Natasha Kanapé Fontaine, l'artiste innue qui porte les mots des autochtones

Poétesse, chanteuse et peintre d'origine innue, Natasha Kanapé Fontaine est en tournée au Québec avec un spectacle baptisé "NUI PIMUTEN, je veux marcher". Elle invite le public à voyager jusqu’à la Côte-Nord, sa région d'origine, pour aller à la rencontre de son peuple, son univers. Rencontre.
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natasha Fontaine
La poétesse innue Natasha Kanapé Fontaine emmène le spectateur pour un voyage initiatique sur sa côte nord d'origine, un voyage sous forme de quête identitaire.
©Natasha Kanapé Fontaine
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Dans son spectacle, Natasha Kanapé Fontaine raconte la quête qu’elle a menée ces dernières années pour reprendre contact avec son identité innue et renouer avec ses racines. Ses parents, issus de la communauté innue de Pessamit, sur la Côte-Nord du Québec - que les Innus appellent « Netassinan » - ont décidé de quitter le village pour aller s’installer en ville, à Baie-Comeau, alors que Natasha était enfant.

D'avoir été, donc, acculturée d'une certaine façon, toutes les dernières années ont servi à ce que je reprenne non seulement contact mais que je reprenne conscience de qu'est-ce qui est en moi innu.
Natasha Kanapé Fontaine

Retrouver son identité innue

Elle a passé une partie de son enfance et son adolescence immergée parmi les Québécois, loin de son peuple d’origine. Alors à 16 ans, la jeune femme a décidé de retourner à Pessamit pour retrouver les siens. « D'avoir été, donc, acculturée d'une certaine façon, toutes les dernières années ont servi à ce que je reprenne non seulement contact mais que je reprenne conscience de qu'est-ce qui est en moi innu et qu'est-ce que ça réellement veut dire dans le monde aujourd'hui, explique la jeune femme qui a maintenant 30 ans. Pour moi, le spectacle, c'est une reprise de mon identité, je raconte aussi mon voyage durant cette quête-là mais en même temps j’invite le spectateur à voyager avec moi ».

Cette quête a été longue et douloureuse, souligne l’artiste, car elle a mené à la prise de conscience des mauvais traitements dont ont été victimes les peuples autochtones depuis l’arrivée du colon blanc sur leurs territoires, notamment le drame des pensionnats autochtones, ces institutions religieuses dans lesquelles le gouvernement canadien forçait les enfants autochtones à suivre un enseignement destiné à les couper de leurs racines et à les assimiler à la culture blanche.

Beaucoup d’enfants ont subi dans ces pensionnats des mauvais traitements, des agressions sexuelles voire la mort pour des milliers d’entre eux. Un drame qui a détruit des dizaines de milliers d’autochtones au fil des décennie. Sans oublier le racisme systémique dont sont encore trop souvent victimes les peuples des Premières Nations…

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Porter les mots et les maux du peuple autochtone

Voilà pourquoi, en se réappropriant son identité innue, Natasha Kanapé Fontaine a épousé tout naturellement la cause autochtone : « J'ai fait partie du mouvement « Idle No More » depuis les débuts et je porte cette cause partout où je vais. Et moi la bataille, je la mène avec la poésie ».

Elle raconte comment, l’automne dernier, le drame de Joyce Echaquan l’a bouleversée. Joyce, c’est cette femme d’origine atikamekw de 37 ans qui est morte à l’hôpital de Joliette, dans la grande région de Montréal, après avoir subi des insultes racistes de la part de membres du personnel soignant. Sur son lit de mort, elle s’était filmée en train d’appeler à l’aide et avait mis la vidéo sur Facebook. L’histoire a créé un choc au Québec et soulevé une puissante vague de colère, aussi bien chez les autochtones que chez de nombreux Québécois, parce qu’elle était une nouvelle fois la preuve que les autochtones sont régulièrement victimes de racisme systémique quand ils sont en contact avec les institutions québécoises, notamment de santé, et qu’ils n’ont pas droit à un traitement équitable.

