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Nigeria : des dizaines de femmes accusent des policiers de viol

Arrêtées pour prostitution, plusieurs dizaines de Nigérianes accusent des policiers de viol et d'agression sexuelle. Un scandale dénoncé lors de manifestations à Abuja. Cette affaire relance le débat sur les droits des femmes dans la société nigériane, et sur l'impunité des agresseurs sexuels. Des appels à la mobilisation ont été lancés ce 10 mai ainsi que le 11 mai, au Nigeria mais aussi à travers la diaspora.

"Au Nigeria, être une femme, jeune, c'est déjà un crime", assène une jeune femme de 25 ans qui, comme les autres victimes, souhaite préserver son anonymat. Interpellée il y a deux semaines à Abuja, alors qu'elle rentrait chez elle, la jeune femme accuse des policiers, ceux-là même chargés de la protéger, de l'avoir violée : "Vers 21h30 ou 22 heures, je rentrais chez moi à pied quand la police m'a arrêtée, m'accusant d'être dehors tard. Ils m'ont demandé de payer 4 000 nairas (10 euros), mais je n'avais pas d'argent sur moi. Alors ils m'ont emmenée dans des fourrés, derrière un bâtiment. Ils étaient quatre. Ils m'ont molestée, et pendant que trois me maintenaient de force, l'un d'eux m'a violée, sans préservatif". 

Ils savent que nous sommes faibles et ne nous considèrent pas comme des êtres humains.
Une victime

Raids et agressions

Les 17 et 26 avril dernier, des dizaines de femmes ont été arrêtées dans des boîtes de nuit, bars à strip-tease, hôtels ou dans les rues de la capitale nigériane. Motif de ces spectaculaires interpellations : prostitution - ce que plusieurs d'entre elles nient fermement. Des témoignages accablants font état de rafles arbitraires et de multiples agressions sexuelles par une force d'intervention spéciale mixte composée d'agents administratifs du territoire de la capitale fédérale (FCT) et de policiers. "Ils savent que nous sommes faibles, et ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains, estime Jenny, la voix tremblante. Tout ça doit cesser, ils doivent être punis".

Une autre victime, une jeune femme de 22 ans, témoigne. Invitée à une soirée reggae dans un hôtel d'Abuja, elle achète une bouteille d'eau à la réception lorsque les forces de l'ordre font irruption. "Ils m'ont trainée dehors en me traitant de prostituée, et m'ont emmenée au commissariat d'Utako, déclare-t-elle, décrivant une opération coup de poing avec de nombreux fourgons et pick-ups. Ils ont ramassé environ 70 filles... Les policiers venaient nous provoquer dans notre cellule, ils nous regardaient nous changer, nous touchaient la poitrine et nous ont gazé plusieurs fois". Selon la jeune femme, une soixantaine de filles ont finalement pu rentrer chez elles: "certaines ont payé des pots-de-vin, d'autres ont accepté de coucher avec des policiers pour être libérées".

"Ils nous ont fait toutes sortes de choses, ils nous ont battues sans merci, ils nous ont pulvérisées au poivre, ils ont utilisé des bâtons, des kobokos (chicottes) et toutes sortes de matraques", raconte une autre victime.

L'avocat et activiste Martin Obono, qui se trouvait au commissariat de police d'Utako la nuit du 26 avril, a lancé l'alerte le premier : "J'ai vu les filles descendre des véhicules en hurlant. Certaines saignaient et m'ont dit qu'elles avaient été violées avec des objets lors de leur transfert... Il y avait une mère avec son bébé de deux mois, ils ne lui ont pas permis de l'allaiter malgré ses supplications et ses pleurs jusqu'à ce qu'une femme officier intervienne".

Amnesty International Nigeria condamne "Le harcèlement constant des femmes par les agents du FCT et de la police. C'est de la discrimination, une violation du droit et des droits humains, de la Constitution. Cela est parfaitement illégal et doit cesser immédiatement" :
 

Relayé dans la presse, le scandale a provoqué une vague d'indignation sur les réseaux sociaux et relancé le débat sur les droits des femmes dans la société nigériane. 
 

