La BBC britannique décide aussitôt de faire appel à un excellent spécialiste de la chose coréenne et appelle tout naturellement à l'autre bout du monde l'américain. Robert E. Kelly, professeur associé en relations internationales au département de science politique et diplomatie de l'Université de Pusan en Corée du Sud, auteur de nombreuses recherches sur la sécurité dans cette Asie du Nord-Est, souvent sollicité des deux côtés de l'Atlantique. L'entretien est mené via Skype, le présentateur en studio, l'expert dans son bureau personnel, en son domicile de cette ville portuaire hérissée de gratte-ciel, qui compte plus de 3 700 000 habitants. Et bien entendu, en direct. Durant les deux premières minutes tout va bien. Robert E.Kelly répond avec sérieux à une question sur les faits puis sur le fonctionnement de la démocratie coréenne.
Imperturbable le présentateur poursuit son entretien, tout en glissant un petit mot sympa à l’adresse des bambins : « Si vos enfants vous le permettent, pensez-vous que cela aura des répercussions sur les relations entre les Corée et si le Nord va en profiter ? » Pendant la question une jeune femme est entrée à son tour dans le champ, affolée, dans la pièce, et rapatrie tout le monde hors de la vue de la caméra de l’ordinateur, tandis que Robert E.Kelly tente de répondre. Mais entre les ruptures de son dues à la cybernétique et les cris des enfants, on ne saura jamais si la Corée du Nord va profiter du bug gouvernemental de Séoul pour lancer une bombe atomique sur le pays… Il a juste le temps de confier que « ça m’étonnerait qu’ils le fassent », suivi d’un « pardonnez-moi » très contrit. Le journaliste de la BBC n’en a cure puisqu’il poursuit : « Quelles vont être les conséquences sur la région ? ». Et là, apothéose finale, avec le retour au ras du sol de la dame qui tire la porte.
Un tel direct télévisuel qui part là où on ne voulait surtout pas, tous les journalistes de télévision vous diront qu’ils l’ont vécu. Et ce n’est pas toujours aussi burlesque. Ce n’est pas seulement la vidéo qui est devenue virale mais l’interprétation qui en a été faite et la polémique qui a suivi. L’extrait familial circule à la vitesse de l’éclair accompagné de commentaires majoritairement libellés ainsi : « L’entrée fracassante de la nounou et son retour : fantastique ! ».
Une équation portée par l'Histoire
Il n’a pas échappé aux téléspectateurs internautes que la jeune femme qui vient récupérer tout le sympathique petit monde était asiatique. Et donc l’équation est aussi tôt établie : expert américain + résidant en Corée + enfants en bas âge et dame asiatique = nounou. Sauf que la nounou n’est pas la nounou, ni domestique, mais la maman (à moins de suggérer que toute maman est aussi une domestique).La BBC a rétabli la famille dans son bon droit et aussitôt la riposte s’est organisée, toujours sur les réseaux sociaux, accompagnée d’un mot dièse qu’il aurait été difficile de voir un jour : #notthenanny (#paslanounou). Au delà de ceux qui se moquent des irréductibles préjugés, les couples mélangés, avec enfants métis, ont posté leurs autoportraits ravageurs et drôles.
"C'est quand même drôle de voir comment quelque chose en apparence si innocent traduit la partialité de notre inconscient"
Isn't it ironic how such a seemingly innocent meme can convey so much unconscious bias. #notTheNanny #genderEquality pic.twitter.com/WJwfFAXmka
— Benjamen White (@benhwhite) 12 mars 2017
#notthenanny we are the family pic.twitter.com/zAcqijnfgq
— Jesy Aguilar (@Jesybelaguilar) 15 mars 2017
I don't think I was ever mistaken for a nanny. But people got confused, esp. when my daughter was a baby.#notTheNanny pic.twitter.com/jc96KwnJSD
— Oivvio Polite (@oivvio) 15 mars 2017
Racisme or not racisme ?
Les éditoriaux ont fleuri comme ceux du Guardian britannique : "If you saw a nanny in this BBC interview, what does that say about you ?" (Si vous voyez une nounou dans cette interview, qu'est ce que cela dit donc de vous ?" ou du Monde "La BBC, la « nounou » et les racistes". La première, Vera Chok, actrice et écrivaine, dans le quotidien (travailliste) de Manchester s'indigne contre les clichés : " Les préjugés inconscients ou les postulats racistes assénés sans réserve ont des conséquences réelles. Si nous ne considérons pas certaines personnes en tant qu’être humains, autant que nous, leur bonheur ou leur bien-être est alors bien moins important à préserver. Nous finissons par les traiter comme nous nous attendons à ce qu’ils soient traités. C’est à dire, mal."
La deuxième, Magali Cartigny, dans un point de vue assez difficile à déchiffrer, dans le quotidien français de centre-droit, assène : "Ceux qui distribuent les brevets de tolérance ont construit leur argumentaire sur leurs propres stéréotypes. Etre la nounou asiatique de l’expat est certes un cliché, mais être l’épouse asiatique de l’homme blanc pourrait l’être tout autant. Surtout, c’est oublier que si la vidéo a rencontré autant de succès, c’est parce qu’on s’identifie. Elle, c’est nous. D’ailleurs, si ça se trouve, elle est raciste…"
Le professeur associé de l’Université de Pusan Robert Kelly est vraiment un expert de son sujet, et pas seulement un père harcelé
BBC
Le commentaire qui accompagnait la première mise en ligne de l’entretien intégral de Robert Kelly, avant le feu d’artifice inter-spatial qu’elle allait déclenché, rédigé par l'un des rédacteurs en chef de la BBC était beaucoup plus sobre, et juste : « Le professeur associé de l’Université de Pusan Robert Kelly est vraiment un expert de son sujet, et pas seulement un père harcelé ».
Il a tout de même fallu que le désormais célèbrissime professeur Robert E. Kelly, s'explique à l'occasion d'une nouvelle interview fort sympathique avec la turbulente jeune tribu. Le spécialiste y avoue qu'il pensait ne plus jamais réapparaître sur les antennes de la chaîne britannique… Près de 10 minutes d’explications lui ouvrant un nouveau domaine d'expertise, sur la puissance des réseaux sociaux. Après avoir présenté sa femme Jung-a Kim, leurs enfants Marion et James, le couple raconte comment ils ont dû faire face à cette célébrité inattendue. Au vu de l’agitations des petits, on ne peut que leur souhaiter bonne chance dans l’avenir !
Et Park Geun-hye dans tout ça ? On l'a un peu oubliée la présidente déchue... Elle a présenté ses excuses aux Coréens le 21 mars 2017, avant de s'engouffrer dans le palais de Justice de Séoul où elle a passé la journée avec les magistrats du parquet. Et de retourner à une vie loin des caméras...
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter @braibant1