Natali Fortier, du Québec à la France, artiste à l'humanité débordante, pour les grands et les petits

En cette fin d'année 2017, la sculptrice, peintre, illustratrice et conteuse franco-québécoise Natali Fortier est sur tous les fronts : une exposition dans une galerie parisienne, une double lecture au centre culturel canadien à Paris, des livres, toujours plus de livres accompagnés de jeux. Rencontre
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Natali Fortier
L'artiste Natali Fortier dans son atelier à Châlette sur Loing (centre de la France). Elle prolonge ses livres pour les enfants par des jeux monumentaux dont ils raffolent. "Un jour j’ai eu une commande pour un livre et j’avais été déçue de la vitesse de la vie de ce livre qui s’appelait « Mon beau soleil » (Albin Michel 2009) pour les tous petits. Et donc j’ai fait des sculptures à la suite de ce livre. J’avais un tel sentiment de frustration, d’inachevé, que je me suis dit que j’allais pas laisser ça comme ça. Tous mes personnages je les ai alors passés de la grandeur main à la grandeur nature. Et ces enfants qui étaient si petits quand on leur avait lu le livre, ils les ont vu bien plus tard en grand, comme le lion qui lisait son propre livre et alors ils me demandaient «: « alors tu les as photographiés avant de les faire ? »  Ou encore : « tu les avais donc vus ? ». Ca leur donne une réalité encore plus forte.
(c) Sylvie Braibant/Terriennes/TV5MONDE
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Il n'y a rien de plus évident et facile à se laisser embarquer dans les univers de Natali Fortier. Un monde de masques, de visages souriants ou grimaçants, des femmes et des hommes distrait.e.s, des garçons et des filles sautillant.e.s, des oiseaux bavards, des mammifères indisciplinés à partir d'objets recyclés, un bestiaire multicolore de créatures qui se croisent, se plaisent, se chamaillent, grognent ou rient - un résumé d'humanité généreuse et optimiste. "Le monde n'est pas laid, il peut être grotesque, horrible, cruel et puis l'exact inverse aussi" dit-elle. "Comme je suis myope, je vois beaucoup de choses dans ce monde évaporé, comme des regards partout, dans les cailloux, dans les écorces, les papiers..."

Générosité, multiplicité

Ces mondes-là esquissent un autoportrait et traversent toutes les disciplines dans lesquelles excelle l'artiste née aux Etats-Unis, par le hasard du travail paternel, éduquée au Québec, terre originelle de la famille, adulte en France, où elle restera après un mariage avec un Français : la sculpture, le modelage, la peinture, puis enfin depuis une vingtaine d'années l'illustration et l'écriture de livres pour petits et grands. Un parcours avec ses malices ses joies, ses rires mais aussi, plus cachées, des douleurs d'enfance muettes. 
 
Natali Fortier atelier
Tout un monde sorti de l'imagination de Natali Fortier sur les étagères de son atelier
(c) Sylvie Braibant

Quand je suis arrivée là, j’ai été étonnée d’être foudroyée d’amour avec la France.
Natali Fortier

Sa vie est ainsi faite de morceaux épars, recyclés, collés, d'expériences accumulées, d'apprentissages de part et d'autre de l'Atlantique, aux Etats-Unis, au Québec et en France. Des différences dans l'enseignement et la pratique de l'art dont elle fait une richesse :
« Je n’ai jamais étudié longtemps quelque part. J’ai toujours été de passage dans les études. Je travaillais en même temps que j’étudiais et je tâchais d’attraper des choses. Mais j’avais horreur des examens, alors je n’allais pas jusqu’au bout. Je n’ai même pas fini mon secondaire. Mais j’adorais apprendre. J’ai étudié au Québec, aux Etats-Unis et en France et c’est immensément différent. La différence, c’est surtout dans la vitesse, dans le mouvement et dans le risque qu’elle s’exprime. En France j’ai été prise aux Beaux Arts, pas dans la même section que ceux qui avaient leurs diplômes, mais j’en tremblais d’émotion d’être acceptée dans un lieu aussi magnifique que ça. Quand je suis arrivée là, j’ai été étonnée d’être foudroyée d’amour avec la France. J’avais bien des préjugés sur les Français depuis le Québec.
Mais là, alors qu’aux Etats-Unis on pouvait tout faire en même temps - la sculpture, la peinture, le dessin -, en France je ne pouvais que suivre un atelier à la fois. J’étais inscrite en peinture. Alors je me cachais pour pouvoir aussi être dans l’atelier de sculpture, celui d’Etienne Martin. On me prévenait quand le professeur arrivait. Et puis un jour je me suis fait surprendre par Etienne Martin alors que j’étais en train de travailler à une sculpture dans son atelier, très concentrée. Il m’a juste dit ‘c’est vous qui avez fait ça ?’. Et ensuite il m’a dit ‘Bravo !’. Et de cette scène me reste aussi l’importance du regard des autres sur ce que je fais. 
»

