Nichelle Nichols, l'héroïne de Star Trek qui brisa les stéréotypes à l'écran

L'actrice Nichelle Nichols incarnait la lieutenante Uhura dans Star Trek. Elle est morte dans la nuit du 30 au 31 juillet à l'âge de 89 ans. Elle fut la première noire à incarner une gradée et à embrasser un blanc dans une série, à une époque où cela, dans la société américaine, relevait de la science-fiction. Nombreux sont les hommages à son rôle de pionnière.

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Nichelle Nichols

Nichelle Nichols à la convention Star Trek de Creation Entertainment au Westin O'Hare à Rosemont, Illinois, le 8 juin 2014. 

Photo par Barry Brecheisen/Invision/AP
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"La nuit dernière, ma mère Nichelle Nichols est décédée de causes naturelles", annonce son fils Kyle sur le site officiel de l'actrice, uhura.com. "Sa vie a été bien vécue et a été un modèle pour nous tous". Un porte-parole de la famille précise que l'actrice est décédée à Silver City, au nouveau-Mexique, où elle vivait avec son fils.

Née le 28 décembre 1932 à Robbins, dans l'Illinois, Grace Dell Nichols commence sa carrière dès l'âge de 14 ans, danseuse et chanteuse auprès de l'orchestre de Duke Ellington. Sa grande percée remonte toutefois à la comédie musicale Kicks and Co. à Chicago, en 1961. La jeune artiste figure ensuite le rôle-titre de Carmen Jones et joue dans une mise en scène new-yorkaise de Porgy and Bess avec Sammy Davis Jr., ainsi que dans The Blacks (Les Nègres de Jean Genet).

Elle commence à décrocher de petits rôles au cinéma jusqu'au casting de la série de science-fiction Star Trek. Un bon "tremplin" vers la scène à Broadway, se dit-elle alors, selon le Washington Post, loin d'imaginer le succès et la dimension iconique que son personnage allait rencontrer.

Lieutenante Uhura : "la représentation compte"

Dans le Star Trek des années 1960, puis dans les six premiers films déclinés de la série, Nichelle Nichols est la lieutenante Uhura, officier aux origines africaines parlant couramment swahili. Le message du casting multiculturel et multiracial de la série est celui-ci : dans un futur lointain, au XXIIIe siècle, la diversité ne serait plus de la science fiction. Une décision audacieuse du diffuseur, NBC, et du créateur de la série, Gene Roddenberry, à une époque où le mariage interracial était encore interdit dans 17 Etats d'Amérique et où les femmes noires étaient cantonnées aux rôles de servantes. Les partisans de la ségrégation fulminent ; les femmes noires, elles, commencent à entrevoir une autre société, plus libre, plus égalitaire. 

Avant tout le monde, elle avait compris que "la représentation compte", lui rend hommage l'acteur américain Wilson Cruz, ouvertement gay et d'origine portoricaine : "Sa présence et sa grâce ont mis en lumière qui nous sommes, personnes de couleur, et nous a donné le courage de réaliser notre potentiel. Repose en paix..."

Martin Luther King, son grand fan

Dans la peau de la lieutenante Uhura, nom dérivé du mot "liberté" en swahili, l'actrice afro-américaine incarne l'un des premiers rôles non stéréotypés à l'écran – et devient rapidement une icône des droits civiques. Elle avait l'admiration de Martin Luther King lui-même, assassiné en 1968, qui lui avait demandé de renoncer à son projet lorsqu'elle avait annoncé sa décision de quitter Star Trek – il lui avait confié que c'était la seule série qu'il autorisait ses enfants à regarder. "Vous avez changé à jamais le visage de la télévision pour toujours, et par conséquent, vous avez changé l'esprit des gens'", lui disait-il, selon le journal britannique The Guardian.

Aujourd'hui, le musée afro-américain de Washington (National Museum of African American History and Culture) lui rend hommage en postant sur les réseaux sociaux la petite robe rouge qui, dans la série, ne la quitte pas, suivie d'une photo de Nichelle Nichols avec l'astronaute Mea Jemison, avec ces mots : "Le rôle de Nichelle Nichols a fait avancer le mouvement des droits civiques et encouragé toute une génération de femmes et de personnes de couleur à se lancer dans des carrières scientifiques...
Sa bravoure, son héritage et son influence perdurent."

Premier baiser

Autre audace des acteurs, du créateur et du diffuseur de la série Star Trek : en 1968, dans l'épisode Plato’s Stepchildren, William Shatner, qui incarnait le capitaine Kirk, et Nichelle Nichols, alias Nyota Uhura, s'embrassent sur la bouche. C'est le premier baiser entre une personne blanche et une personne de couleur à la télévision américaine. A l'époque, le Civil Rights Act, qui interdit la ségrégation raciale, n'a que quelques années, et Martin Luther King vient d'être assassiné. Il faut donc concevoir la scène de façon à contourner les barrières raciales encore très présentes dans la société américaine. Alors les personnages ne s'embrassent pas "de leur plein gré" : s'ils se livrent à geste fou, c'est qu'ils sont habités par des extraterrestres. 

Recruteuse pour la Nasa

Fascinée par les voyages dans l'espace, et pas seulement à l'écran. elle a participé à une mission de l'observatoire d'astronomie C-141 à haute altitude pour étudier les atmosphères de Mars et de Saturne. De la fin des années 1970 à la fin des années 1980, Nichelle Nichols était chargée par la Nasa de recruter des candidats astronautes issus de la diversité, comme dans cette video de 1977 :

Beaucoup de ses recrues étaient des femmes ou des astronautes issus de minorités, dont Guion Bluford, le premier astronaute afro-américain ; Sally Ride, qui fut la première Américaine astronaute ; Judith Resnik, qui périt lors de l'accident de Challenger, en 1986, et Ronald McNair, deuxième astronaute afro-américain, lui aussi victime de l'accident de la navette Challenger.

Aujourd'hui, la Nasa rend hommage à cette "pionnière et modèle, qui a symbolisé pour beaucoup tous les possibles. Elle fut notre associée pour recruter les premières femmes et astronautes issus de minorités. Elle a encouragé des générations entières à viser les étoiles."

Le président américain Joe Biden a lui aussi rendu hommage à Nichelle Nichols, qui a "brisé les stéréotypes... Notre nation a perdu une pionnière de la scène et de l'écran qui a redéfini ce qui est possible pour les Noirs américains et les femmes".