Fil d'Ariane
En mars 2018, Nathalie Lasselin a été intronisée au « Women Divers Hall of Frame », le temple de la renommée des plongeuses, une reconnaissance professionnelle plus que méritée pour cette Franco-québécoise – originaire du nord de la France, elle vit au Québec depuis 27 ans – qui plonge depuis 18 ans maintenant.
« C’est venu valider que mon changement de vie et de carrière était une bonne chose parce que j'ai suivi ma passion, j'ai suivi mon cœur, explique la plongeuse. Lors de ma première plongée, j’étais dans un endroit pas très sexy, une carrière à Thetford Mines, et j’ai vu le fond et je me suis dit : je veux aller voir dans le fond. Je me suis renseignée, j’ai appris ce qu’il fallait faire pour aller dans les profondeurs de manière sécuritaire et en l’espace de quelques semaines ma vie a alors complètement changé. Donc c’est devenu une véritable passion…
Et non seulement ce qu’il se passe sous la surface de l’eau m’intéresse, mais une vieille passion, un vieil intérêt quand j’étais petite, c’était ce qu’il se passait sous la terre, sous nos pieds, je me suis toujours demandé : mais qu’est-ce qu’il y a en dessous de nos pieds ? Et à un moment donné, j’ai mêlé la spéléo et la plongée et j’ai commencé à faire de l’exploration dans les grottes sous terre ».
Plus je plonge, plus je pousse l'exploration, plus je découvre en fait les beautés et les fragilités de la terre et ça devient une raison de vivre
Nathalie Lasselin
Cette passion l’a menée sur tous les continents, sous la terre et sous la mer, autant de plongées qu’elle a documentées dans des films et des documentaires, car la sportive est aussi cinéaste, documentariste et directrice photo, spécialisée justement dans des tournages sous-marins en conditions extrêmes. « Plus je plonge, plus je pousse l'exploration, plus je découvre en fait les beautés et les fragilités de la terre et ça devient une raison de vivre, plus que juste un passe-temps ou un métier » précise la passionnée.
Et puis un jour, après avoir navigué partout sur la planète, Nathalie Lasselin s’est dit : et pourquoi ne pas explorer ce joyau que j’ai à portée de main, le fleuve Saint-Laurent ? Ce fleuve qui est si mal aimé à Montréal parce qu’on y a si peu accès malheureusement : « Plus ça va, plus je suis sensible à la qualité de l'eau, à la qualité de l'eau douce et je me suis dit : c'est un peu dommage, je vis à côté d'un grand fleuve, que je ne connais pas - je le connais en Ontario, je l'ai plongé à partir de Québec jusqu'aux îles de la Madeleine, mais à Montréal, comme tel, je ne le connais pas. Alors je me suis dit : Nath, quand tu vas vieillir, si tu ne fais pas cette plongée-là, comment tu vas vivre avec ça ? Et comme je ne suis pas sûre que je vais bien vivre si je ne le fais pas, eh bien c'est maintenant qu'il faut que je le fasse ».
C’est ainsi qu’est née cette folle odyssée urbaine aquatique dans le fleuve. A l’été 2017, elle a réussi une première plongée de 21 kilomètres dans les eaux troubles du Saint-Laurent, accompagnée d’une équipe sur l’eau et d’une oie en plastique, son flotteur fétiche qu’elle a baptisé KAGUK, car ça veut dire bernache en inuktitut. Elle a plongé sous le pont Jacques-Cartier pour ressortir près de Repentigny, dans l’est de l’île, aidée d’un petit propulseur à la James Bond pour aller plus vite. La plongée a duré six heures.
« Quand je suis rentrée dans l’eau, quelque chose est venu à ma rencontre, je crois que c’était un esturgeon, ils sont assez gros d’ailleurs dans le fleuve : c’était assez impressionnant ! Ah c'était fou, c'était fou ! Plus ça avançait, plus j'étais émerveillée, je suis très concentrée sur mon azimut, la direction où je vais, j'essaie de voir partout, il y a les rochers, ça va très vite ».
