Il y a 40 ans, cette femme issue de la haute société argentine a abandonné son mari et son confort pour aider les déshérités argentins. Elue Femme de l’année 2006 en Italie, nommée au prix Nobel de la Paix en 2009, Natty Petrosino se dit guidée par une « mission divine ».
Sur un chemin désertique en plein milieu de l’épaisse végétation de l’Impenetrable, une région subtropicale de la province argentine de Formosa, un 4X4 flambant neuf zigzague afin d’éviter les nids de poules. A l’intérieur, Natty Petrosino - âgée de 72 ans et nominée au prix Nobel de la Paix en 2009. Elle est accompagnée de son fidèle assistant Marcos et de son inséparable yorkshire Doddy. La main sur sa croix, Natty Petrosino se prépare – au nom de Dieu - à aider plusieurs communautés indiennes wichis, dans une des régions du nord de l’Argentine connue pour être aussi pauvre que l’Afrique. Née princesse, morte et ressuscitée en « Mère Teresa » Tout au long du voyage apparaissent derrière les troncs gonflés des arbres palos borrachos (bois ivrogne) et munis de fusils de chasse quelques Indiens wichis. Ils portent des casquettes bleues et jaunes de Boca Juniors, la fameuse équipe de football de Buenos Aires. D’un bref geste de la main ils saluent Natty Petrosino, agrippée au siège arrière du 4x4 vrombissant. C’est évident : tout le monde la connaît dans cette zone sauvage. Depuis plus de 40 ans, Natty Petrosino, appelée malgré elle la « Mère Teresa » argentine - même si la comparaison semble ne pas lui déplaire - dédie sa vie à assister les plus démunis de son pays, cela au nom de son incommensurable amour pour Dieu. Née dans une famille de la haute bourgeoisie de la ville de Bahía Blanca (à 600 km au sud de Buenos Aires), la jeune et jolie Natty profite de sa vie de princesse et devient mannequin et actrice de cinéma. A 27 ans, souffrant d’un cancer de l’oreille, elle expérimente – selon elle - la mort. Une traversée dans l’au-delà pendant laquelle Natty a une vision. Jésus lui apparaît et lui dit qu’il lui permettra de revenir à la vie si elle accepte de servir avec amour et dévotion ceux qui en ont besoin.
De retour chez elle, avec ses deux fils et son époux, elle part à la recherche dans la rue, dans les commissariats et les hôpitaux des vagabonds, malades, handicapés, mères célibataires… transformant son foyer en Arche de Noé des malheureux : « On leur a donné nos chambres, nos vêtements, et quand le garage a été lui aussi occupé, mon mari a dit assez ». Abandonnée par la haute société de Bahía Blanca, où en catimini on sous-entendait que « la Petrosino était devenue folle », Natty renonce à sa maison et à sa vie familiale afin de continuer sa mission divine. Une décision respectée par ses fils (Jorge et Fabián) et Juan Francisco, l’un de ses fils adoptifs, qui participent aux projets de leur mère. C’est en 1993 que le destin de Natty Petrosino change de nouveau de cap lorsque, récompensée par la Chambre des Députées pour ses tâches humanitaires, elle écoute les commentaires alarmants d’une anthropologue concernant la situation de pauvreté des Indiens wichis de la province de Formosa : « Pas plus d’une semaine plus tard, dit Natty, j’ai voyagé dans un camion chargé de 40 tonnes de marchandises pour aller les aider ». La « nonne riche » chez les Indiens whichis A la communauté wichi « Divisadero » (habitée par 700 personnes), des enfants pieds nus et quelques uns sans aucun vêtement traversent – sous les aboiements des chiens squelettiques - un nuage de poussière de sable brun, soulevé par le vent chaud. Ils courent vers la voiture et de la main envoient des bises à Natty avant de recevoir de sa part des bouts de pain qu’ils s’empressent de manger. Entre deux bouchées, ils toussent. Simple rhume attrapé en dormant dehors pendant les nuits froides de l’Impenetrable ou tuberculose persistante ? On ne sait pas. Environ 5000 Wichis – sur les 80.000 présents en Argentine - vivent dans cette zone de la province de Formosa dans des conditions sanitaires et nutritionnelles dramatiques.