Cela a pris des mois, après la mort de Joyce, pour qu'elle arrive à lui écrire un poème, « Je reste » qui se retrouve dans son dernier disque.

Revendiquer sa colère

Dans son spectacle, la douceur de sa voix et des arrangements musicaux du musicien Manuel Gasse, qui l’accompagne sur scène, cohabitent avec des moments plus puissants au cours desquels Natasha laisse éclater sa colère, une colère légitime et nécessaire pour faire avancer la cause estime l’artiste : « Être en colère, la ressentir, l'accepter, ne pas avoir honte d'être en colère, il faut l'être et le faire plus que jamais cette année parce qu'avec Joyce on a vu le pire qui peut arriver, le pire jusqu'où les relations peuvent aller entre nous, donc pour l'empêcher, il faut savoir exprimer cette colère là et je pense que cette colère-là, elle était partagée pour une fois entre autochtones et québécois et c'est ce qui a fait que nous avons marché ensemble dans les rues pour réclamer justice pour Joyce ».
 

Quête, je pense que c'est le bon mot pour expliquer ce que je ressens de plus en plus chez les Québécois en grand nombre.
Natasha Kanapé Fontaine

Sur scène, elle chante en français et en innu-aimun, sa langue d'origine. Natasha a l’impression que de plus en plus de Québécois s’ouvrent aux peuples autochtones et ont une soif de découverte envers eux : « Quête, je pense que c'est le bon mot pour expliquer ce que je ressens de plus en plus chez les Québécois en grand nombre. Pour moi, la chose la plus concrète que je pouvais faire, c'était de créer ce spectacle et, au travers de ces textes-là, inviter les gens à voyager à l'intérieur de cette expérience-là, être innue, être autochtone aujourd'hui. Et finalement, si les gens apprécient, c'est peut-être parce que j'ai réussi quelque chose avec ce spectacle-là... toucher l'âme, le cœur... ».
 

La chanteuse-poétesse se réjouit aussi de constater que la scène artistique québécoise met de l’avant de plus en plus d’artistes autochtones : « J'imagine le futur, on va se retrouver avec plein d'artistes autochtones au Québec qui vont être dans la maîtrise de leur art, dans le déploiement l'épanouissement et je pense que cette époque-là va vraiment être une de nos plus belles pour nous mais aussi pour les sociétés québécoise et canadienne ».

Concernant le futur, Natasha Kanapé Fontaine a plein de projets, un film avec le Danemark et le Groënland notamment, et reprendre la tournée de ce spectacle qu’elle devait présenter en Europe mais que la pandémie a annulé. Parlant d’Europe, la France vient de lui remettre l’insigne de Chevalière de l’Ordre des arts et des lettres pour son rayonnement de la culture autochtone.

Une culture qu’elle va continuer à faire rayonner, en écrivant d’autres poèmes, d’autres chansons, d’autres romans – elle vient d’en publier un premier d’ailleurs, Nauetakuan, un silence pour un bruit, et en continuant à peindre, car la peinture est son médium artistique préféré, celui dans lequel elle se sent la plus libre : « En peinture, je fais beaucoup de l'abstrait, et c'est le moment où je m'attends le plus à recevoir un retour de la couleur, de la matière, qui me donne un portrait de ce à quoi je pense inconsciemment, c'est comme un dialogue avec moi-même, plus que moi, c'est au-delà de moi, souvent j'ai l'impression de dialoguer avec mes grands-parents qui sont décédés depuis longtemps… J'ai l'impression que c'est mon expression la plus pure, dans le sens que je n'ai pas d'attente ni envers moi-même ni envers la matière ».

Une artiste authentique, alliant sensibilité à fleur de peau et à fleur de mots, et une puissance de frappe qui saisit et ne laisse personne indifférent, à découvrir sans modération…