Nouveau procès hors norme en France : Joël Le Scouarnec, pédocriminel en série

Joël Le Scouarnec va être jugé pour viols et agressions sexuelles sur près de 300 victimes, la plupart mineures au moment des faits. Il est considéré comme l'un des plus grands pédocriminels que la France ait connu. Son procès s'ouvre ce 24 février 2025 devant une cour criminelle départementale, comme pour l'affaire des viols de Mazan.

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Joël Le Scouarnec

Joël Le Scouarnec, 74 ans, comparait devant la justice française pour viols et agressions sexuelles sur 299 patients, la plupart mineurs, pendant sa longue carrière de chirurgien.

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299.

Derrière ce chiffre : 299 personnes. Du lundi 24 février au mois de juin 2025, elles vont tenter de se souvenir devant la justice des agressions sexuelles et viols qu'elles ont subis, sous sédation, en bloc opératoire à l'occasion d'une intervention chirurgicale, ou dans une chambre d'hôpital.

Derrière ce chiffre, un nom : celui de Joël Le Scouarnec. L'ancien chirurgien sera jugé pour des viols aggravés et des agressions sexuelles aggravées, commis sur 299 victimes durant près de vingt-cinq ans de pratique médicale dans une dizaine d'hôpitaux de l'ouest de la France.

Ces victimes se trouvaient pour la plupart en état d'endormissement, induit par des substances anesthésiques, ainsi que par les sédations et autres traitements médicalement appliqués. Procureur de la république

"Ces victimes se trouvaient pour la plupart en état d'endormissement, induit par des substances anesthésiques, ainsi que par les sédations et autres traitements médicalement appliqués, ou bien tout simplement la fatigue, la douleur", précise le procureur devant la presse.

Pour ces faits, il a été renvoyé devant la cour criminelle du Morbihan, à Vannes, juridiction compétente pour juger les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion, peines maximales prévues pour les viols.

Joël Le Scouarnec, 74 ans, a déjà été condamné en 2020. Il purge depuis une peine de quinze ans de réclusion pour des viols sur sa jeune voisine et sur une nièce dans les années 1990, et pour des atteintes sexuelles sur une autre nièce et une jeune patiente à la même période.

Cours criminelles départementales vs cours d'assises

Issues de la réforme de la justice de 2019, les cours criminelles départementales (CCD) ont d'abord été expérimentées dans une quinzaine de départements puis généralisées au 1er janvier 2023.

Dans la pratique, ces cours examinent en grande majorité des affaires de violences sexuelles. Ainsi, la retentissante affaire des viols de Gisèle Pelicot, dans laquelle 51 hommes, dont son ex mari, ont été condamnés en décembre dernier, a été jugée par la cour criminelle du Vaucluse.

A la différence des cours d'assises, composée de trois juges et six jurés populaires, les CCD sont composées uniquement de cinq magistrats professionnels.

Cette décision, pour une affaire de crimes sériels, a été accueillie avec circonspection par certaines parties civiles.

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Des milliers de photos et vidéos retrouvées

Fils d'un ébéniste et d'une concierge, Joël Le Scouarnec est né et a grandi à Paris, dans le XIVe arrondissement. Il devient chirurgien au tout début des années 1980. 

Comme le précise Nice Matin, on apprend qu'à "son domicile, il collectionne des dizaines de poupées et s'adonne à différents actes sexuels avec elles. Pratiques zoophiles, scatophiles, sadomasochisme : il se met en scène dans de multiples photos et vidéos". Plus de 50 000 photos et 5000 vidéos violentes ont été découvertes lors de la perquisition de la police. Ses récits ont été retrouvés par les gendarmes dans son ordinateur : "Des tableaux et notes à l'ordinateur, allant de quelques lignes réitératives, parfois réutilisées de manière stéréotypée, pour ne pas dire compulsive, d'une victime à l'autre, jusqu'à certains paragraphes élaborés et circonstanciés, riches de détails difficilement supportables", comme l'a précisé lors d'une conférence de presse le procureur.

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Aujourd'hui divorcé, il est père de trois fils nés entre 1980 et 1987. Son ex-épouse dit qu'elle ignorait tout des pratiques de son mari, comme elle l'a confié au journal Ouest-France. "Je n’étais pas au courant de ses penchants, de ses poupées. Je n’ai eu connaissance de ses cahiers qu’après son interpellation", assure l'ancienne aide-soignante.

Une carrière "sans faille" ?

En 2004, un signalement du FBI sur 2468 internautes français s'étant connectés à des sites pédopornographiques déclenche une enquête judiciaire. Parmi eux, Joël Le Scouarnec, en poste depuis dix ans à Lorient dans le Morbihan. 

En 2005, l'homme est condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques. Une peine qui n'est assortie d'aucune obligation de soins ni d'interdiction d'exercer. Il n'en avertit pas sa direction.

Mais dans un autre hôpital, à Quimperlé, un de ses confrères, le psychiatre Thierry Bonvalot, apprend par un collègue cette condamnation. Après avoir dans un premier temps minimisé cette affaire, très vite, il est interpellé pour d'autres éléments. Notamment à l'issue d'une intervention pratiquée sur un jeune garçon, il est choqué par le comportement étrange du chirurgien. "Il résume l'opération avec tant de métaphores sexuelles que j'en reste effaré. Il avoue avoir été condamné pour pédopornographie." Le Dr Bonvalot fait un signalement le 14 juin 2006 auprès du directeur de l'hôpital, dans une lettre consultée par l'AFP. Malgré cela, Joël Le Scouarnec est titularisé le 1er août 2006 comme chef du service chirurgie à Quimperlé.

