Naruhito, nouvel empereur du Japon : cherchez l'impératrice !

Y-a-t-il une femme pour sauver la lignée impériale ? La réponse est oui. Le nouvel empereur Naruhito qui succède ce 1er mai à son père Akihito, a bien une fille. Seulement voilà, la loi nippone interdit aux femmes de monter sur le trône. Quant au statut d'impératrice consort, il se réduit au rôle d'épouse-modèle, marchant quelques pas derrière son mari. 
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Masako
La princesse héritière Masako et le prince héritier Naruhito se rendent au palais impérial pour assister à la cérémonie d'abdication de l'empereur Akihito à Tokyo, le mardi 30 avril 2019.
 
©AP Photo/Koji Sasahara
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A quand une femme sur le trône du chrysanthème ?

Et oui, pourquoi pas, car sous d'anciens régimes le Japon a connu huit impératrices régnantes. C'est seulement à la fin de la Seconde Guerre mondiale que le système patriarcal est apparu au Japon. Selon la loi inscrite dans la Constitution de 1947, la transmission du pouvoir impérial s’effectue uniquement d’homme à homme. Or, sur les quatre petits-enfants donnés par les deux fils de Akihito et de l'impératrice Michiko, trois sont des filles.

Peut-on alors envisager que s'ouvre, un jour, le débat sur une potentielle fin de la patrilinéarité nippone ? A priori, cela ne semble pas vraiment d'actualité en ces temps de délicate transition, surtout dans un pays où la classe politique est presque exclusivement masculine. Un projet aurait bel et bien été proposé il y a deux ans chez les parlementaires, puis mis au tiroir. Plus récemment, le chef du gouvernement Shinzo Abe a émis l’hypothèse de relancer l'idée. "Tout en accordant de l'importance au fait que la lignée patrilinéaire a été maintenue jusqu'à présent sans exception, je souhaite que nous réfléchissions à assurer une continuité à la succession impériale. Nous devons en discuter de façon sereine et précise", a-t-il déclaré dans la presse fin 2018 .

les héritières japon
De gauche à droite, le prince japonais Akishino, son épouse la princesse Kiko, leurs filles la princesse Mako et la princesse Kako assistent à la cérémonie d'abdication de l'empereur Akihito à Tokyo, le mardi 30 avril 2019.
 
©Japan Pool via AP

La famille impériale compte à ce jour 18 membres, dont 13 femmes. Naruhito n'ayant eu qu'une fille, la princesse Aiko, il n'aura plus, une fois sur le trône, que trois héritiers : son frère cadet de 53 ans, le prince Akishino, son neveu (le fils d'Akishino) , le prince Hisahito, âgé de 12 ans, et le prince Hitachi, frère d’Akihito, 83 ans.

Le prince Hisahito devra à son tour avoir un garçon, sans quoi la dynastie s'arrêtera.

Les femmes de la famille royale invisibles

Outre le peu de chance de voir à nouveau une impératrice monter un jour sur le trône, les femmes de la famille impériale restent cantonnées à l'ombre du Palais. Lors de la cérémonie officielle et traditionnelle de succession, elles ne sont pas admises dans la pièce où le nouvel empereur reçoit les insignes sacrés. Exclue également si une princesse se choisit un roturier pour mari, elle sort alors définitivement du clan. "En octobre, la princesse Ayako, 28 ans, fille du cousin de l’empereur, a renoncé à son statut princier pour un employé d’une entreprise de transport maritime. La princesse Mako, petite-fille de l’empereur qui a annoncé ses fiançailles mais reporté son mariage à 2020 en raison du changement d’ère, fera de même", explique Rafaële Brillaud, la correspondante de Libération à Kyoto, dont le titre de l'article est particulièrement évocateur, "Les femmes, potiches impériales". 
 

Michiko
L'impératrice Michiko et l'empereur du Japon Akihito lors de la cérémonie de remise du prix académique Midori à Tokyo, vendredi 26 avril 2019.
 
