Nouveau James Bond : le féminisme peut attendre ?

Mourir peut attendre, le dernier opus de l'agent secret le plus célèbre de l'histoire du cinéma a suscité bien des attentes. En cette ère post-Metoo, et alors que le cliché sexiste de la femme-objet est battu en brèche, la saga née dans les années 1960 en a-t-elle fini avec l'image du héros à la virilité surpuissante entourée de ses James Bond girl hypersexualisées ? 
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bond avt première photo
De gauche à droite : Lashana Lynch, Daniel Craig, Lea Seydoux et Cary Joji Fukunaga lors de la première du film No time to die (Mourir peut attendre), dernier opus de la licence James Bond, le 28 septembre 2021 à Londres. 
©AP Photo/Matt Dunham
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affiche bond
Affiche du dernier James Bond, avec l'actrice Ana de Armas. 
©DR

En guise de réponse, l'affiche du dernier 007 ne laisse guère place au doute, l'actrice née à Cuba Ana de Armas, légèrement vêtue d'une robe noire en soie au décolleté abyssalement plongeant semble se conformer à la tradition des Bond : la "James Bond girl" reste et restera sexy. Et l'agent secret le plus icônique de l'histoire, un homme, du moins pour l'instant...  

C'est la dernière fois que l’acteur Daniel Craig endosse le costume de l’agent 007. S'il conserve l'image de séducteur, les critiques ont vu en son interprétation un héros ne cachant plus ses faiblesses, un homme un peu vieillissant, à la virilité quelque peu bousculée, voire fragilisée. Voilà peut-être déjà un signe d'évolution pour les versions futures, bien plus en accord avec notre siècle. L'acteur lui-même le confiait dans un entretien à Radio Times : "Il devrait simplement y avoir de meilleurs rôles pour les femmes et les acteurs de couleur. Pourquoi une femme devrait-elle jouer James Bond alors qu'il devrait y avoir un rôle tout aussi bon que James Bond, mais de femme ?". Sur la BBC, il avouait aussi qu'il jugeait Bond "sexiste".

Je pense que la raison pour laquelle la franchise a évolué de cette façon-là, notamment les rôles féminins, c'est que Daniel est un féministe.
Léa Seydoux sur RTL

Mais les traditions ont la peau dure, à l'image de la femme fatale en robe lamée, nouvel amour de l’agent double zéro sept, incarnée par l'actrice française Léa Seydoux. Celle-ci estime néammoins que grâce à Daniel Craig , le dernier opus porte la marque d'un vrai changement de style : "Il a vraiment changé le personnage. Il l'a rendu plus humain. Il a permis qu'on ait de l'empathie pour lui, explique la comédienne. Ce que j'aime avec le personnage de James Bond c'est qu'il n'est pas moral. Il est amoral. C'est quelque chose que Daniel a complètement incarné. Ces paradoxes-là donnent une dimension incroyable au personnage. Je pense que la raison pour laquelle la franchise a évolué de cette façon-là, notamment les rôles féminins, c'est que Daniel est un féministe," estime-t-elle sur RTL.

Lashana vs Ana Bond ou Jane Bond ? 

En 2016, après l'annonce du départ de Daniel Craig, le nom de l'héroïne de la série X-Files avait circulé sur les réseaux. Gillian Anderson elle-même avait réagi avec humour en postant une photo d'elle reprenant les codes de l'affiche de la franchise avec ce titre : "Je m'appelle Bond. Jane Bond".

Pendant un temps, on y a cru. Le prochain James Bond serait une femme. C'est ainsi qu'on avait, avec un peu de précipitation sans doute, interprété l'annonce du choix de Lashana Lynch comme nouvelle 007. Dans Mourir peut attendre, Lashana Lynch incarne effectivement celle qui succède à James, mis à la retraite, sans avoir pour autant le rôle principal... D'ailleurs, l'actrice s'amuse avec les codes de la saga et se glisse avec classe dans le style du héros, toujours dans la pure tradition "british". 
 
