Fil d'Ariane
Souvent décrite comme la "Simone de Beauvoir du monde arabe", Nawal al-Saadawi était une voix pionnière sur l’identité et le rôle des femmes dans la société, l’égalité des sexes et la place des femmes dans l’islam.
Autrice d'une cinquantaine d'ouvrages, traduits dans une trentaine de langues, cette psychiatre de formation s'est toujours prononcée contre la polygamie, le port du voile islamique, l'inégalité des droits de succession entre hommes et femmes dans l'islam, et surtout l'excision, qui concerne plus de 90% des Égyptiennes.
"Nawal el Saadawi, autrice, militante et médecin égyptienne (était) devenue l'emblème de la lutte pour les droits des femmes dans le monde arabe patriarcal et faisait campagne contre les mutilations génitales féminines, qu'elle avait subies à l'âge de 6 ans", écrit Alan Cowel dans un article lui rendant hommage dans le New York Times.
"Je ne me soucie pas des critiques universitaires ou du gouvernement, je ne cherche pas les prix", avait déclaré en 2015 cette militante et écrivaine, dont le tempérament d'acier tranchait avec sa frêle silhouette, son élégante chevelure blanche et son sourire chaleureux. Son franc-parler et ses positions audacieuses sur des sujets jugés tabous par une société égyptienne largement conservatrice lui ont valu des ennuis avec les autorités, les institutions religieuses et les islamistes radicaux. Par le passé, elle a d'ailleurs été accusée d'apostasie et d'atteinte à l'islam.
"Les femmes sont sacrifiées sur l’autel de Dieu et de l'argent." #NawalElSaadawi#نوال_السعداوي
— I. Betty LACHGAR (@IbtissameBetty) March 22, 2021
Née au Caire le 27 octobre 1931, Nawal al-Saadawi est notamment l'autrice de deux livres féministes de référence dans le monde arabe : Au début, il y avait la femme et La femme et le sexe.
Ses premiers romans paraissent dans les années 1950. En 1958, elle fait ses débuts de romancière avec Mémoires d’une femme docteur, un roman partiellement autobiographique. Dans les années 1970, Nawal commence à critiquer ouvertement le système patriarcal et à aborder des sujets tabous, tels que l'excision, l’avortement, la sexualité, les abus sexuels sur les enfants, et les différentes formes d’oppression des femmes. L’oppression sexuelle et sociale est mise en relation avec la doctrine religieuse dans son court roman Elle n’a pas sa place au paradis (1972).
"L'écriture est devenue une arme pour combattre le système, qui tire son autorité du pouvoir autocratique exercé par le chef de l'État, et celui du père ou du mari dans la famille", écrit-elle dans Une fille d'Isis, un mémoire de ses premières années.
"L’Egyptienne de base est l’esclave des hommes, l’esclave de la société, de la religion et du système politico-financier qui nous écrase tous", déclarait-elle dans un entretien au Monde.
Brièvement emprisonnée en 1981 durant une vaste campagne de répression visant l'opposition du temps de l'ex-président Anouar al-Sadate, Nawal al-Saadawi était une farouche opposante aux régimes autoritaires arabes. Son livre Mémoires de la prison des femmes relate cet épisode. Il a été écrit sur du papier toilette avec un crayon eye-liner introduit en contrebande dans sa cellule. Libérée sous Moubarak, elle fonde en 1982 l’Association arabe pour la solidarité des femmes, qui sera interdite en 1991.
Dans les années 1990, l'apparition de son nom sur une liste de personnalités à abattre, dressée par des milieux extrémistes islamistes, l'avait poussée à s'installer aux Etats-Unis de 1993 à 1996, où elle enseigna à l'université de Dukes.
Nawal al-Saadaoui avait aussi envisagé de se porter candidate à l'élection présidentielle de 2005, mais elle s'était rapidement retirée de la course, dénonçant une "parodie" de démocratie orchestrée du temps de l'ex-raïs Hosni Moubarak, chassé en 2011 par une révolte populaire.
La militante féministe a également été au centre d'une procédure judiciaire visant à la séparer de son époux. En 2001, un avocat attiré par les procès à sensation avait estimé que leur mariage devait être annulé, l'islam interdisant à un homme d'épouser une non-croyante.
Car Nawal al-Saadawi s'est longtemps battue contre "les fondamentalistes religieux".
En 2007, l'institution théologique Al-Azhar, l'une des plus prestigieuses de l'islam sunnite, portait plainte contre elle pour atteinte à l'islam. Un mois plus tôt, son autobiographie et l'une de ses pièces de théâtre avaient été bannies du salon du livre du Caire. Elle avait alors quitté le pays, avant d'y revenir en 2009. "La jeunesse, en Egypte et à l'étranger, m'a toujours couverte d'amour et de reconnaissance", disait-elle.
En 2011, à l'âge de 79 ans, elle rejoignait les manifestants de la place Tahrir au Caire dans des manifestations qui ont conduit au renversement du président Hosni Moubarak, le dernier de ses nombreux affrontements avec les autorités, laïques et religieuses.
Elle s'était ensuite opposée au régime des Frères musulmans, estimant qu'ils avaient "tiré profit de la révolution de 2011", qualifiant "d'année horrible" la courte mandature d'un an de l'ex-président islamiste Mohamed Morsi, issu des rangs de la confrérie et élu démocratiquement avant d'être destitué par l'armée en 2013. Son soutien à la destitution de Mohammed Morsi par le général Abdel Fattah al-Sissi, devenu président, lui avait valu de nombreuses critiques.
Nawal El Saadawi a reçu de nombreuses distinctions, parmi lesquelles le prix du Conseil supérieur de littérature (1974), le prix littéraire de l’amitié franco-arabe (1982), ou le prix littéraire de Gubran (1988).
"J'ai dédié toute ma vie à l'écriture. Malgré tous les obstacles, j'ai toujours continué à écrire", disait cette mère de deux enfants, une fille et un garçon, qui a "divorcé de ses trois maris".
Good night, #NawalAlSaadawi . You made your mark pic.twitter.com/gQKVpJ1pWR
— Abdulwasiu Hassan (@abdulwasiu1) March 22, 2021
Nawal El Saadawi était l’égérie égyptienne de l’émancipation de toutes les femmes arabes. En pionnière, elle lutta inlassablement pour défendre des causes humanistes et justes : https://t.co/iHAzGPx73j
— Jack Lang (@jack_lang) March 22, 2021