Noël : à quand une révolution féministe des jouets ?

Chaque Noël, c'est la même chanson. Dans les rayons des grandes enseignes de magasins ou sur les sites de vente en ligne, on retrouve d'un côté les jouets "pour garçon" et de l'autre "pour fille", avec comme signe de reconnaissance, le bleu et le rose. Quand aux poupées, elles restent en grande majorité blondes, brunes, aux mensurations surréalistes et ... blanches. Et si on menait la révolution du jouet ?
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Impossible de se perdre dans les rayons des grands magasins, d'un côté du rose pour les filles, et de l'autre, du bleu pour les garçons, en 2018 !
©capturetwitter/@pepitessexistes
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Les années se suivent et se ressemblent, trop... Quelques semaines avant la fête de Noël, c'est la même question. Qu'offrir à nos jolies petites têtes brunes, blondes, ou crêpues ? Il suffit de faire le tour des sites de vente en ligne de jouets ou de déambuler dans les interminables allées des grandes enseignes des centres commerciaux pour constater l'immuabilité des réponses. Pour éviter de s'y perdre, les concepteurs de ces temples de la consommation ont pensé être "malins" en appliquant un code couleur : rose pour les filles, bleu pour les garçons. Les rayons sont bien distincts, d'un côté des rangées de poupées, avec leurs accessoires, tables à repasser et dînettes et de l'autre, bolides télécommandés et pistolets lasers .

"C'est plus pratique comme ça non ? Au moins, on gagne du temps !", nous confie une dame, presque choquée par notre question, que nous avons croisée parmi ces dédales... Un jeune papa, lui, avoue trouver cela un peu décalé à l'heure des combats féministes et du partage des tâches. Quand à cette mamie tout juste sexagénaire, elle s'enorgueillit d'avoir offert un fer à repasser en jouet à Antonio, son petit fils, "Bon en même temps, moi j'ai vécu la bataille pour le vote de la loi pour l'avortement, donc j'essaye de montrer l'exemple !"

Marre du rose, et du bleu !

C'est donc en cette période d'achats massifs de jouets que les associations Osez le féminisme et les Chiennes de Garde, rejointes par Pépites sexistes, s'associent pour mener une grande campagne nationale contre les stéréotypes sexistes véhiculés par l’univers des jouets, avec pour slogan "Marre du rose !".
jouets catalogue
Marre du rose, pour les filles... et du bleu, pour les garçons, comme ici dans un catalogue d'une enseigne de la grande distribution.
(c)DR

"Pourquoi trouve-t-on des pages bleues et des pages roses dans les catalogues de jouets ? Et pourquoi les rayonnages des magasins de jouets restent-ils encore majoritairement organisés en fonction du sexe des enfants ? Aux filles l’espace domestique, les enfants et la beauté ; aux garçons l’héroïsme solitaire, l’ambition, le pouvoir et le savoir", peut-on lire dans le communiqué de Marre du rose qui s'accompagne aussi d'une pétition sur change.org.

"Alors que 86 % des femmes travaillent, pourquoi les filles devraient-elles se projeter dans les activités domestiques et uniquement dans les métiers du soin et apprendre à séduire les garçons dès l'âge de 3 ans ?", s'insurge-t-on du côté des initiatrices de cette campagne.

Après une première campagne en 2015,  les militantes féministes ont décidé cette année de refaire le tour des "compteurs". Les fabriquants et distributeurs de jouets de France et de Navarre ont-ils entendu le message ? Ce n'est pas un zéro pointé, mais presque. Sous forme d'un bulletin de classe, elle dresse une liste des moins mauvais aux pires élèves.
 
Saluons malgré tout les progrès de certaines enseignes qui proposent des catalogues moins stéréotypés. On y voit des petits garçons pousser un caddie, ou changer les couches d'un poupon. Plus difficile hélas d'y trouver des petites filles poser avec une grue ou jouant avec un camion de pompier. Et comme on le sait, "le client est roi et la cliente est reine", ainsi le collectif féministe invite chacun.e à privilégier les enseignes les moins sexistes pour ses achats de Noël ou d'anniversaire, et a aussi mis en place un site internet.
Chacun.e peut directement y dénoncer les clichés sexistes repérés lors de leur shopping. Un onglet "Agissez avec nous", permet de partager sur les réseaux sociaux les nombreux commentaires.
garçon caddy
Un petit garçon pousse un caddy, mais la petite fille continue de jouer à la caissière. (publicité publiée dans un catalogue d'une grande chaîne de magasin)
(c)DR

Cette sexualisation est en réalité assez récente, rappelle un article sur le site de 60 millions de consommateurs, citant Mona Zegai, sociologue, " Jusque dans les années 1980, les couleurs alternaient tout au long des pages, sans rapport avec le type de jouetsPeu à peu, les jouets se sont sexualisés, et ce dès la naissance, puisque des poupées de chiffons sont désormais bleues ou roses."  

