Fil d'Ariane
Vingt ans après la refonte du Code de la famille, jugée progressiste mais insuffisante, les militantes des droits des femmes au Maroc placent leurs espoirs dans la nouvelle réforme pour surmonter "les injustices et discriminations" à l'égard des femmes. Une réforme à laquelle s'opposent les partis islamistes.
Au Maroc, les femmes espèrent en finir avec "les discriminations et les violences" avec la prochaine réforme du Code de la famille.
Égalité dans l'héritage, dans la tutelle des enfants – y compris en cas de divorce – et interdiction totale du mariage des mineures : voilà les principales revendications des associations de défense des droits des femmes marocaines qui attendent beaucoup de la réforme du Code de la famille, annoncée pour le printemps 2024.
Rectifier l'injustice juridique, les discriminations et les violences à l'égard des femmes dans le texte ou dans son application. Samira Muheya, présidente de la FLDF
Le lancement de consultations pour l'amendement du code de la famille - "Moudawana" - représente une opportunité de rectifier "l'injustice juridique, les discriminations et les violences à l'égard des femmes dans le texte ou dans son application", selon Samira Muheya, présidente de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF)
Les islamistes, eux, continuent de faire barrage à ces appels en invoquant des interprétations rigoristes de l'islam, religion d'Etat au Maroc.
Le royaume a adopté en 2004 un Code de la famille accordant davantage de droits aux femmes, en plaçant la famille sous la responsabilité des deux époux ou en imposant des restrictions à la répudiation, aux mariages des mineures et à la polygamie.
Nous appelons à une réforme plus profonde et adaptée aux aspirations des nouvelles générations qui croient aux droits et aux libertés. Latifa Bouchoua, membre de la FLDF
À l'époque, les féministes marocaines avaient salué le texte tout en continuant à appeler à une "réforme plus profonde et adaptée aux aspirations des nouvelles générations qui croient aux droits et aux libertés", souligne à l'AFP Latifa Bouchoua, membre de la FLDF..
Le projet de nouvelle réforme a été initié par le roi Mohammed VI qui a appelé, l'année dernière dans un discours, à "dépasser les défaillances et les aspects négatifs révélés par l'expérience menée sur le terrain". Un comité, formé fin septembre 2023 et composé du ministre de la Justice et de responsables des institutions judiciaires et religieuses, est chargé de mener les consultations et préparer un projet de réforme dans un délai de six mois. Fin novembre, le comité a déjà reçu des propositions de plus d'un millier d'associations, mais aussi de partis politiques et d'institutions officielles.
Le mariage des mineures est l'une des questions les plus controversées, car "elle incarne un aspect marquant de la discrimination de la loi et suscite de grandes inquiétudes", souligne Atifa Timjerdine de l'Association démocratique des femmes du Maroc.
Si la "Moudawana" a porté à 18 ans (au lieu de 15 ans) l'âge légal du mariage des femmes, des dérogations sont possibles avec une autorisation judiciaire exceptionnelle. Ces dérogations, censées être exceptionnelles, ont pourtant atteint des niveaux très élevés, puisque "près de 85% des demandes présentées entre 2011 et 2018 ont été approuvées", selon une étude du ministère public.
Et les chiffres de ces demandes sont éloquents, comme le constate le quotidien Le Monde : "En 2022, plus de 13 000 autorisations ont été délivrées, sur 20 000 demandes. Même constat pour la polygamie". "Accord de la première épouse, garantie d’équité… Les conditions sont strictes, mais les juges ont toute latitude pour les contourner", précise dans l'article l'avocate marocaine Ghizlane Mamouni, présidente de l’association Kif Mama Kif Baba.
Le droit de tutelle des enfants, automatiquement attribué au père, est un autre point problématique, notamment en cas de divorce, selon les défenseurs des droits des femmes. Une mère divorcée a besoin impérativement de l'accord de son ex-conjoint pour les plus simples démarches administratives liées à ses enfants. Si elle se remarie, elle s'expose au risque de perdre la garde de son enfant dès l'âge de sept ans si le père en fait la demande. Celui-ci conserve en revanche ce droit en cas de remariage.
Les mouvements féministes aspirent également à l'égalité en matière d'héritage, la femme n'ayant droit qu'à la moitié de ce qu'hérite l'homme, conformément à une interprétation rigoriste du Coran.
Cette revendication suscite une vive opposition de la part des islamistes. Tout comme l'interdiction de la polygamie, limitée par la première réforme, mais toujours possible, notamment si la première épouse l'autorise.
Cette pratique a représenté 0,3% des actes de mariages en 2022, selon du Haut commissariat au plan (HCP).
L'ensemble des propositions féministes s'appuient sur le principe d'égalité consacrée par la Constitution de 2011 et sur "une jurisprudence éclairée" des textes religieux, explique Samira Muheya.
Cette réforme dépasse les frontières de la famille et réside dans sa capacité à changer le système patriarcal, responsable par exemple du chômage généralisé des femmes. Ahmed Assid, écrivain
Pour l'écrivain Ahmed Assid, l'importance de cette réforme dépasse les frontières de la famille et réside dans sa capacité à "changer le système patriarcal, responsable par exemple du chômage généralisé des femmes". Près de 35% des femmes titulaires d'un diplôme universitaire sont au chômage, contre 20,8% chez les hommes.
De leur côté, les islamistes affirment leur attachement à une jurisprudence (ijtihad en arabe) traditionaliste des textes religieux. Le Parti de la justice et du développement (PJD) n'envisage ainsi des amendements que dans le cadre "du référentiel islamique". Al Adl Wal Ihssan, principale mouvance islamiste au Maroc (interdite mais tolérée), prône pour sa part "la suprématie du référentiel islamique" et rejette "toute proposition qui le contredirait".
Il est attendu que le roi, président du Conseil supérieur des Oulémas, organisme ayant le monopole des fatwas (avis religieux), tranche les questions les plus clivantes de la réforme.
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