Fil d'Ariane
A quand une femme sur le trône du chrysanthème ?
Et oui, pourquoi pas, car sous d'anciens régimes le Japon a connu huit impératrices régnantes. C'est seulement à la fin de la Seconde Guerre mondiale que le système patriarcal est apparu au Japon. Selon la loi inscrite dans la Constitution de 1947, la transmission du pouvoir impérial s’effectue uniquement d’homme à homme. Or, sur les quatre petits-enfants donnés par les deux fils de Akihito et de l'impératrice Michiko, trois sont des filles.
Peut-on alors envisager que s'ouvre, un jour, le débat sur une potentielle fin de la patrilinéarité nippone ? A priori, cela ne semble pas vraiment d'actualité en ces temps de délicate transition, surtout dans un pays où la classe politique est presque exclusivement masculine. Un projet aurait bel et bien été proposé il y a deux ans chez les parlementaires, puis mis au tiroir. Plus récemment, le chef du gouvernement Shinzo Abe a émis l’hypothèse de relancer l'idée. "Tout en accordant de l'importance au fait que la lignée patrilinéaire a été maintenue jusqu'à présent sans exception, je souhaite que nous réfléchissions à assurer une continuité à la succession impériale. Nous devons en discuter de façon sereine et précise", a-t-il déclaré dans la presse fin 2018 .
La famille impériale compte à ce jour 18 membres, dont 13 femmes. Naruhito n'ayant eu qu'une fille, la princesse Aiko, il n'aura plus, une fois sur le trône, que trois héritiers : son frère cadet de 53 ans, le prince Akishino, son neveu (le fils d'Akishino) , le prince Hisahito, âgé de 12 ans, et le prince Hitachi, frère d’Akihito, 83 ans.
Le prince Hisahito devra à son tour avoir un garçon, sans quoi la dynastie s'arrêtera.
Outre le peu de chance de voir à nouveau une impératrice monter un jour sur le trône, les femmes de la famille impériale restent cantonnées à l'ombre du Palais. Lors de la cérémonie officielle et traditionnelle de succession, elles ne sont pas admises dans la pièce où le nouvel empereur reçoit les insignes sacrés. Exclue également si une princesse se choisit un roturier pour mari, elle sort alors définitivement du clan. "En octobre, la princesse Ayako, 28 ans, fille du cousin de l’empereur, a renoncé à son statut princier pour un employé d’une entreprise de transport maritime. La princesse Mako, petite-fille de l’empereur qui a annoncé ses fiançailles mais reporté son mariage à 2020 en raison du changement d’ère, fera de même", explique Rafaële Brillaud, la correspondante de Libération à Kyoto, dont le titre de l'article est particulièrement évocateur, "Les femmes, potiches impériales".
Le sort de celles qui entrent dans la famille impériale n'est guère plus enviable. Comme en témoigne celui de la nouvelle impératrice. Dans sa vie d'avant, la princesse Masako était une diplomate extrêmement brillante promise à une belle carrière professionnelle. La jeune femme est née en 1963 à Tokyo. A 2 ans, sa famille part s'installer en Russie. Son père est diplomate. Nommé vice-ambassadeur aux Nations unies, il emmène tout le monde aux Etats-Unis. Masako suivra ses études dans les universités d'Oxford et de Harvard, dont elle sort diplômée d'économie. Après l'avoir rencontrée au cours d'une cérémonie officielle, le prince entame une cour assidue et lui fait plusieurs demandes en mariage. Masako Owada finit par lui dire oui en 1993. Cette polyglotte qui parcourt le monde renonce alors à une carrière diplomatique prometteuse pour entrer dans la famille impériale.
Un changement de vie radical et les règles strictes de l'Agence de la maison impériale n'arrangent pas les choses. Même pour passer un simple appel téléphonique, il lui faut un accord officiel. Présentée un temps comme la "Diana" version nippone, elle va vite délaisser son style moderne pour revêtir les kimonos traditionnels et des tenues strictes. La nouvelle princesse "marche désormais les yeux baissés, toujours quelques pas derrière son mari. La diplomate prometteuse devient une ryosai kenbo. En japonais, une "bonne épouse et mère avisée", lit-on sur le site de France-Info. A ce carcan s'ajoute une pression énorme pour avoir un fils. "L’opinion publique commence à se retourner contre elle", raconte l'historienne spécialiste du féminisme au Japon, Christine Lévy, dans le même article, "Le Japon reste une société très conservatrice". Après une fausse couche en 1998, elle donne naissance à une fille, la princesse Aiko, en 2001 suite à une PMA. Retirée de la vie publique depuis, elle vit à l'abri des regards dans le palais du Togu, dans le quartier Akasaka à Tokyo.
En 2004, vive émotion à la Cour et aubaine pour les tabloïds nippons. Le prince Naruhito accuse le protocole d'étouffer la personnalité de son épouse. "Ces dix dernières années, la princesse Masako s'est employée à s'adapter à la vie de la famille impériale. J'en ai été témoin, cette entreprise l'a totalement épuisée", déclare-t-il avant de lâcher devant des journalistes nippons et étrangers: "il faut dire aussi que son ancienne carrière et sa personnalité qui en découlait ont été en quelque sorte niées".
La même année, le Palais révèle que Masako est sous traitement pour une maladie qualifiée de "trouble de l'adaptation" quasiment depuis son mariage. Réprimandé par les siens, Naruhito doit faire machine arrière, et s'excuser pour ses propos. Mais il n'a de cesse depuis d'exprimer sa compassion à l'égard de son épouse, appellant à une évolution des obligations impériales mieux adaptées à la société moderne.
Dans une déclaration publiée pour ses 55 ans en décembre dernier, Masako, tout en se disant "peu rassurée" à l'idée de devenir impératrice, dit se remettre progressivement tout en estimant pouvoir "accomplir plus d'obligations qu'auparavant". Les multiples festivités qui doivent s'achever en 2020 par la nomination officielle du prochain successeur feront figure de test aux yeux du peuple nippon et surtout de la presse à scandale particulièrement friande d'effritements impériaux.