Il y a aussi peut-être une permanence dans le chemin de Natali Fortier, une tonalité québécoise qui traverse ses oeuvres, une trace du pays d'avant, à retrouver aussi dans les forêts et les lacs qui entourent Châlette sur Loing, cette ville du Loiret (100 kms au sud de Paris) où elle s'est posée voilà deux décennies.  "Le Québec est plus que là. Quand tu rentres chez moi, quand tu vas dans le jardin, ça pourrait tout à fait être le Québec. Rien que la tonalité du nom de la ville, ce mot Châlette… Quand je dis que j’habite à Châlette, les gens ils croient que j’habite encore au Québec. A Québec, je travaillais dehors, et ici aussi."

Châlette sur Loing
A Châlette sur Loing, au coeur de la France, entre forêts et lacs, une tonalité québécoise, qui convient tant à Natali Fortier
(c) Sylvie Braibant

Double exposition

En ce mois de décembre 2017, elle expose et s'expose.
C'est d'abord L'art à la page, une galerie dans le chic quartier de Saint Germain des Près, à deux pas de l'église Saint Sulpice qui lui a offert ses murs deux mois durant. 

De ses tableaux au fusain, Marie-Thérèse Devèze, la directrice du lieu (qui est aussi une maison d'édition) écrit : "Le plus souvent, peu de blanc, pas de marge, car Natali Fortier utilise alors tout l’espace. Les formes surgissent des profondeurs du noir, jouent avec les gris, parfois un rouge presque brique. Pour quelques uns c’est le trait qui prédomine, donnant vie et sens à des espaces blancs. Noir sur blanc, blanc sur blanc, blanc sur noir. Natali Fortier travaille ses dessins sans croquis, sans repentir possible. C’est « la main » qui trace et dessine. Ses compositions: des êtres hybrides, difformes et magiques, magnifiques et inquiétants hommes-oiseaux, loups et chiens, qui semblent prendre autonomie et vie sur le papier. Tous ils nous regardent ? échangent ? questionnent ? Qui sont-ils ? témoins d’un autre monde, de nos peurs, envers de nous-mêmes ?"

Natali Fortier exposition
Une série au fusain sur de grands formats papier était exposée en octobre et novembre 2017 sur les murs de la galerie L'art à à la page, à Paris
(c) Sylvie Braibant
Puis, c'est le Centre culturel Canadien qui l'a invitée pour son dernier événement de l'année 2017, un point final aussi de/dans son siège historique de l'esplanade des Invalides avant qu'il ne traverse la Seine en 2018. Une journée de "lectures musicales", de contes, avec la comédienne/pianiste Sylvie Jobert, pour les enfants et les adultes (toujours un peu enfants eux aussi), tandis que s'affichent les illustrations puisées dans ses livres.
Des mots jetés, des assemblages d'expressions aperçus dans les matériaux les plus divers, adaptés de trois livres : Démasquez (ed L'art à la page), L’amour, ça vaut le détour (ed Albin Michel) et Sur la pointe des pieds (ed L’atelier du poisson soluble). 

On y passe de l'étrange au sentimental, et de la joie à la tristesse.  
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Avec "L'amour ça vaut le détour", au déroulé en poupées gigognes, il y a aussi une histoire autour de l'histoire racontée dans le livre, celle d'un dessinateur qui après des allers-retours, se laisse embarquer dans l'amour.  "Je ne sais pas toujours comment mes personnages et mes histoires arrivent… Pour le livre 'L’amour ça vaut le détour', j’avais d’abord écrit une histoire d’amour un peu nunuche. Et puis j'ai été entrainée ailleurs."
 