Nathalie a aussi été impressionnée d’entendre le flot des automobiles qui roulent sous le fleuve quand elles empruntent le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine pour se rendre sur la Rive-Sud du fleuve : « c’était un vrombissement très fort et constant, ça m’a pris du temps à comprendre ce que c’était, raconte-t-elle. Quand je suis arrivée à la fin, je me suis dit : OK, je l'ai fait, j’ai vu, il y a effectivement beaucoup de choses à documenter et va falloir que je revienne. Je me suis rendu compte de la complexité énorme de ces plongées-là et de la richesse incroyable qu'il y a là-dessous. »
Depuis des mois, Nathalie s’entraîne pour cette plongée extrême : en plus des séances de musculation et des heures de natation, elle enfile régulièrement sa combinaison pour s’immerger dans le fleuve. « Oui, ça va être une épreuve physique, c’est sûr, mais le mental va jouer beaucoup », estime la plongeuse.
Je préfère même avoir mal s’il le faut, plutôt que de vivre tièdement
Nathalie Lasselin
Le danger, le risque, elle connaît, elle vit avec depuis des années : « Je n’ai qu'une vie à vivre, je préfère avoir du bonheur, je préfère même avoir mal s’il le faut, plutôt que de vivre tièdement, je pense que la routine et le gris pâle, c'est quelque chose qui ne fait pas partie de mes valeurs. Oui il y a des plongées qui m'ont fait peur, ça m'est déjà arrivé de faire mon testament avant de plonger, en me disant hum peut-être que celle-là, ça ne passera pas. En même temps, j'ai la chance de savoir ce qu'est la peur et en ayant peur, ça fait en sorte qu'on va prendre certaines mesures, on va mettre en place certains mécanismes qui risquent de nous faire arrêter avant de nous pousser dans une situation où effectivement, on pourrait passer de l'autre côté ».
Nathalie s’attend à toutes sortes de surprises en septembre prochain quand elle va faire cette plongée qui sera une première mondiale en matière d’exploration sous-marine urbaine : « Je vais rester entre 30 et 40 heures sous l’eau, me nourrir avec des aliments liquides et même dormir, pour me reposer un peu. Pour réussir, il faut vraiment être constant dans ce qu'on fait, faut s'impliquer, se commettre pleinement, c'est la raison pour laquelle je ne veux pas sortir de l'eau. Je sais que ça va faire mal, je sais qu'il y a des moments où je vais me dire : "mais à quoi tu as pensé, c'est complètement fou !" mais je m'engage pleinement à faire une seule plongée, je vais rester sous l'eau parce qu'on peut réussir des grandes choses, atteindre des objectifs incroyables si on s'engage pleinement dans ce qu'on fait ».
Au-delà de l’exploit sportif, l’épopée, qui sera filmée pour un documentaire, poursuit également une mission environnementale : Nathalie va faire des prélèvements dans le fleuve pour évaluer la santé du fleuve.
« Je vais filmer sous l'eau, je vais documenter, les poissons, mais aussi la pollution qu'on peut voir, et la pollution invisible, car malheureusement à notre époque, il y a toute une pollution qui pose énormément de questions, c'est celle qui est issue des pesticides, des herbicides, hormones, ibuprofènes, contraceptifs, antidépresseurs qui se retrouvent dans l'eau. Donc je vais à différents endroits prendre des sédiments et de l'eau qui seront analysés par des scientifiques et on va voir un petit peu ce qu'on rejette dans l'eau ».
Et après ? Quel est son programme après cette plongée extrême ? Nathalie n’est pas prête à s’arrêter : « c’est sûr qu’il va y avoir autre chose parce que ça ne peut pas s’arrêter, chaque projet en amène un autre, chaque découverte amène d’autres questions, je ne sais pas exactement ce que ce sera, j’ai l’impression qu’après cette plongée-là, cela va ouvrir la porte à d’autres découvertes à faire ».