"Non ça ne veut pas dire oui" : les confessions d’une étudiante sur un viol bouleversent le Québec

« Est-ce que sa carrière vaut plus que ce que j’ai vécu ? C’est la question que je me suis posée et la réponse c’est non ». Elle s’appelle Alice Paquet, c’est une jeune étudiante de Québec qui prétend avoir été agressée sexuellement par un député de l’Assemblée nationale du Québec, lançant ainsi une bombe dans le microcosme politique québécois
Image
Alice Paquet et Gerry Sklavounos
La Une du Journal de Montréal affiche les deux protagonistes du scandale : Alice Paquet, étudiante, celle par qui le scandale est advenu au Québec. Et le député  Gerry Sklavounos visé par ses accusations. Partout les langues se délient pour dénoncer les liaisons entre sexisme et politique
Radio Canada
Partager 8 minutes de lecture

Une déclaration explosive

Hasard du calendrier : alors que défilaient à l’autre bout des Amériques, des dizaines de milliers d’Argentines contre les viols et autres violences sexuelles, toute cette histoire a commencé mercredi soir 19 octobre 2016. Lors d’un rassemblement de soutien, des dizaines d’étudiantes de l’Université Laval, de Québec, affirmaient avoir subi des agressions sexuelles alors qu’elles étaient dans les chambres d’une résidence universitaire dans la nuit du 15 au 16 octobre dernier. Une vigile se tient devant l’université et soudain, une jeune femme s’empare du micro pour raconter que elle aussi, elle a subi une agression sexuelle, qu’elle a tenté de dénoncer l’agresseur mais que son entourage l’en a dissuadée parce que cet agresseur est un député de l’Assemblée nationale du Québec, qu’il était donc bien plus important qu’elle et que sa carrière était également plus importante que l’agression qu’elle avait vécue.

Boum… la bombe explose. Le lendemain, les couloirs de l’Assemblée nationale bruissent de toutes sortes de rumeurs : quel est ce député ? Un nom circule parmi les rangs libéraux… l’extrait de la jeune femme lors de cette vigile passe en boucle à la radio et la télévision. Et en fin d’après-midi, on apprend que le député libéral Gerry Sklavounos quitte le caucus du Parti libéral à la demande du bureau du Premier ministre québécois Philippe Couillard. La jeune femme prend alors la parole publiquement et confie son histoire à l’animatrice de Radio-Canada, Anne-Marie Dussault, ainsi qu’à d’autres journalistes.

Je n’ai jamais dit oui
Alice Paquet

Elle raconte qu’elle a rencontré cet homme de 41 ans, ex-avocat marié et père de deux enfants, alors qu’elle était hôtesse dans un restaurant bien en vue des députés à Québec. Il l’invite à prendre un verre après son service pour discuter politique avec elle. Elle accepte… ils prennent plusieurs verres, discutent… il l’invite à monter dans sa chambre d’hôtel, elle accepte également. Sauf que voilà, une fois dans cette chambre, la jeune fille réalise que finalement, non, elle ne veut pas aller plus loin. Elle ne sait plus si elle le lui a signifié clairement  : « Non, je ne sais pas si je l’ai dit clairement. Je ne sais pas. Je sais qu’à ce moment-là, je n’étais pas bien dans la relation sexuelle et que je voulais partir ».

Quoiqu’il en soit, le député serait passé aux actes et l’aurait donc agressé sexuellement aux dires de l’étudiante. « Un baiser, ce n’est pas un contrat, une caresse, ce n’est pas un contrat. Ce n’est pas parce qu’on s’enlace que nécessairement ça doit mener à une relation sexuelle » explique Alice Paquet lors de l’entrevue. Elle affirme avoir subi des séquelles physiques lors de cette agression et s’être rendue dans un hôpital pour y subir des examens afin de constituer une trousse médico-légale. L’histoire ne se termine pas là : pour une raison qu’elle ne s’explique pas vraiment, la jeune femme a accepté de revoir le député et de se retrouver dans une chambre avec lui, où elle aurait de nouveau été violentée.

Je vais poursuivre ma démarche
Alice Paquet

Un peu plus d’un an après les faits, Alice Paquet est allée rencontrer des policiers, en mars 2016. Mais elle ne donne pas suite à l’enquête parce que son entourage la dissuade d’aller plus loin étant donné les circonstances. Elle dit qu’elle a voulu prendre la parole ce mercredi soir d’octobre 2016 et revenir sur son histoire pour inciter les femmes à dénoncer leur agresseur, quel qu’il soit. Et elle se dit maintenant déterminée à poursuivre sa démarche en rencontrant de nouveau les policiers et porter plainte, même si elle sait que c’est un processus très éprouvant pour la victime. Et quand on la demande pourquoi on devrait croire son histoire, elle répond : « C’est arrivé. Si une femme, pendant une relation sexuelle, ne se sent pas libre de dire « je veux arrêter », c’est une agression sexuelle. »

Je suis innocent
Gerry Sklavounos

Gerry Sklavounos clame son innocence : « Je suis complètement innocent dans cette affaire-là. Je n’ai jamais, mais jamais, dans ma vie, agressé sexuellement quiconque » a-t-il déclaré à un quotidien montréalais, refusant par ailleurs toute autre entrevue. Et il dit qu’il va faire tout le nécessaire pour blanchir sa réputation, une réputation de séducteur au demeurant qui lui colle à la peau dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Sur les réseaux sociaux l'élu aime pourtant à se montrer en père et mari modèle, comme lors de ses voeux de Noël en décembre 2015...