Le collectif à l'origine de la campagne Marre du rose dénonce aussi le marketing à outrance des marchands de jouets, "Pour doubler son chiffre d’affaires, l’industrie du jouet décline des jeux en rose et en bleu enfermant filles et garçons dans des rôles  totalement périmés". Voilà ce qu'on désigne de ce nom terrible : le "gender marketing" ou marketing genré.

Certains jouets sont sans scrupules présentés comme réservés aux filles, sans compter que pour le même vélo ou appareil photo, la version "fille", en rose, coûte plus cher... Une "taxe rose", qui fait bien les affaires des fabriquants. 
Et les médias jouent parfois les complices, comme le dénonce cette twittos.

Pour se moquer de tous ces clichés, Osez le féminisme nous offre une petite version revisitée de la célèbre chanson de la Reine des Neiges (dessin-animé de Disney auquel vous n'avez sans doute pas pu échapper il y a quelques années, ndlr).
 

Ailleurs aussi, des campagnes contre les jouets sexistes sont lancées depuis quelques années. Exemple au Royaume Uni, Let Toys Be Toys existe depuis 2012, elle a été imaginée par Tessa Trabue, choquée par cette réflexion de son fils dans un rayon de jouets, "non maman, celui-là je ne peux pas le prendre, c'est écrit pour les filles!". Depuis, elle n'a de cesse de faire pression sur les marques pour enfants afin qu'elles élargissent leur marketing afin d'inclure les deux sexes et qu'aucun petit garçon ou petite fille ne pense qu'il/elle joue avec "le mauvais jouet". Selon l'organisation, 15 détaillants à travers le Royaume-Uni ont retiré les inscriptions "garçons" et "filles" de leur marketing. Autre signe positif, au Canada, où le détaillant Canadian Tire a inclus cette année des images nont stéréotypées d’enfants en train de jouer dans son catalogue de Noël.
 

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Au Canada, le distributeur de jouet Canadian Tire offre un catalogue de Noël moins genré. 
©captureecran/internet

Des poupées pour toutes et tous ? 

Trop rares aussi sont les jouets exprimant notre multiculturalisme... Parmi les kilos de prospectus distribués dans nos boîtes aux lettres, ou sur internet, on a beau chercher au fil des pages... Mais où sont donc les poupées noires ?

C'est pour lutter contre ce manque flagrant que Rosine Mondor organise depuis six ans maintenant le salon de la poupée noire en France (début décembre à Pantin près de Paris). Cette commerciale de formation, originaire de Guadeloupe, est présidente de l’association "Poupées des tropiques". Précurseuse, elle nous interpelle : "Comment se fait-il qu'en 2018, il y ait toujours aussi peu de poupées noires dans les rayons des magasins ? Et puis le problème, c'est que lorsqu'on en trouve, ce ne sont pas des poupées qui nous ressemblent. Elles ont les traits fins, les cheveux lisses, elles sont très minces, il n'y a que la couleur 'de leur peau' qui les distingue des Barbies habituelles" . La créatrice du salon milite au contraire pour des poupées plus proches physiquement des filles noires, sans tabou, "avec des traits moins fins, des corps aux formes plus généreuses et, surtout, des cheveux crêpus. C’est indispensable pour que nos enfants puissent construire une véritable estime de soi". 
 
Pendant ces salons, les réactions sont évidemment très positives, qu'il s'agisse de parents noirs, mixtes ou blancs, nous dit Rosine Mondor, "Certains nous disent 'tiens on dirait ma fille !' Je ne comprends pas ce qui bloque au niveau des grands distributeurs, mais je pense que l'explication est historique. Aux Etats-Unis, on trouve des poupées noires partout. Les poupées noires vendues en Europe sont fabriquées en Espagne, dans la vallée des poupées, une zone industrielle consacrée à la fabriquation de poupées. Mais il faut savoir qu'en Europe, c'est l'Allemagne qui a été le premier pays à en fabriquer et à en vendre."