C'était terrifiant ce qu'il s'était passé là, on tuait ce pourquoi j'aimais tant la France. 
Natali Fortier
Nous sommes en janvier 2015, ces jours où l'horreur frappe à Paris, avec les attentats perpétrés contre le journal satirique Charlie Hebdo puis contre un magasin juif aux portes de la capitale, qui laisseront 17 morts derrière eux. Parmi les victimes, le dessinateur Honoré, que Natali Fortier a connu lorsqu'elle travaillait pour le Magazine littéraire. "Quand soudain Honoré meurt, c'était terrifiant ce qu'il s'était passé là, on tuait ce pourquoi j'aimais tant la France et ce monde là, celui du dessin qui m'avait si bien accueillie. Alors dans 'L'amour ça vaut le détour', mon personnage c'est Honoré jeune, avec son bouc, son élégance et sa modestie. Et par rapport à ce qui venait d'arriver, j'avais envie de parler d'amour. Et j'ai fait de mon personnage principal un dessinateur, parce qu'il fallait parler des dessinateurs.
 
Natali Fortier Lamour
L'amour ça vaut le détour, une histoire qui transporte, l'un des albums les plus récents de Natali Fortier chez Albin Michel

Identités, in-définitions

Même si elle se sent surtout  peintre, à son arrivée en France, elle perce par le dessin. La première fois qu'elle est publiée, c'est dans la très prestigieuse revue « Le Fou parle, revue d'art et d'humeur » (de 1977 - 1984, sous la houlette de Jacques Vallet, s'y exprimèrent les plus grands auteurs et graphistes, tels Roland Topor ou George Perec). Il lui faut aussi travailler comme serveuse, femme de ménage ou cuisinière pour vivre. 
Et puis elle rejoint le Magazine littéraire avec lequel elle collaborera 13 ans. 

Comment se définit-elle aujourd'hui, ou plutôt comment s'indéfinit-elle ? "J'ai l'impression de prendre l'identité de certaines personnes qui elles n'ont pas pu avoir d'identité, de m'être enroulée quelque part. Je suis quelqu'un qui a eu la chance de pouvoir parler. Dans ma vie, il y a eu trop de gens qui ne pouvaient pas parler. Je ne sais pas ce que c'est mon identité à moi toute seule. Je ne sais pas très bien ce qu'est ce mot. Je ne suis qu'une seule personne, je n'ai qu'une seule vie, de cela je suis sûre. Alors c'est avec mes dessins, que je ne suis plus une seule personne, que je tente d'être d'autres.
En vieillissant, je vois aussi d'avantage les réactions à mon travail, des enfants par exemple, et c'est irrésistible. Alors peut-être qu'aujourd'hui j'y prends plus garde, même si quand je suis dans mon atelier, j'oublie tout et tout le monde. Je n'ai pas envie de 'faire attention' à ce que je dessine, à ce que j'écris, à ce que je sculpte. Peut-être qu'aujourd'hui j'ai seulement envie d'être plus douce.

Je veux continuer à circuler dans différents monde

Etre femme artiste, une condition qu'elle a aussi parfois durement ressentie : "Je me souviens que lorsqu'on m'avait découvert 'un petit talent', des professeurs m'avaient dit : 'toi, trouves toi un mari riche, et surtout ne fais pas d'enfant' ! Heureusement que je ne les ai pas écoutés. Mais oui je l'ai vraiment senti ce regard là. Il y a un regard condescendant aussi sur le travail d'illustration pour enfants, alors que ça devrait être l'inverse, parce que y a-t-il quelque chose de plus précieux que les enfants ? C'est pour ça que moi je veux continuer à circuler dans différents mondes, et à être connue dans ces différents monde."

Natali Fortier se rappelle aussi, en riant, que pour le Magazine littéraire, alors qu'elle devait faire un dessin érotique, elle avait l'une de ses filles rivée à son sein, et tandis qu'elle dessinait, elle contemplait ce sein si rond et cette toute petite tête qui y était accrochée.
Comme l'une de ces merveilleuses petite têtes qui peuplent la très généreuse planète de Natali Fortier...

Natali Fortier TËTES
(c) Natali Fortier
Pour en savoir plus : 

> Le site de Natali Fortier
> Et ci dessous un entretien en vidéo dans son atelier réalisé en 2016
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1