Fil d'Ariane
Il est 11 heures du matin à Ramallah, en Cisjordanie. A quelques rues de la Mouqata'a, le siège administratif de l'Autorité Palestinienne, Alaa Murrar est en studio pour animer une émission économique en six épisodes. Ce jour-là, elle reçoit à son micro des membres de la Banque palestinienne d'investissement. Il est question de divers projets sociaux qui pourraient voir le jour dans les Territoires, notamment à destination d’un public féminin. Comme toujours sur Nisaa FM, l’accent est mis sur des questions qui concernent et qui parlent aux quelques 2 millions de femmes de Cisjordanie et de Gaza.
Notre objectif n'est pas seulement de faire des émissions sur la cuisine ou la mode, mais bien de parler de tous les sujets avec un angle et un point de vue féminin.
Maysoun Odeh Gangat, directrice de Nisaa FM
La station a été créée en 2009, d’abord en ligne puis sur la bande FM, à l'initiative de la Womanity Fondation. "Le directeur de la fondation, Yann Borgstedt, un entrepreneur suisse, est venu me trouver avec l'idée d'un média destiné à favoriser l'autonomisation des femmes palestiniennes. Notre objectif n'est pas seulement de faire des émissions sur la cuisine ou la mode, mais bien de parler de tous les sujets avec un angle et un point de vue féminin.", explique Maysoun Odeh Gangat, la directrice.
Pour parler directement à ce public, le média radiophonique a semblé, pour les deux initiateurs du projet, être le meilleur outil : « accessible, peu cher, mobile puisqu’on peut l’écouter partout, et surtout plus personnel », souligne Maysoun Odeh Gangat. Elle explique ainsi que certaines émissions abordent des sujets parfois sensibles, comme les violences domestiques, et l’anonymat que procure la radio permet à certaines auditrices d’avoir un espace d’expression qu’elles ne trouveraient nulle part ailleurs.
« Ce que l’on cherche, c’est être une source d’inspiration. Nous invitons des artistes, des entrepreneuses, des concitoyennes engagées, de Palestine ou de la diaspora. Nous mettons en contact différentes régions, car la vie pour chacune d’entre elles n’est pas la même à Ramallah, à Gaza ou à Beyrouth », ajoute encore la fondatrice de la station.
Dans les bureaux de la station, l’ambiance est studieuse. Les invités des émissions se croisent à la porte du studio d’enregistrement. Derrière les ordinateurs et les micros, certaines collaboratrices sont voilées, d’autres non. « Nous avons des femmes journalistes et des femmes techniciennes, venus de différents horizons. La plupart sont mères de famille. Il y a plusieurs jeunes femmes nouvellement diplômées de nos universités palestiniennes. Nous mettons également l’accent sur la formation professionnelle de nos stagiaires», expose la directrice.
Si la grande majorité de la dizaine d’employés sont des femmes, quelques hommes travaillent aussi en coulisse.
Yazan Samara est l’un d’eux. Programmateur musical, il joue un rôle fondamental dans l’identité de la station. Chaque musique et chaque publicité est validée par ses soins. Tout propos offensant pour les femmes, ou qui ne correspondrait pas aux valeurs défendues par la radio, est écarté. « On ne peut pas faire une heure de débat questionnant la place des femmes dans notre société et ensuite balancer une pub sexiste ou une chanson aux paroles conservatrices, patriarcales », souligne le jeune homme en donnant l’exemple d’un chanteur libanais très populaire, mais qui disait dans l’une de ses chansons, être le « propriétaire de ses filles » et qu’il ne souhaitait pas qu’elles travaillent.
Au-delà de son positionnement, Nisaa FM fonctionne comme n’importe quelle autre radio. Flashs infos et émissions thématiques sont entrecoupées de spots commerciaux et de morceaux arabes et occidentaux. Le vendredi, jour de repos hebdomadaire, il n’y a pas d’émissions, seulement de la musique. La radio s’est aussi faite remarquer pour sa programmation musicale soignée, qui ne martèle pas les titres à la mode. « Notre auditorat n’est évidemment pas composé uniquement que de femmes. Beaucoup d’hommes nous écoutent. Ils peuvent être attirés d’abord par la musique, puis nos émissions attirent leur curiosité. Elles sont tout public, parlent sérieusement de politique, d’économie, d’environnement. Mais différemment des autres stations qui adoptent toujours une perspective consensuelle, celles des hommes. Ici les présentatrices ne font pas que lire des dépêches, elles sont avant tout journalistes. » poursuit Maysoun Odeh Gangat. La dernière mesure d’audience de 2015 a estimé que la station avait 300.000 auditeurs réguliers.
En plus de son émission économique, Alaa Murrar présente également un talk-show d’une heure et demi tous les après-midi. « On y évoque des dernières informations qui concernent les femmes à travers le monde. Mais on parle toujours en priorité de ce qui se passe en Palestine. On veut faire en sorte de montrer la diversité des voix et des talents. » La radio réalise aussi des reportages, notamment dans la bande de Gaza, où elle dispose d’une correspondante sur place.
En stage depuis deux mois, Ghayda Hammoudeh raconte avoir toujours rêvé de travailler pour un média comme celui-ci. L’étudiante en journalisme se passionne pour les histoires de Palestiniennes qui réussissent à percer dans leur domaine. « C’est vrai qu’il faut lutter pour atteindre ses rêves. Il faut être résistante pour avoir ce que l’on veut. Nous, Palestiniens, sommes habitués à lutter au quotidien. Les femmes peuvent avoir besoin qu’on leur montre que c’est possible, comment d’autres ont réussi », explique-t-elle dans un anglais parfait.
« Il y a beaucoup de défis qu’il faut encore relever dans notre société », poursuit Tala Al-Sharif, coordinatrice du site web et qui anime la communauté des auditrices. « Il y a, c’est vrai, encore un discours qui s’impose aux femmes, comme quoi elles ne peuvent pas se lancer dans tel ou tel domaine. A Ramallah, il y a beaucoup de businesswomen. Dans les autres villes, c’est plus rare, mais il y a aussi des femmes qui travaillent, qui sont indépendantes. Moi, je voudrais continuer à montrer que notre société est ouverte. Il faut lutter contre les stéréotypes », explique la jeune femme qui vient d’obtenir son premier emploi.
La radio est diffusée sur la bande FM dans toute la Cisjordanie et également en ligne. Elle compte ainsi des auditeurs à l’étranger, notamment en Egypte et aux Etats-Unis. « Nous commençons à voir des chaînes de radio qui copient notre modèle. Nous trouvons ça très bien. Il faut que nous arrivions à toucher le plus de gens possible. » Faire passer le message et contribuer à une plus grande autonomisation des femmes dans le monde arabe, c’est là le plus important.