Je suis une femme noire - une autre femme noire dans le rôle aurait suscité la même chose, elle aurait subi les mêmes attaques, les mêmes abus. Je dois juste me rappeler que l'ouverture de la parole est en marche, et que je fais partie d'un tout qui sera très, très révolutionnaire.
Lashana Lynch, actrice, nouvelle 007 dans Mourir peut attendre
Ce n'était pourtant pas gagné, au vu des attentes du public vis-à-vis d'un "blockbuster" (une "superproduction", ndlr) comme celui-ci. Lashana Lynch n'est pas la première actrice noire à décrocher un rôle important dans un Bond. Avant elle, il y a eu Gloria Hendry (Vivre et laisser mourir), Grace Jones (Amicalement vôtre), Halle Berry (Meurs un autre jour) et Naomie Harris (Moneypenny dans Skyfall). Malgré cela, l'annonce de sa nomination en tant que nouvelle 007 lui a valu d'être la cible d'attaques racistes et misogynes. Voici comment elle y répondait dans la presse : "Je suis une femme noire - une autre femme noire dans le rôle aurait suscité la même chose, elle aurait subi les mêmes attaques, les mêmes abus. Je dois juste me rappeler que l'ouverture de la parole est en marche, et que je fais partie d'un tout qui sera très, très révolutionnaire... Je n'ai rien à dire aux trolls, à part que ce qu'ils pensent ne me regarde pas. Ils ont leur liberté de vivre, leur vérité, comme ils l'entendent, comme j'ai la liberté de vivre la mienne", ajoutait-elle encore au Los Angeles Times quelques semaines avant la sortie du film. 
 
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L'actrice britannique Lashana Lynch, cinquième actrice noire à décrocher un rôle important dans la franchise Bond, devient le nouvel agent 007 dans Mourir peut attendre, aux côtés dde l'actrice cubano-espagnole Ana de Armas. 
©AP Photo/Matt Dunham

Pussy Galore, la Bond girl féministe avant l'heure

Aliocha Wald Lasowski, auteur des Cinq secrets de James Bond (éd. Max Milo, 28 septembre 2021), écrit sur le site laregledujeu.org : "A sa façon, la saga 007 accompagne avec force les mouvements de libération et d’émancipation des femmes". "A rebours du cliché 'macho' qui colle à la peau de 007, lui, agent secret séducteur à l’image sexiste, mâle viril, dominateur hétérosexuel et sûr de lui-même, comment l’originalité du personnage féminin chez Jame Bond permet-elle de lutter contre la normativité et les stéréotypes​ ?" s'interroge-t-il. Et c'est à travers l'un des personnages féminins qu'il avance une réponse, celui de Pussy Galore, jouée à l’écran par l’actrice Honor Blackman (disparue à 94 ans en 2020), dans l'incontournable et cultissime Goldfinger sorti en 1964. 
 
Cessez le charme, je suis immunisée.
Pussy Galore dans Goldfinger (1964)
pussy galore
Pussy Galore dans une scène de Goldfinger (1964), le troisième volet des aventures de James Bond au cinéma.
©Wikipedia
Pussy (chatte en anglais...) est la pilote personnelle de Goldfinger et dirige le Pussy Galore Flying Circus, un cirque aérien composé uniquement de pilotes femmes. Dès le premier contact, elle montre à Bond qu’elle n’est pas impressionnée par son offensive de séduction, et reste sur ses gardes tout au long du film.


"A la tête d’une équipe féminine et féministe de voltigeuses, Pussy Galore brouille les frontières entre pansexualité et bisexualité, interroge les normes féminines et masculines et déconstruit la dichotomie entre homosexualité et hétérosexualité", analyse l'essayiste. Les intrépides du Pussy Galore’s Flying Circus préfigurent et annoncent selon lui le Mouvement de Libération des Femmes (MLF), créé six ans plus tard, en 1970.