Depuis que l'étudiante a parlé, d'autres langues se délient. Auprès de la presse en particulier. Les journalistes Marco Bélair-Cirino, Dave Noël, Marie-Michèle Sioui du quotidien québécois Le Devoir ont arpenté les couloirs du parlement et ont ramassé une moisson non négligeable de témoignages. Il en ressort le portrait d'un homme «insistant», «déplacé» et «cruiseur» (dragueur en québécois, ndlr). « À un moment donné, je passais dans le corridor, puis […] il m’a dit : “ Damn, she’s hot ”, des choses comme ça » raconte une page (employée parlementaire, ndlr) de l'Assemblée. Le député lui a ensuite « mis la main dans le bas du dos ».

Les partis d’opposition réclament sa démission en alléguant qu’il n’a plus aucune légitimité pour représenter des citoyens. Pour l’instant, aucune accusation n’a été portée contre lui et le système judiciaire canadien est basé sur un concept simple : un accusé est présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable. Mais des personnalités s'interrogent, comme Fatima Houda-Pepin qui fut députée de 1994 à 2014.
 
 

La notion délicate du consentement

Que cette histoire se poursuive un jour devant un tribunal ou pas, elle soulève de nouveau la délicate problématique du « consentement » : qu’est-ce que le consentement ? Quand y a-t-il consentement ? Et quand n’y en a-t-il pas ? Est-ce qu’il faut dire NON formellement ? Et toute la difficulté, dans de nombreux cas, pour les victimes de prouver devant un tribunal qu’elles n’avaient pas donné leur consentement à une relation sexuelle (le procès Gomeshi, qui a fait grand bruit au Canada, avait justement essentiellement porté sur cette notion de consentement).

Une campagne est en cours actuellement au Québec justement pour sensibiliser les jeunes garçons et les jeunes filles à cette notion de consentement : « SANS OUI C’EST NON ». Pour que les garçons, les hommes comprennent que même si la fille accepte de prendre un verre, accepte de monter dans une chambre d’hôtel, elle a aussi le droit, en tout temps, de dire NON ou de retirer son consentement, si elle ne veut pas aller plus loin. Et que si le garçon ou l’homme ne respecte pas sa décision et poursuit la relation, eh bien il s’agit ni plus ni moins d’une agression sexuelle. CQFD…

Une culture du viol ?

Au-delà de cette problématique du consentement, il y a aussi toute cette question de « culture du viol » qui semble encore bien présente dans nos sociétés… notamment sur les campus universitaires. Les histoires d’horreur en la matière sont légions aux États-Unis, mais le Canada n’y échappe pas. Des histoires d’agressions sexuelles mais on pense aussi à ces séances d’initiation et de bizutage qui sont plus souvent qu’autrement dégradantes pour les jeunes femmes et à ces commentaires hyper sexistes révélés récemment dans les médias sociaux sur les « prouesses sexuelles » des étudiantes de telle université versus telle autre.

Des histoires qui ont fait bondir de nombreuses personnes… sans oublier cette triste affaire d’agressions sexuelles dont une quinzaine d’étudiantes se sont dit victimes le 15 octobre 2016 dans leur résidence universitaire à Québec.

La ministre québécoise de l’Enseignement supérieur a demandé aux universités de la province de plancher sur l’élaboration de mesures concrètes afin de réduire les violences de nature sexuelle sur les campus. Le gouvernement québécois a l’intention d’adopter une politique pour lutter contre ce « grave problème qui est plus répandu qu’on ne le croit » a dit la ministre David. Les provinces canadiennes de l’Ontario et du Manitoba ont déjà adopté de telles législations.

Une récente étude menée par un chercheur sur les effets de l’alcool et de l’excitation sexuelle sur la perception du consentement révèle que 30% des participants se disent prêts à commettre un viol s’ils sont certains qu’il sera sans conséquence pour eux (pas de plainte déposée, pas de poursuites judiciaires ). 30% !!!!

Bien sûr, il ne faut en rien généraliser, mais ce que cette étude prouve, c’est que la certaine forme de laxisme dont font preuve nos sociétés à l’égard des agressions sexuelles, le fait que plus souvent qu’autrement les victimes ne sont pas ni écoutées ni prises au sérieux ou ont toutes les difficultés du monde à faire condamner leurs agresseurs, encourage, en quelque sorte, certains à passer à l’acte, sachant que les risques d’être condamné sont minimes. Alors oui, il y a urgence à mettre en place des mesures pour lutter contre ce phénomène insoutenable que représente cette « culture du viol »…
 
La Une du Devoir
Les journaux québécois, comme Le Devoir, ont répercuté l'onde de choc soulevée par l'affaire Alice Paquet, étudiante, contre Gerry Sklavounos, député