Niki de Saint-Phalle ne fut pas seulement engagée du côté des féministes – les chaos du XXème siècle résonnent dans son œuvre, tels la lutte contre le racisme aux Etats-Unis, les ravages du Sida dans les années 1980, ou encore la guerre du Golfe. Violences publiques et privées imprègnent son geste artistique
mais sont aussitôt détournées, amollies par des rondeurs démesurées, des couleurs éclatantes ou des éclats de rire – comme ses délirantes « nanas ». Elle fut sûrement précurseure (encore un mot qui n’existe en français qu’au masculin) de ce mouvement mêlant art et féminisme qui culmina au mitan des années 1970 – une réappropriation du corps féminin et une vision militante de la masculinité, continent de guerres, d’armes et d’explosions. Comme la plupart des créatrices, il fallut du temps avant que la reconnaissance de l’impitoyable univers de l’art ne la consacre – près de vingt ans avant que les galeristes puis les plus grands musées occidentaux lui offrent leurs murs et leurs espaces.
Casser les codes
E
lle était née Catherine Marie-Agnès Fal à Neuilly-sur-Seine, banlieue huppée de Paris le 29 octobre 1930, dans une famille (les Saint Phalle) en parfaite harmonie avec l’entourage social et moral : père banquier, lignée de vieille noblesse, mère silencieuse, vacances au château, adultères, incestes, et ce viol, donc, quand elle franchit le douloureux cap de la puberté. Elle se marie à 18 ans, enfante à 21, s’essaye avec succès au mannequinat (et à la chanson), fait la couverture de Life, avant de craquer. Et de se reconstruire aux côtés des Nouveaux réalistes (retour au réel mais pas à la figuration), de divorcer, de refuser d’être mère, de se lier au sculpteur Jean Tinguely en un projet amoureux, sensuel, artistique et volcanique – « Who is the monster , you or I » (qui est le monstre, toi ou moi ?).