En raison de ses antécédents bourgeois et de ses origines allemandes, quelques Wichis envieux surnomment Natty Petrosino la « nonne riche ». Pendant 15 ans, afin de se faire accepter par les wichis, Natty a dormi au pied d’un arbre avec eux, affrontant les intempéries et une faune mortelle. Elle prend alors une autre grande décision dans sa vie : laisser le foyer Saint François d’Assise - qu’elle créa en 1978 et où durant des années elle donna à manger à 7000 personnes par jour - afin de se consacrer aux Indiens wichis de Formosa et aux Huarpes de Mendoza. « Je me suis rendue compte que d’autres personnes et institutions pouvaient facilement me remplacer dans les bidonvilles et foyers. Mais au beau milieu de la jungle personne ne vient aider les enfants indiens qui meurent de diarrhées. » déclare Natty avec conviction, pendant que son fidèle assistant Marcos décharge du 4X4 des lourds cartons de nourriture. Combat contre la rage et la lèpre Le soleil est sur le point de se coucher. Plusieurs Indiens wichis approchent Natty pour lui demander de la nourriture et des vêtements dans la zone protégée par une barrière où elle a établi ses quartiers. C’est là que se trouvent le centre de santé, le dépôt, et les humbles maisonnettes des bénévoles. Sans oublier la maison roulante en tôle de 3 mètres sur 2 où Natty passe ses nuits. A cause de deux vertèbres fracturées qui momentanément "l’empêchent, dit-elle, que Jésus utilise ses mains pour construire des maisons et peindre", Natty, avec l'aide de Marcos, enfile un corset orthopédique. Elle demande ensuite à Timotea – une femme wichi d’âge mûr aux cheveux poivre et sel, emmitouflée dans une simple couverture - ce dont elle a besoin. Comme de nombreux indiens d’Argentine, les Wichis ont adopté des noms espagnols, bien qu’ils ne maîtrisent pas totalement la langue, et se sentent discriminés par les blancs avec qui ils ont connu plusieurs affrontements violents. Timotea, la bouche gonflée par une boule de feuilles de coca qu’elle mastique - un stimulant naturel considéré comme une plante sacrée par les communautés indiennes d’Amérique du sud - se plaint de démangeaisons sur les avants-bras. Natty la regarde. Sans rien dire elle ouvre le dépôt et va chercher un savon, des crèmes et un shampoing. La gale persiste malgré les vaccinations des chiens de la communauté organisées par Natty. Plusieurs décès par an sont à déplorer. Contrairement à ce que pensent les quelques bénévoles qui travaillent avec elle - comme les Suisses fortunés Tom et Susan - Natty n’attend rien en échange de l’aide qu’elle apporte à autrui : « Il faut laisser l’ego de côté afin de montrer au monde que tout est possible à partir de l’entraide et de l’amour de Dieu », dit-elle, mettant en ordre les bigoudis multicolores de son Yorkshire.
