Nigéria : rapt des lycéennes, emballement médiatique et mobilisation internationale
Mobilisation sur Twitter, manifestations à Washington, à Paris et à Londres, rassemblements, pétitions, déclarations de personnalités politiques et artistiques… Depuis quelques jours, partout dans le monde, les gens se mobilisent et le sujet fait la Une des médias. Pourtant, l’enlèvement des 220 lycéennes nigérianes date de trois semaines déjà ! Alors comment expliquer cet emballement médiatique soudain et cette prise de conscience internationale tardive ?
Alors que Boko Haram vient de prendre en otage 11 nouvelles jeunes filles, les organisations telle l'Onu ou l'Unicef, les puissances internationales se mobilisent pour retrouver les 220 autres adolescentes enlevées le 15 avril dernier, à Chibok, dans l'Etat de Borno, au nord du Nigéria. « La France fera tout pour aider le Nigéria » et « une équipe spécialisée est à disposition » a déclaré le gouvernement français, tandis que les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont déjà pris la décision d’envoyer des conseillers et experts pour aider les autorités nigérianes à retrouver les 220 lycéennes enlevées le 15 avril dernier, à Chibok, dans l’Etat de Borno, au nord du Nigéria. La Chine a également promis au Nigéria de le soutenir dans sa recherche des otages et dans "sa lutte contre le terrorisme". La mobilisation internationale s’amplifie de jour en jour. Tout semble avoir commencé sur Twitter avec le fameux hashtag (mot clef) « Bringbackourgirls »(« Rendez-nous nos filles ») qui réunissent des millions d’internautes révoltés. C'est d'ailleurs via ce réseau que de nombreuses personnalités ont apporté leur soutien aux jeunes nigérianes. C'est le cas par exemple de la chanteuse Mary J.Blige (Etats-Unis), du chanteur américain Chris Brown, de Malala, de la jeune militante pakistanaise pour le droit à l'éducation des filles, d'Hillary Clinton, ancienne secrétaire d'Etat, future candidate à la présidentielle américaine ou encore de Michelle Obama...
De nombreuses personnalités ont réagi à cet événement/ Twitter. Ici Michelle Obama...
De nombreuses pétitions ont été initiées, notamment sur le site change.org. Celle proposée par Ify Elueze, une jeune allemande, d’origine nigériane, a déjà récolté plus de 400 000 signatures. Sur le site de la Maison Blanche, dans l'espace réservé aux citoyens, une pétition a également été mise en place. Elle a recueilli près de 20 000 signatures. L'ONG Amnesty International a créé un tumblr où les gens du monde entier sont invités à publier une photo en solidarité avec les familles. Les internautes publient un message original pour afficher leur soutien dans la recherche des 220 jeunes filles disparues. Au Nigeria, depuis le début des enlèvements, les familles protestent contre l’inefficacité du gouvernement dans les recherches. A Abuja, des centaines de personnes continuent de défiler dans les rues pour faire entendre leur colère, même si les mouvements de foule restent rares. « Il me semble qu'il n'y a pas de tradition de manifestation au Nigéria. Généralement quand il y en a, elles sont réprimées avec une extrême violence » assure Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Iris, spécialiste de l'Afrique. Mais ce n’est pas parce que les manifestations sont peu fréquentées que « l’opinion publique n’est pas mobilisée. Les gens sont très actifs sur internet et les réseaux sociaux ». Et depuis le début de la semaine, plusieurs autres défilés ont été organisés à travers le monde. Rassemblés devant les ambassades du Nigeria à Paris, Washington ou Londres, les protestataires réclament un meilleur investissement du gouvernement nigérian dans la recherche des jeunes filles disparues. L’ampleur de la mobilisation ne cesse de grandir, et pour cause, des dizaines de rassemblements de soutien sont prévus, partout dans le monde : Afrique du Sud, Suisse, Etats-Unis… Les gens s’organisent notamment via la page Facebook du mouvement « Bring Back Our Girls ».
Réactions sur Twitter et Unes de journaux
Comment expliquer cet engouement soudain ?
