Nigéria : le prix de la mariée

Entrez le poids, la taille, le niveau scolaire, la couleur de peau, les compétences culinaires... Et The bride price évalue instantanément la valeur de votre dot, de celle de votre promise, de votre meilleur amie ou de votre ennemie jurée. Présentée comme une "blague" par ses concepteurs, cette nouvelle application fait un tabac en Afrique et indigne les militants de l'égalité.
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Nigéria : le prix de la mariée
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C'est un grand jour pour Lola Ogunbadero. Les femmes de sa famille l'aident à ajuster sa tenue traditionnelle yoruba. Elles la parent d'un collier, puis d'une coiffe, incontournable accessoire des mariées du Sud-Ouest du Nigeria. La cérémonie traditionnelle commence : les amis et parents de Lola la conduisent dans l'allée, et la jeune femme danse avec ses amies, sur le chemin qui la conduit à la rencontre de son futur époux.

Lola se marie

17.08.2014Par Laure de Matos
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Une tradition revisitée Beaucoup de Nigérians continuent de respecter les traditions pour les grandes cérémonies, comme le mariage. Et la dot compte aussi parmi les pratiques culturelles importantes. Or aujourd'hui, avec The bride price, la technologie numérique revisite la tradition. Avant son mariage, Lola a essayé cette nouvelle application qui calcule sa valeur de jeune mariée : "Je l'ai déjà essayée, et c'est clair que c'est loin de la façon dont les choses se passent en réalité. À mon sens, l'application pour la dot est un jeu, rien de plus."
Nigéria : le prix de la mariée
"Les anciens consultent" Au mariage de Lola et Popooloa, le marié et ses amis se plient à une autre tradition séculaire. Ils se prosternent devant leurs aînés dans un acte symbolique d'humilité, pour demander leur bénédiction. D'ailleurs, le message affiché par The bride price pendant que l'application calcule la dot, une fois le questionnaire dûment renseigné, n'est-il pas : "Les anciens consultent" ? Malgré la controverse autour de l'application, Popoola pense que les traditions, telles que la dot, sont appelées à perdurer et doivent être acceptées, tant qu'elles ne contribuent pas à marginaliser les femmes : "La dot sert juste à dire aux parents qu'on a choisi leur fille, et dans le contexte Yoruba, les parents sont dans leur droit d'exiger une contrepartie en échange de leur enfant. Même si, aujourd'hui, cette pratique s'est modernisée et consiste essentiellement en pourparlers." La femme, cet objet ? Pourtant, selon la militante pour l'égalité des genres, Joan Okorodudu, cette application et les pratiques traditionnelles, comme la dot, sont de nature à marginaliser et à faire des femmes, des objets : "Nous ne voulons pas être vendues et si les jeunes gens s'aiment vraiment, ils peuvent s'organiser pour aller rencontrer les parents pour voir ce qu'il y a lieu de faire. Mais le conseil que je donne aux parents, c'est de ne pas vendre leurs filles, je veux dire prendre de l'argent en échange de leurs filles sous prétexte quil est question de tradition, l'oji qui est la noix de kola et de la monnaie symbolique devraient amplement suffire. J'ai entendu dire que certaines personnes vont même jusqu'à demander des Rolex, des voitures et autres objets de valeur."
Nigéria : le prix de la mariée
Editi Effiong, directeur général d'Anakle, développeur de l'application “The bride price“
Une simple plaisanterie... Très controversée, l'application de la dot a enregistré plus de quatre millions de visiteurs de 56 pays depuis son lancement, il y a trois mois. Accusés de prendre à la légère les pratiques culturelles profondément enracinées et de saper le moral des femmes, les créateurs de l'application se défendent : "C'est une plaisanterie, faite par des Africains pour les Africains, et notre concept n'est pas commercialisé. Il est vrai que pour quelqu'un qui n'est pas habitué, qui n'a jamais payé de dot, c'est limite scandaleux," explique Editi Effiong, directeur général de la société Anakle, basée à Lagos. Et pourtant, il avait prévu les retours négatifs, notamment de personnes vivant à l'extérieur du pays. Le site de l'application indique d'ailleurs que ce n'est qu'une blague. "Nous nous sommes préparés, nous avons même eu droit à une pétition pour fermer l'application. En réaction, nous en avons lancé une autre contre la fermeture de l'application. Nous nous sommes engagés dans un bras de fer, mais nous attendons de voir jusqu'où ça ira et envisageons d'apporter des modifications," précise Editi Effiong. Au-delà du débat, pour Lola et Popooloa, qui viennent de se marier, l'essentiel reste leur union et la joie de ce moment qu'ils partagent avec les familles et les amis réunis pour chanter, danser et festoyer.

Il y a “dot“ et “dot“

Le terme de "dot" désigne, en Occident, les dons faits par la famille de l'épouse à celle-ci ou au ménage. En Afrique subsaharienne, comme au Nigéria, la dot désigne, dans le langage courant, le "prix de la fiancée", un don fait par le futur époux à la famille de son épouse, et qui n'entre pas dans le patrimoine de la mariée ou du jeune couple.