©Toshifumi Kitamura / Pool Photo via AP

Le sort de celles qui entrent dans la famille impériale n'est guère plus enviable. Comme en témoigne celui de la nouvelle impératrice. Dans sa vie d'avant, la princesse Masako était une diplomate extrêmement brillante promise à une belle carrière professionnelle. La jeune femme est née en 1963 à Tokyo. A 2 ans, sa famille part s'installer en Russie. Son père est diplomate. Nommé vice-ambassadeur aux Nations unies, il emmène tout le monde aux Etats-Unis. Masako suivra ses études dans les universités d'Oxford et de Harvard, dont elle sort diplômée d'économie. Après l'avoir rencontrée au cours d'une cérémonie officielle, le prince entame une cour assidue et lui fait plusieurs demandes en mariage. Masako Owada finit par lui dire oui en 1993. Cette polyglotte qui parcourt le monde renonce alors à une carrière diplomatique prometteuse pour entrer dans la famille impériale.
 

princesse masako en tenue
Le prince Naruhito et son épouse la princesse Masako lors du garden party dans le jardin du Palais impérial Akasaka à Tokyo Friday, le 9 novembre 2018.
©AP Photo/Eugene Hoshiko

Un changement de vie radical et les règles strictes de l'Agence de la maison impériale n'arrangent pas les choses. Même pour passer un simple appel téléphonique, il lui faut un accord officiel. Présentée un temps comme la "Diana" version nippone, elle va vite délaisser son style moderne pour revêtir les kimonos traditionnels et des tenues strictes. La nouvelle princesse "marche désormais les yeux baissés, toujours quelques pas derrière son mari. La diplomate prometteuse devient une ryosai kenbo. En japonais, une "bonne épouse et mère avisée", lit-on sur le site de France-Info. A ce carcan s'ajoute une pression énorme pour avoir un fils. "L’opinion publique commence à se retourner contre elle", raconte l'historienne spécialiste du féminisme au Japon, Christine Lévy, dans le même article, "Le Japon reste une société très conservatrice". Après une fausse couche en 1998, elle donne naissance à une fille, la princesse Aiko, en 2001 suite à une PMA. Retirée de la vie publique depuis, elle vit à l'abri des regards dans le palais du Togu, dans le quartier Akasaka à Tokyo.

En 2004, vive émotion à la Cour et aubaine pour les tabloïds nippons. Le prince Naruhito accuse le protocole d'étouffer la personnalité de son épouse. "Ces dix dernières années, la princesse Masako s'est employée à s'adapter à la vie de la famille impériale. J'en ai été témoin, cette entreprise l'a totalement épuisée", déclare-t-il avant de lâcher devant des journalistes nippons et étrangers: "il faut dire aussi que son ancienne carrière et sa personnalité qui en découlait ont été en quelque sorte niées".

La même année, le Palais révèle que Masako est sous traitement pour une maladie qualifiée de "trouble de l'adaptation" quasiment depuis son mariage. Réprimandé par les siens, Naruhito doit faire machine arrière, et s'excuser pour ses propos. Mais il n'a de cesse depuis d'exprimer sa compassion à l'égard de son épouse, appellant à une évolution des obligations impériales mieux adaptées à la société moderne.

Dans une déclaration publiée pour ses 55 ans en décembre dernier, Masako, tout en se disant "peu rassurée" à l'idée de devenir impératrice, dit se remettre progressivement tout en estimant pouvoir "accomplir plus d'obligations qu'auparavant". Les multiples festivités qui doivent s'achever en 2020 par la nomination officielle du prochain successeur feront figure de test aux yeux du peuple nippon et surtout de la presse à scandale particulièrement friande d'effritements impériaux.

Les femmes, au second plan de la société nippone

Que ce soit dans la famille impériale ou dans la société civile, les Nippones restent au second plan. En 2018, le pays figure à la 110ème place mondiale (sur 149 pays, devant la Corée du Sud, 115è, la Turquie 130è, et l'Arabie saoudite 141è) pour l'égalité hommes-femmes selon le World Economic Forum, même s'il a légèrement progressé en un an, de 4 rangs (114ème l'an dernier).
 
Yuriko Koike
Yuriko Koike, première femme gouverneure de Tokyo, lors d'une conférence de maires à Paris, le lundi 23 octobre 2017.
 
