Fil d'Ariane
"Vous n'êtes plus au Nigeria. Vous êtes désormais dans un royaume islamique. Ici les droits des femmes sont respectés, pas comme au Nigeria où les femmes sont envoyées au travail, à la ferme, à la quête de l'eau et du bois pour le chauffage, et vous subissez toute sorte de discriminations. C'est la raison pour laquelle nous portons secours aux femmes chrétiennes comme vous. Ici, dans ce royaume islamique, il n'y aura pas de discriminations parce que toute le monde est musulman."
Une jeune mère de 19 ans raconte que ce sont ces mots d'un dirigeant de Boko Haram qui l'accueillirent dans la forêt de Sambisa, au Nord du Nigeria, où elle fut retenue, par chance durant seulement quatre jours, grâce à une évasion réussie, en avril 2014. La plupart de ses compagnes sont toujours aux mains de leurs ravisseurs, malgré une campagne internationale à l'importance peu commune, et des annonces de libération fort sujettes à caution par le gouvernement d'Abuja.
Sous le titre "Ces semaines terribles dans leurs camps", l'organisation Human Rights Watch publie un recueil de paroles d'anciennes détenues du groupe rebelle nigérian, en guerre contre le pouvoir central d'Abuja, et qui prétend s'appuyer sur une interprétation ultra radicale conservatrice de l'islam. Boko Haram ((littéralement : "éducation occidentale interdite") a enlevé environ 500 Nigériannes, femmes et filles depuis 2009.
En avril 2014, le rapt massif de près de 300 collégiennes d'un seul coup à Chibok, une commune rurale du Nord Ouest de cet immense et riche pays, à la frontière avec le Cameroun, a mis sur le devant de la scène médiatique et politique mondiale cette méthode de terreur locale. Même si l'on peut penser que le témoignage humain est parfois fragile, le document de Human Rights Watch rend ainsi leur humanité à ces otages, femmes et jeunes filles enjeux d'un conflit politique, d'une guerre civile qui n'est pas la leur.
L'étude n'omet pas de rappeler qu'à l'inverse, des exactions ont été perpétrées contre les populations civiles, familles des membres supposés de Boko Haram, au nombre desquels, enlèvements et détentions abusives, et parfois viols.
La plupart d'entre elles, toutes issues de familles très pauvres trouvent aussi, comme leurs parents, que les aides apportées, pécuniaires, sanitaires ou psychologiques pendant ou après leur détention, ont été défaillantes, voire inexistantes, malgré les promesses, ou les soutiens envoyés de partout dans le monde.
Voici quelques unes de ces paroles échangées, qui leur furent si difficiles à prononcer, en raison de la culture de silence, de la honte qui entourent les abus sexuels dans cette région reculée du Nigeria.
"Deux hommes nous ont dit de ne pas avoir peur, et que nous devions courir. Ils disaient qu'ils étaient là pour nous sauver de qui se passait en ville, qu'ils étaient policiers. Puis le reste de la troupe est arrivé, des hommes qui ont commencé à crier "Allah Akbar" et alors nous avons compris qu'ils étaient de Boko Haram. Ils nous ont dit de nous tenir tranquilles. L'un d'entre eux nous décrivait les choses effrayantes qui se passaient ailleurs, des maisons incendiées, des personnes tuées, d'autres enlevées, des étudiants abattus, et que cela pourrait nous arriver maintenant. Nous avons commencé à crier, et ils nous ont dit de nous taire." 18 ans, enlevée avant de s'enfuir, en avril 2014
"J'ai été grainée aux pieds du chef de camp qui m'a alors donné la raison pour laquelle j'avais été amenée ici, parce que nous les Chrétiens adorions trois dieux. Quand j'ai nié cela, il a attaché une corde autour de mon cou et m'a frappée avec un câble en plastique jusqu'à ce que je m'évanouisse. Un insurgé que j'ai reconnu parce qu'il venait de mon village m'a dit convaincu d'accepter l'islam parce que sinon je serai tuée. Alors j'ai accepté." 23 ans, détenue près de Gwoza, Etat de Borno
"Comme nous étions fouettées quotidiennement, la pression est devenue insupportable, et nous avons accepté de nous convertir au bout de cinq jours. Ce jour-là, le chef nous a apporté des hijabs colorés et a demandé aux autres femmes de nous apprendre des mots d'arabe. Une semaine après, une cérémonie a été organisée, avec lecture en arabe, et puis il a annoncé que nous étions mariées : deux de mes compagnes à deux combattants et moi même au chef." 15 ans, enlevée en avril 2013
"Quand j'ai osé un jour dire à l'un de mes geôliers que moi et mes camarades étions trop jeunes pour nous marier, il a pointé du doigt sa fille de cinq ans, et il m'a répondu : 'Si elle, elle s'est mariée l'an dernier, et attend maintenant la puberté pour que l'union soit consommée, comment à ton âge, peux tu être trop jeune pour te marier ?'" une adolescente de 15 ans
"J'ai refusé la dot qu'il me proposait, en lui disant d'aller la payer à mon père s'il voulait m'épouser. Un combattant qui connaissait ma fille m'a enjointe d'accepter parce que si je m'obstinais je serai tuée. J'ai alors fait semblant d'être très malade et le mariage a été repoussé jusqu'au retour du chef de camp en partance pour une réunion générale de Boko Haram. Il a ordonné que je sois menée à l'hôpital local pour que des tests soient faits d'ici son retour. Je n'ai jamais autant prié. J'ai menacé la femme désignée pour m'accompagner à l'hôpital de la dénoncer à la police. Alors elle est partie et je me suis échappée." 19 ans, a réussi à s'évader après 3 mois de détention dans le camp de Gowza
"Je ne savais pas qu'il me suivait. J'avais parcouru une courte distance depuis l'arbre sous lequel nous dormions pour aller 'aux toilettes'. Il m'a attrapée par derrière, me caressant tout en essayant d'enlever son pantalon. Je hurlais de peur, alors il s'est sauvé tandis que j'appelais à l'aide." 18 ans
"J'étais étendue dans une sorte de cave, j'avais dit que j'étais malade parce que je ne voulais pas être mariée au combattant auquel on m'avait désignée. Lorsque celui-ci, qui avait payé ma dot, pour me consommer, il s'est mis sur moi, m'a forcée, tandis que l'épouse du chef de camp bloquait la porte de la cave et regardait l'homme me violer." Violée à Gwoza
"Ma grand-mère avait mal répondu à une de ses voisines musulmanes. Comment aurions nous pu savoir qu'elle était un agent de Boko Haram ? Elle est revenue avec deux rebelles qui ont commencé à battre et donner des coups de pieds à ma grand-mère. Je suis sortie lui porter secours. Alors ils m'ont embarquée." 17 ans, enlevée puis relâchée