Papa Bond

"Dans ce vingt-cinquième volet des aventures de 007, il semble que James Bond découvre aussi la seule chose qui lui manquait, les joies de la paternité", écrit Fabrice Leclerc, dans Paris-Match, sans vouloir spolier le film. Cela va-t-il changer quelque chose quant aux prochains scénarios ?

Avec Roger Moore, on rentre vraiment dans la caricature du séducteur avec des femmes qui n'étaient là que pour leur plastique. C'est une longue période où 007 est un consommateur de femmes, macho, voire phallocrate.
Fabrice Leclerc, journaliste Paris-Match
roger moore
Roger Moore aux côtés de Barbara Bach, "sa" James Bond girl lors de la première de L'espion qui m'aimait, au Festival de Cannes en 1977. 
©AP Photo

En attendant, le journaliste et expert du cinéma nous donne son point de vue sur l'image des femmes véhiculée tout au long de la saga. "Il y a plusieurs périodes dans le rapport de James Bond aux femmes. La première avec un Sean Connery très proche de la personnalité de Ian Fleming, qui était à la fois très proches des femmes, mais pas vraiment conscient de leur place dans la société. Et si, comme par exemple Moneypenny, certaines femmes autour de lui l'ont quand même beaucoup aidé, la femme reste la femme-objet", précise-t-il.

"Avec Roger Moore, on rentre vraiment dans la caricature du séducteur avec des femmes qui n'étaient là que pour leur plastique. C'est une longue période où 007 est un consommateur de femmes, macho, voire phallocrate.", souligne encore Fabrice Leclerc. L'arrivée de Daniel Craig a quelque peu changé la donne, selon lui. "Les femmes prennent un rôle plus important dans sa vie, on parle plus de son histoire, de son épouse qui est morte. Le rapport aux femmes devient plus un rapport de force, d'influence, on est plus dans la femme qui hante James Bond, c'est une évolution qu'on a pu constater dans les cinq derniers films avec Craig", conclut-il. 

Il faut regarder le personnage de James Bond dans la manière dont il ne respecte pas le consentement, déjà, dans un premier temps.
Clémentine Gallot, rédactrice en chef du podcast "Quoi de meuf"

"Il faut regarder le personnage de James Bond dans la manière dont il ne respecte pas le consentement, déjà, dans un premier temps", s'insurge de son côté Clémentine Gallot, critique de cinéma et rédactrice en chef du podcast Quoi de Meuf. "Le corps féminin est un corps à sa disposition. Pour moi, les James Bond girls ont été un élément de décor. C'est un peu ce qu'on peut aussi constater dans Games of Thrones, c'est ce qu'on appelle la 'sexposition', ce sont des scènes de sexe qui servent de transition, sans fonction narrative, ajoute la journaliste. C'est une constante dans ces rôles féminins qui sont très secondaires et très problématiques", précise-t-elle. A travers cette "masculinité conquérante", James Bond représente selon elle l'archétype du "célibataire très convoité", le super "bachelor", une figure qui n'existe pas chez les femmes. Néammoins, il y a eu des films récents où cette virilité se retrouve un peu entachée, revue à l'aune de Metoo, reconnait la journaliste. 

La participation à l'écriture du dernier James Bond de Phœbe Waller-Bridge, créatrice de la série Fleabag, la scénariste féministe du moment dont on s'arrache les services, pourrait servir de caution "woke", inclusive et féminine de cette franchise. S'agissait-il d'un coup marketing ou sa présence a-t-elle eu vraiment eu un effet ? Cela reste à voir. Et même si la productrice Barbara Broccolli a répété dans ses récentes interview que le prochain Bond resterait masculin, on aurait pu espérer un vrai tournant symbolique voire politique : celui de choisir une 007 pour incarner le rôle principal du prochain opus. Qui sait pourquoi pas Miss Bond, la fille de James ?