"Il y a dans la poupée noire, une valeur identitaire évidemment, car elle est
porteuse de l’histoire des communautés afro-antillaise , mais aussi une valeur de tolérance. Parfois dans des villages de France, et bien une petite fille sera très contente d'en avoir une, car elle ressemblera à sa copine de classe", ajoute-t-elle.
 

Des jeux pour l'égalité

Et si le problème venait aussi de la conception même des jouets et des jeux ... Comme l'incontournable traditionnel jeux de cartes. Pourquoi le Roi est-il plus fort que la Reine ? Ce clip avait fait le buzz sur les réseaux sociaux il y a quelques mois. On y voyait des enfants, filles ou garçons, face à un adulte, jouant aux cartes, en l'occurence à la bataille, ne comprenant pas pourquoi les cartes "masculines" remportent toujours la partie. Et oui, pourquoi ? Les regards interrogateurs des enfants et les bafouillements des adultes en disent long ...
 

Héloïse Pierre veut justement battre en brèche cette inégalité "historique". Elle et son équipe, paritaire puisque composée de deux filles et deux garçons, ont créé des jeux pour prôner l'égalité des sexes. Un concept ludique et innovant baptisé The Moon Project (Marque TOPLA) avec comme slogan "les premiers jeux inspirants sur l'égalité, pour apprendre en s'amusant et dépasser les idées reçues ".
 
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Les jeux de cartes du Moon Project ont été testés par les concepteurs dans des familles et des écoles.
(c)Topla
Dans ce jeu de cartes, à première vue traditionnel, la Reine a le même pouvoir que le Roi, et plutôt que dame et valet, les concepteurs ont choisi de créer des cartes duchesse et duc, et vicomtesse et vicomte. A chaque fois, une femme et un homme, à valeur égale. "On peut jouer à la bataille, mais aussi à la belote, au rami. A essayer en famille pendant les vacances de Noël, ça pourra aussi susciter la discussion entre les générations !", nous dit Héloïse Pierre. 
 
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Héloïse Pierre, à l'origine d'un coffret de jeu pour l'égalité fille-garçon.
(c)CacheCache
A 26 ans, cette jeune entrepreneure, qui a fait science-po et des études supérieures de mathématiques, n'a pu au cours de son parcours professionnel que constater la défaillance en terme de présence féminine dans les sciences et notamment dans le milieu des maths. Particulièrement interessée par le milieu de l'enfance, elle invente dans un premier temps des jeux manuels pour familiariser et même réconcilier les enfants avec les maths. Ces jeux sont basés sur du concret, du jeu, de la peinture, de la danse, bref du ludique. "Et ça marche très bien. Mais souvent les parents me disaient, 'mais quand même les maths c'est pour les garçons!' Cela avait le don de m'agacer. Ainsi est venue l'idée d'appliquer le principe de ces jeux au thème de l'égalité des genres".

Outre le jeu de cartes, avec son équipe, elle imagine aussi un jeu de style "memory", où il faut associer deux images, sur les métiers, mettant en avant bien-sûr la féminisation de ces métiers, on y trouve une pompière par exemple, tout comme un infirmier ou une infirmière. Le principe étant d'associer un métier autant à personnage masculin que féminin, sans a priori. Enfin, sa marque propose aussi un jeu des 7 familles, avec 42 personnages et modèles féminins "remarquables", peintres, scientifiques, aventurières, sportives, écrivaines, artistes et engagées. On y retrouve aussi bien la prix Nobel Malala, que Mme Simone Veil, panthéonisée en juillet 2018.
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Un jeu avec des femmes inspirantes.
(c)Topla

Si certains distributeurs ont été emballés, comme une enseigne de supermarchés de ville, d'autres ne l'ont pas été du tout, "Par exemple, une grande marque de magasins de jouets francais m'a répondu que justement, ces jeux ne pouvaient pas être rangés dans leurs rayons pour la simple raison qu'ils étaient séparés en garçons ou filles ! C'est dommage car ces grandes enseignes sont justement en perte de vitesse face à la concurrence d'internet, elles ont peur de prendre le risque. Alors, je pense que cela doit venir du consommateur, c'est à lui de demander des jouets plus novateurs. Et puis les écoles, elles, sont très demandeuses. Beaucoup ont commencé à les utiliser". 

Pourquoi avoir baptisé ce coffret Moon project ? "Parce que tous les enfants doivent pouvoir viser la lune", nous répond Héloïse Pierre.
Le costume de cosmonaute va si bien aux filles comme aux garçons...