Contre toutes les règles et traditions de son pays, Noufie, une jeune Saoudienne s'est lancée, voilà trois ans à l'âge de 25 ans, dans une carrière de clown. Avec succès ! Rencontre avec une pionnière.
Noufie lors de son premier spectacle à l'ambassade britannique à Riyad
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Raconter des blagues sur une scène et faire rire un public n'est pas chose commune pour une femme en Arabie Saoudite. C'est pourtant ce qu'a fait une jeune Saoudienne surnommée "Noufie" en devenant la première et la seule femme humoriste de son pays.
Noufie était loin de se douter, en 2009, qu'une simple audition dans le sous-sol de l'un de ses amis ferait d'elle la première Saoudienne à oser faire de l'humour en public. "Une compagnie appelée 'Smile Production" était à la recherche de jeunes talents pour faire la première partie d'un spectacle d'humour. J'ai toujours été le clown de la famille. J'ai donc dit à mes amis que je voulais participer aux auditions pour le plaisir. Et j'y ai réussi à faire rire tout le monde !", se souvient-elle.
Mais dans une société aussi conservatrice que l'Arabie Saoudite, où les activités mixtes sont pour la plupart prohibées, s'imposer comme humoriste n'était pas gagné d'avance et Noufie s'est rapidement heurtée au refus de ses parents. Elle est pourtant née au sein d'une "bonne famille" et a grandi entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis, passant régulièrement ses vacances en Californie. "Bien sûr, mes parents se sont opposés à ce que je participe au spectacle. Ma mère est très ouverte d'esprit, mais mon père est un Saoudien typique. Il refuse par exemple que je vois des garçons à l'extérieur de l'université. J'ai donc dû insister et les convaincre en leur promettant que ma performance ne serait pas filmée, ni enregistrée", explique la jeune femme, qui a alors choisi d'adopter le nom de scène "Noufie" afin de protéger son identité et sa famille.
C'est d'ailleurs à sa mère que la jeune humoriste doit sa force de caractère. "En 1990, un groupe de femmes avait déjà défié l'interdiction de conduire en prenant le volant à travers le pays (10 ans avant la célèbre Manal Al-Sharif , donc, ndlr). Ma mère était l'une d'entre elles. Elle s'est d'ailleurs fait arrêter pour cela", raconte la jeune rebelle en avouant s'être déjà déguisée en homme pour conduire à travers la capitale, Riyad.
Rire pour dénoncer
Du voile obligatoire à la manière dont les garçons essaient d'attirer l'attention des jeunes filles, Noufie aborde des thèmes de la vie quotidienne de son pays et rit de l'absurdité engendrée par certaines règles imposées à sa société. "Je parle beaucoup de l'abaya, cette longue robe noire que les femmes sont obligées de porter. Je raconte également que je déteste porter le voile et couvrir mes cheveux. Les femmes qui portent le niqab (un voile noir qui ne laisse apparaître que les yeux), je les appelle les "ninjas". Je ris aussi du fait que pour pouvoir parler entre eux, les filles et les garçons communiquent par 'bluetooth' ", indique-t-elle.
Le néo conservatisme des jeunes
C'est donc lors d'un spectacle organisé à l'ambassade britannique à Ryiad que la jeune femme s'est donnée en spectacle pour la première fois devant un public sélectionné, composé de Saoudiens et d'étrangers triés sur le volet. Un succès, à une exception près. "Après la représentation, les spectateurs saoudiens m'ont dit qu'ils étaient fiers que quelqu'un ose enfin dire quelque chose. A ma grande surprise, la critique est venue des jeunes. Plusieurs m'ont interpellée très méchamment. Ils n'étaient pas d'accord avec ce que je dénonçais. Je me suis sentie trahie par ma génération", explique Noufie.
Aujourd'hui installée au Canada pour ses études, Noufie est régulièrement approchée pour participer à différents événements humoristiques dans son pays. Une carrière qu'elle aimerait poursuivre à son retour en Arabie Saoudite, avec l'appui de sa famille. "Les Arabes sont des gens qui aiment beaucoup rire et je suis profondément attachée à mon pays. C'est dommage que l'Occident ne voit en nous que le terrorisme", conclue-t-elle.