Cette mobilisation soudaine et grandissante découle d'événements successifs. La vidéo du leader de l'organisation djihadiste Boko Haram a, très certainement, déclenché l'intérêt du public, des médias, notamment occidentaux, et des politiques pour cette affaire d'enlèvement à grande échelle. L'élément déclencheur: la vidéo de Boko Haram Le 5 mai, dans une vidéo obtenue par l’Agence France Presse, le chef du mouvement islamiste Boko Haram, Abubakar Shekau, revendique l’enlèvement des jeunes filles. Arme à la main et sourire aux lèvres, il menace qu’il va les « vendre sur le marché, au nom d’Allah » et les « marier » de force. Choquante et provocante, la vidéo enflamme la toile qui réagit sur les réseaux sociaux, et notamment Twitter. « Je pense que cette vidéo a joué son rôle (dans l’emballement médiatique, ndlr). Cette déclaration où le responsable de Boko Haram dit, qu’en gros, on les a retirées de l'école parce ce n'était pas le rôle des filles d'y être et qu'à la limite elles seraient vendues comme "esclaves sexuelles » a complètement changé l'ampleur de ce kidnapping, déjà odieux » explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste de l’Afrique.
Capture d'écran de la vidéo de Boko Haram
L'accélérateur: les réseaux sociaux Sur Twitter, grâce à #Bringbackourgirls, des millions d’internautes à travers le monde ont pu réagir sur ce rapt au Nigéria. Pour François Jost, professeur à la Sorbonne Nouvelle 3, spécialiste des médias et directeur du Laboratoire Communication Information Médias, « la vidéo de Boko Haram a surement eu un effet sur la mobilisation ». Mais c’est surtout la répercussion de cette vidéo sur les réseaux sociaux qui a amplifié cette mobilisation. « Je pense qu'au niveau du démarrage (de la mobilisation, ndlr), le fait que la vidéo soit vue sur internet, retweetée, likée, cela démultiplie plus vite les réseaux. C’est une sorte de buzz et c’est pour cela que tout le monde en parle aujourd’hui ». La mondialisation: l’appel à l'aide du Nigéria Dépassé par les événements, le président nigérian, Goodluck Jonathan a décidé de faire appel à ses homologues camerounais, tchadiens, américains, français et britanniques. Il a demandé l’aide internationale pour résoudre ses problèmes de sécurité. Mais pourquoi les Etats n’ont-ils pas anticipé et réagi avant ? « Traditionnellement le Nigéria est très sourcilleux de sa souveraineté nationale. Il ne veut en aucun cas que sa sécurité interne soit assurée par des puissances étrangères. Il est évident que les Américains, les Britanniques ou les Français n'ont pas, par peur de froisser la susceptibilité nigériane, à dire : « si vous voulez, on va intervenir ! ». Il faut que la demande vienne des autorités nigérianes, ce qui a été le cas » assure Philippe Hugon.
Photo détournée pour la cause #RendezNousNosFilles #BringBackOurGirls
La fin justifie-t-elle tous les moyens ? Les bons sentiments ne peuvent éviter les écueils : l'une des photos très abondamment reproduite a été détournée (voir ci dessus). Prise en Guinée Bissau en 2000, les couleurs retouchées, une larme rajoutée, ce cliché n'est nullement celui d'une des jeunes filles enlevées. Son auteure, la photographe Ami Vitale a fait part de sa colère au New York Times, parce que selon elle ce n'est pas comme ça que l'on sert une juste cause : "Ces photos n'ont rien à voir avec les filles qui ont été enlevées pour être vendues comme esclaves sexuelles. Cela m'énerve quand les gens prennent mes photos sans autorisation. Je soutiens sans réserve cette campagne (pour le retour des lycéennes, ndlr). Mais là, cette photo n'a rien à voir avec ces terribles enlèvements. Pouvez-vous imaginer que l'image de votre fille se propage à travers le monde comme le visage de la traite sexuelle ?" Pendant que les mobilisations internationale et médiatique se concentre sur ce terrible événement, d'autres drames restent dans l'ombre. C'est le cas de centaines d'Amérindiennes au Canada (voir notre article sur le sujet). En trente ans, près de 1 200 femmes ont été assassinées ou ont disparu, dans l'indifférence générale. Et comme cette "route des larmes des Amérindiennes", de nombreuses affaires tombent dans l'oubli, faute de mobilisation et de couverture médiatique.
Le monde se mobilise autour du rapt des 220 lycéennes