50 maisons bâties Les problèmes de santé et d’hygiène sont toujours bien présents, mais Natty Petrosino peut être fière d’avoir quasi éradiquée la lèpre dans la zone de l’Impenetrable, et de continuer la construction des maisons pour les 87 familles qui composent la communauté : « J’ai réalisé l’importance de faire des maisons pour les indiens wichis : une personne à qui tu donnes 10 kg de sucre et qui vit au pied d’un arbre perd tout quand il pleut ». A ce jour 50 maisons ont été bâties, mais il en faut davantage. Vicente est un Wichi de 25 ans, même s'il en paraît plus, père de six enfants. Vêtu de son maillot de football bleu et blanc, il participe à la construction d’une maison pour une famille de la communauté avec une douzaine d’amis. En fin de journée, après avoir travaillé, il recevra en échange de la part de Natty de la nourriture. Aujourd’hui, c’est un sac de pâtes qui l’attend. Cinq tonnes de pâtes qui comme les vêtements, médicaments, ciment ou argent proviennent des donations que Natty Petrosino reçoit de la part d’entreprises, de coopératives argentines et de particuliers du monde entier. Elle-même vit de la charité et n’a pas hésité à investir dans sa mission humanitaire les 20 000 euros de récompense gagnée lorsqu’elle a été élue Femme de l’année 2006 en Italie. « Une maison équipée coûte 6000 dollars (4598 euros)» précise Natty. Un prix bien en dessous des 23 000 dollars (17 626 euros) que coûte un logement social financé par l’Etat argentin dans la province de Buenos Aires : « On paye les Indiens wichis qui peuvent travailler avec de la nourriture ou des vêtements afin qu’ils s’habituent à manger ce qu’ils gagnent, et à ne pas être dépendants des 500 pesos (89 euros) d’allocations qu’ils reçoivent. » Les allocations et les dons de vaccins sont les principales actions de l’Etat argentin dans cette zone.
Pas de prosélytisme Marcos – cameraman de profession - suit la mission de Natty depuis plus de 14 ans : « Cela a été un tournant radical dans ma vie » commente-t-il, allure impeccable même en pleine jungle. « Quand je suis allé pour la première fois au foyer de Bahía Blanca pour rencontrer Natty, j’ai senti que Dieu était avec elle ». Epuisée par d’insupportables douleurs de dos, Natty Petrosino se dirige vers sa maison roulante pour prendre un comprimé de morphine et se reposer. Mais ce n’est pas possible. Deux artisans indiens wichis veulent troquer avec elle des croix de Jésus en bois et des yikas [sacs typiques de la culture wichi fabriqués avec la plante caraguata, NDLR] contre des pâtes et des chaussures. Selon les anthropologues, les Indiens wichis sont animistes et chamanistes, mais l’influence de missionnaires britanniques anglicans à partir de 1915 a quelque peu changé leurs croyances. Natty, qui se défend de tout prosélytisme religieux, rejette cette attitude colonisatrice et aide son prochain sans se soucier de sa religion. Julián, un Wichi de 24 ans, étudiant en aérotechnique et père de deux enfants, soutient son discours de tolérance : « Natty ne discrimine pas celui qui se soûle, celui qui coquea [en espagnol, celui qui mastique des feuilles de coca, NDLR] ou celui qui blasphème » assure-t-il avec un large sourire qui laisse apparaître des dents gâtés.
Mission divine En pleine nuit, alors que règne le silence dans la jungle de l’Impenetrable - les Wichis n’osent pas faire de bruit de peur d’être grondés par Natty - une Indienne réveille la communauté. Sa fille Florencia enceinte de cinq mois vient de faire une fausse couche. Dans une maison perdue dans la jungle, Natty trouve Florencia allongée sur le sol. Les effluves des feux de palo santo (bois saint) que les Indiens utilisent pour repousser les moustiques porteurs de la dengue et de la fièvre jaune disparaissent sous l’odeur aigre du sang et du placenta. La maison construite par Natty pour cette famille est en très mauvais état, et n’est pas entretenue. Il est vrai que les Wichis préfèrent dormir sous les étoiles que sous un toit. A côté de la jeune femme, enfouie dans une vieille couverture, le bébé prématuré est entre la vie et la mort. Pendant le long trajet en voiture vers l’hôpital de Potrillo, Natty pose le nourrisson contre sa poitrine afin de lui faire écouter les rassurants battements de son cœur. Quelques minutes plus tard sur le parking de l’hôpital, il succombera dans ses bras avant de recevoir les premiers soins. En larmes, Natty Petrosino salue l’âme du nourrisson qu’elle a tentée de sauver. Malgré les déceptions et douleurs qu’elle peut vivre en aidant les Indiens wichis, elle n’abandonnera jamais sa mission divine : « Même le meilleur jardinier ne peut faire fleurir en hiver, mais avec l’amour de Dieu je continuerai d’essayer ».
Natty Petrosino chez les indiens whichis
Natty Petrosino chez les indiens whichis