Déjà condamnées

Parmi les jeunes femmes arrêtées, 27 ont été présentées devant un tribunal d'Abuja et condamnées à un mois de prison avec sursis et à une amende de 3 000 nairas (7,4 euros) pour prostitution. Dans une lettre ouverte, 72 intellectuels, militants et ONG de défense des droits de l'homme condamnent "l'humiliation publique, les agressions et le harcèlement sexuel de plus de cent femmes". Ils se disent choqués par la condamnation d'un grand nombre d'entre elles lors d'un procès inéquitable et demandent aux autorités fédérales "d'enquêter sur toutes les allégations de sévices et de violences, y compris de viols, dont ces femmes ont été victimes".

La plupart des 27 condamnées ont en outre été "forcées de plaider coupables avant même d'avoir accès à un avocat, en échange de leur liberté", affirme Me Jennifer Ogbogu, qui a défendu plusieurs d'entre elles lors du procès. "Certaines étaient des prostituées, d'autres non, mais en aucun cas cela peut justifier que leurs droits soient ainsi bafoués".

Enquêtes en cours

"Des enquêtes sont ouvertes", déclare Usman Umar, commissaire adjoint de la police d'Abuja, qui assure que "toute personne reconnue coupable d'un acte répréhensible sera interpellée et punie". Reste qu'un porte-parole de la police d'Abuja annonce qu'il ne sera pas disponible "avant le mois prochain", et que des multiples appels et messages envoyés à d'autres responsables de la police fédérale sont restés sans réponse.

De son côté, le patron de la police des polices, Abayomi Shogunle, rappelle à "ceux qui font du bruit" que "la prostitution est un crime puni par loi" au Nigeria, sans répondre des allégations de viols. Il souligne que "la prostitution est un péché selon les deux religions (islam et christianisme), que "la médecine dit que la prostitution propage le sida et que les prostituées ne paient pas d'impôts".

"Un problème avec le viol"

Ce n'est pas la première fois que les forces de l'ordre nigérianes sont accusées d'agressions sexuelles sous couvert de faire respecter les bonnes moeurs. Au point qu'en 2018, les allégations de brutalités policières ont conduit à la refonte d'une unité de police d'élite. En 2005, les casques bleus nigérians sont expulsés de RDC pour le viol de victimes de guerre. En 2010, une enquête menée dans 400 commissariats du pays confirme des cas de viols. 

"La police nigériane a un problème avec le viol", en conclut ce twitto :

En octobre 2017, la Cour de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest avait déjà condamné le gouvernement nigérian à payer 18 millions de nairas (45 000 euros) de dommages et intérêts à trois femmes "illégalement arrêtées, détenues et déclarées prostituées" à Abuja par la FTC - la même force qui a opéré les récents raids nocturnes. Elle avait déclaré que c'était une erreur et un abus verbal de stigmatiser les femmes et de les appeler prostituées sans aucune preuve.

Dans la rue contre les injustices

Environ 200 personnes ont défilé samedi 4 mai 2019 dans la capitale, Abuja, pour dénoncer les injustices. "Les femmes marchent dans la rue, vêtues de jupes courtes et elles sont étiquetées de prostituées pour rien, déclare Marcelle Umar, membre de la Coalition pour vaincre le viol, sur fond de chants de manifestant.e.s. La police fait une descente au club, y emballe toutes les femmes pour les arrêter et laissent les hommes qui sont là," décrit-elle. 

Et quand bien même, ajoute Marcelle Umar : "Il faut être deux pour danser le tango, une personne seule ne peut pas être une prostituée, c'est une transaction entre deux personnes, vous ne pouvez pas arrêter la femme et laisser l'homme."

Parmi les slogans scandés lors des manifestations, on pouvait entendre ou lire sur des panneaux: "Protect us NOT Rape us !" (Protégez-nous, arrêtez de nous violer !), "Sex for bail is rape" ("Forcée au sexe pour être libérée, cela s'appelle un viol") 
 
Car les hommes aussi, manifestent : "Si nous passons sous silence les injustices faites aux autres, qui s'élèvera contre celles qui nous faites lorsque notre tour viendra ? La manifestation de demain est l'occasion de pointer les défauts qui persistent dans notre société. Il faut bien commencer quelque part, et c'est maintenant !" tweete l'un, tandis qu'un autre, dans sa réponse, affiche le slogan "Je m'habille comme je veux"

Les défenseurs des droits humains et civils n'entendent pas en rester là : de Londres à Accra, ils appellent à descendre dans la rue encore plus nombreux ces 10 et 11 mai 2019.