©AP Photo/Michel Euler
"Au Japon, il y a très peu de femmes dans les instances de décision, et c'est une des raison de la stagnation du pays", estime Yuriko Koike, la très populaire gouverneure de Tokyo depuis 2016, et ancienne ministre de l'Environnement et de la Défense, dans un entretien accordé au magazine Challenge

Un constat dont les autorités nipponnes ont conscience, ainsi une campagne baptisée "Womenomics" a été lancée sous l'impulsion de Shinzo Abe, il y a quelques années. Le défi paraît relevé : 2,8 millions (+8,9%) de femmes sont entrées sur le marché de l'emploi ces six dernières années, selon les estimations du gouvernement japonais. En 2017, 25,35 millions d'entre elles avaient une activité rémunérée. La part des Japonaises membres de conseils d'administration a aussi augmenté, passant de 2,1 % en 2014 à 4,1 % en 2018.
Des avancées dont le premier ministre s'enorgueillit. "L'économie japonaise a affiché une croissance de 10% au cours des six dernières années, et le moteur principal en était les Womenomics" lancait-il depuis la tribune du W20, la conférence qui se réunit avant chaque G20 pour faire le point sur la question des femmes.

Des chiffres à regarder à deux fois car pour la grande majorité, ces emplois nouvellement occupés par les salariées restent des postes subalternes, souvent à temps partiel.

Lire aussi >Japon : campagne pour mieux accueillir les femmes au travail
 
Satsuki Katayama
Cherchez la ministre ! Vue d'ensemble du nouveau gouvernement nommé par le Premier ministre Shinzo Abe, au centre, et derrière lui, on distingue, habillée de blanc, l'unique femme ministre, Satsuki Katayama, le 2 octobre 2018, à Tokyo.
©AP Photo/Koji Sasahara
Concernant la représentation féminine en politique, pas vraiment d' effet "Womenomics" ni "Womenpolitics"... Les femmes ne représentent que 10,1% des élus à la chambre basse de la Diète, qui vote les lois. Quant au gouvernement formé en octobre 2018, il ne compte qu'une seule femme ministre, Satsuki Katayama, en charge de la revitalisation de l'économie locale et, surprise ... de l'égalité hommes-femmes et de l'activité des femmes. Elle est aujourd'hui la cible de critiques pour l'utilisation de ses fonds politiques.

Le #MeToo nippon

boite noire
©EditionsPicquier
La société japonaise reste conservatrice, mais elle n'a pu échapper au phénomène #MeToo. Principale lanceuse d'alerte : Shiori Ito. En 2015, la journaliste dîne au restaurant pour parler affaires avec Noriyuki Yamaguchi, directeur de la chaîne TBS et proche du Premier ministre. Elle se réveille plus tard dans la nuit dans une chambre d'hôtel, après avoir été droguée et violée. Victime de "la drogue du violeur", elle a tout oublié de son agression. L'affaire a failli être enterrée, selon elle, sur intervention de l'entourage de Shinzo Abe. Shiori Ito a dû mener sa propre enquête et raconte ce qui lui est arrivé dans Black Box, La Boîte noire dont l'édition en français vient d'être publiée (Editions Picquier). Voici ce qu'on peut lire en quatrième de couverture : "Au Japon, porter plainte pour viol est synonyme pour les femmes de véritable suicide social". En 2017, la législation sur le viol a été réformée, la peine encourue est passée de trois ans à cinq ans, mais c'est toujours à la victime d'apporter les preuves. A ce jour, Shiori Ito n'a toujours pas obtenu justice.

Depuis, plusieurs campagnes pour dénoncer le harcèlement sexuel au travail ont été menées. Début 2019, plusieurs universités de médecine se sont retrouvées au coeur d'un scandale pour avoir mis en place un système de notation afin de limiter l'accès des femmes à leurs cursus. Enfin, sur un terrain qui pourrait paraître plus anecdotique, est apparu au cours de ces dernières semaines un nouveau mouvement issu d'une mobilisation sur les réseaux sociaux, sous le nom de #KuToo, inspiré de "kutsu" (chaussure) et "kutsuu" (douleur), pour dénoncer le sexisme lié à l’obligation faite aux femmes de porter des talons au travail.
 
Reiwa
Dans la presse, la présentation officielle du nom de la nouvelle ère, "Reiwa", à Tokyo, le lundi 1er avril 2019.
 
©AP Photo/Koji Sasahara
Au pays des geishas, avec ou sans talons, la nouvelle ère "Reiwa" qui commence ce 1er mai avec l'intronisation du nouvel empereur Naruhito permettra-t-elle une plus grande égalité entre les femmes et les hommes ? "Reiwa" est la contraction de deux idéogrammes japonais, signifiant respectivement "ordre", "agréable" et "paix", "harmonie". Une formule qui a inspiré cette phrase à Shinzo Abe : "Le printemps vient après l'hiver sévère, ce nom veut marquer le début d'une période qui déborde d'espoir."