Une femme disparait. Et tout le monde s'en fiche. Ou presque... C'est un roman qui n'en est pas un. Plutôt un récit en forme d'enquête non élucidée dont les trous ont été comblés par de la matière romanesque. Une énigme au coeur du maquis corse, à laquelle un journaliste opiniâtre a consacré cinq ans. Par fidélité filiale ou pour redorer son blason personnel. Ou peut-être encore parce qu'il ne peut admettre l'indifférence suscitée par les disparus. "Les événements spectaculaires, pour ne pas dire incroyables, liés à cette double disparition en font une des plus grosses énigmes policières que la Corse, pourtant peu avare en drames en tous genres, ait jamais connues. Et elle n'est toujours pas résolue à ce jour." Corse-matin, vendredi 28 août 2009. En aout 79, deux vacanciers, une jeune femme célibataire, Marcelle Nicolas (rebaptisée Gabrielle Nicolet) et son fils Yann 8 ans, s'évaporent littéralement en Corse. Ni indice, ni corps, comme s'ils n'avaient jamais existé. L'enquête des gendarmes patine. Mais enquêtent-ils sérieusement ? Certains en doutent, d'autant que les rares témoignages, quand ils existent, n'apportent aucun élément probant. Le dossier garde son mystère près de 10 ans. En 88, un corps sans tête est découvert dans une tombe à Miomo, dans le Cap-Corse. L'autopsie prouve qu'il s'agit bien de la disparue et révèle une exécution d'une incroyable violence. La victime a été battue à mort, ses os brisés et décapitée à la scie électrique. Le modus operandi oriente vers un professionnel, chirurgien ou boucher. De l'enfant, aucune trace. Le narrateur Antoine Albertini était lui-même un enfant quand la mère et le fils ont disparu. Il n'a jamais oublié la colère de son père, un avocat bastiais qu'il admirait, quand le corps profané a été exhumé. Frappé par cette mort tragique, le garçon devenu journaliste rouvre le dossier. "Une fille-mère, un gosse en 1979, ça paraît fou mais ça n’était rien. Les autorités n’avaient rien à faire de leur disparition. Ce livre, c’est aussi un petit quelque chose contre l’oubli et nos petites bassesses collectives." La Corse est malheureusement une terre fertile en faits divers les plus spectaculaires. Mais celui du « cadavre sans tête » tient encore le haut du pavé plus de trente années après les faits. Var-Matin, mercredi 18 août 2010. Est-ce Antoine qui parle ou son double narrateur ? Tout le roman repose sur cette ambiguïté. Mais pourquoi nommer "roman" cet écrit si réaliste ? Selon Albertini, la demande émanerait de Grasset. Celui qui se définit comme un petit journaliste de province, se dit trop petit pour avoir repoussé la requête. "La fiction est intervenue au secours de la réalité quand celle-ci était trop incertaine pour pouvoir être rapportée de manière efficace ou plausible" confie t-il dans une interview. C'est pourtant bien d'une enquête qu'il a menée, ardue, poisseuse, rendue compliquée par le temps et par l'omerta corse. Car ceux qui savent n'ont aucun intérêt à parler. Quant à la personnalité de la victime, elle n'aide pas à cerner les mobiles de son assassinat. Infirmière en psychiatrie décrite à la limite de la nymphomanie, mère célibataire, son profil dérange. S'est-elle suicidée ? A t-elle disparu volontairement, fait une mauvaise rencontre ? A-t-elle été un témoin gênant ? Nul ne sait mais tout le monde s'en moque. A l'exception d'Antoine Albertini et d'un enquêteur, le major Serrier qui partagent la même obsession. Tous deux la paieront cher. Plus de trente après, les assassins de Marcelle et de Yann jouissent encore impunément de leur liberté. A moins qu’eux-mêmes n’aient rejoint leur propre pierre tombale, sans pouvoir reposer en paix. Nice-Matin, mercredi 18 août 2010. L'entêtements du gendarme et du journaliste fouineur permettra pourtant d'identifier les assassins, là où la justice a échoué, peut-être par mauvaise volonté. Car en Corse, il faut compter avec la mafia locale et les notables, avec l'orgueil mais aussi comme partout ailleurs, avec l'indifférence et la culpabilité. Même Jacques Pradel et son émission Témoin numéro 1 ne parviendront pas à forcer la loi du silence. Et les tueurs de continuer à dormir tranquilles. On comprend alors pourquoi le terme de roman a été préféré à celui d'enquête, les noms modifiés, la réalité grimée en fiction. Car la mise en cause des protagonistes de l'époque est accablante. Pour mille raisons, toutes plus révoltantes, l'affaire a été enterrée, et les criminels, quand ils ne sont pas morts de leur belle mort, coulent des jours tranquilles dans la bien-nommée Ile de Beauté. Le livre se lit d'une traite, tenu de bout en bout par une colère sourde, dans une prose souvent très crue. Et la dernière page tournée, on se prend à rêver qu'un jour, l'affaire enfin résolue fasse la Une de Corse-Matin, après avoir fait celle des Editions Grasset.