
"L’activiste de 52 ans pose pour ELLE, maquillée, sourire bravache et déterminé. Un sourire qui dit la volonté de ne pas plier.(...) Rarement un rouge à lèvres aura été si politique. Rarement le courage d’une femme aura été si puissant", écrit la journaliste Ava Djamshidi.
Narges Mohammadi fait la couverture du magazine ELLE.
Maintes fois condamnée et emprisonnée depuis 25 ans pour son engagement contre le voile obligatoire pour les femmes et contre la peine de mort, elle a été enfermée pendant une large partie de la dernière décennie. De l'ONU au comité Nobel norvégien, de nombreuses voix ont exigé sa libération inconditionnelle et permanente. La République islamique considère la militante, comme son ennemie publique numéro un, rappelle le magazine. Cet entretien représente donc un "défi inouÏ" et risque d'alourdir sa peine de prison.
C’est un prix lourd à payer pour la liberté, mais c’est aussi un devoir. Narges Mohammadi dans ELLE
Pour Narges Mohammadi, "Le régime islamique considère la soumission des femmes comme un point stratégique pour asseoir son pouvoir et maintenir la domination non seulement sur les femmes, mais sur l’ensemble du corps social". "Au fond de mon cœur et dans mon âme, je souhaite la vraie liberté, c’est-à-dire la fin de l’oppression et du despotisme religieux", déclare-t-elle.
"Chaque prise de parole dans les journaux est susceptible de me valoir de nouvelles accusations, et chaque mois, environ, je fais l’objet de nouvelles poursuites et de nouvelles condamnations. C’est un prix lourd à payer pour la liberté, mais c’est aussi un devoir", confie la militante iranienne au magazine.
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