Plus tard, il prend un poste à Pontivy où le directeur de la clinique apprend sa condamnation. Son contrat est raccourci à "une semaine". En juin 2008, il rejoint l'hôpital de Jonzac en Charente-Maritime où il informe la directrice d'une procédure judiciaire le concernant. Elle en fait fi. Il y travaillera jusqu'en 2017, l'année où il prend sa retraite.

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"Ils savaient et n'ont rien fait"

Accusé d'avoir agressé sexuellement 299 jeunes patients, l'ancien chirurgien, n'a jamais été inquiété durant sa longue carrière. Un "échec collectif", car beaucoup connaissaient, ou soupçonnaient, sa pédocriminalité.

Combien de personnes savaient qu'il était pédophile et l'ont laissé exercer au contact de mineurs. Une victime (sous anonymat)

"Combien de personnes savaient qu'il était pédophile et l'ont laissé exercer au contact de mineurs ?, s'insurge une victime, sous anonymat. Ils savaient et n'ont rien fait. Je veux qu'ils soient jugés."

L'association "La Voix de l'Enfant" a déposé une plainte en ce sens, pour "mise en danger d'autrui". L'association "Face à l'inceste" a également déposé plainte, accusant "l'inaction" des autorités. Une "enquête préliminaire" est "en cours, contre X, du chef de non-empêchement de crime ou délit contre l'intégrité des personnes", indique le parquet de Lorient.

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Dans une tribune publiée dans le quotidien Libération, 37 victimes ont pris la parole pour "dénoncer notamment les ratés de la justice, un traitement judiciaire et médiatique indigne et une nouvelle atteinte à leur intégrité".

Il y a un impensé autour de la figure du médecin qui ne peut pas être un prédateur. Hugo Lemonier, journaliste, auteur de "Piégés"

Dans son livre Piégés. Dans le 'journal intime" du Dr Le Scouarnec chez Nouveau Monde Éditions, le journaliste indépendant, Hugo Lemonier décrit comment Joël Le Scouarnec, chirurgien et pédocriminel assumé, a pu bénéficier des "dysfonctionnements de la justice et des autorités de santé". "Il y a un impensé autour de la figure du médecin qui ne peut pas être un prédateur, constate le journaliste dans un entretien à france3.region. C'est absolument fou à quel point cette toute puissance médicale et surtout cet impensé sur la possibilité qu'un médecin soit un prédateur est ancrée en nous", ajoute-t-il.

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Recenser les victimes

Les 299 victimes de Joël Le Scouarnec ne seront pas toutes parties prenantes au procès mais toutes ont été informées de leurs droits et seront soutenues par l'association France Victimes 56.

"Compte tenu du nombre important de victimes, l'institution judiciaire avait besoin pour calibrer le procès de savoir qui viendrait, qui serait accompagné d'avocats, qui souhaiterait éventuellement que son dossier soit traité à huis clos, etc. Donc elle nous a sollicités pour les contacter", explique André Rolland, président de cette association.

L'idée, c'était de contacter celles qui n'avaient jamais fait de démarche, donc qui ne s'étaient pas constituées partie civile dans le cadre de l'instruction et qui n'avaient pas d'avocat. Carine Duneuf-Jardin, juriste, France Victimes 56

Les appels aux victimes recensées, dont la plupart étaient mineures et endormies ou en phase de réveil lorsqu'elles ont subi des violences sexuelles, ont commencé fin novembre 2024. "L'idée, c'était de contacter celles qui n'avaient jamais fait de démarche, donc qui ne s'étaient pas constituées partie civile dans le cadre de l'instruction et qui n'avaient pas d'avocat", dit Carine Duneuf-Jardin, juriste et coordinatrice de l'association.

Près de la moitié des victimes identifiées dans le dossier jugé à Vannes étaient alors dans cette situation. Toutes ont été appelées "pour les informer de la tenue du procès, faire un point avec elles pour savoir si elles restaient sur cette position", détaille la responsable.

Pas ou peu de souvenirs

Les victimes contactées par France victimes 56 ont eu des réactions variables, comme l'explique Carine Duneuf-Jardin.

Beaucoup n'ont pas de souvenirs, ça peut être compliqué pour eux de venir parler de quelque chose dont ils ne se souviennent pas. Carine Duneuf-Jardin, France Victimes 56

"Pour certains c'est 'Je ne veux rien', d'autres disent 'J'avais laissé traîner mais finalement, je vais peut-être me constituer partie civile sans venir au procès... Beaucoup n'ont pas de souvenirs, ça peut être compliqué pour eux de venir parler de quelque chose dont ils ne se souviennent pas", estime Carine Duneuf-Jardin".

Début février, 118 victimes ne s'étaient toujours pas constituées parties civiles, selon les chiffres de la cour d'appel de Rennes. "Des victimes peuvent se manifester jusqu'au dernier moment, la loi leur en donne le droit", souligne Carine Duneuf-Jardin.

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Face à face

Comme celui de Mazan, le procès de Joël Le Scouarnec devrait être très médiatisé. Prévu pour durer quatre mois, il s'annonce très éprouvant. 

Je n'avais pas besoin de manger. Je n'avais pas de sensation de faim. J'avais peut-être envie de mourir aussi. Amélie Lévêque, victime

"Je ne me souvenais pas trop de l'opération. Je me souvenais de l'après opération d'un chirurgien qui était assez méchant, qui sentait le citron et qui était assez vulgaire", raconte Amélie Lévêque sur France2, victime du chirurgien alors qu'elle avait 9 ans, après son opération de l'appendicite. Quelques mois après, et pendant de nombreuses années, l'adolescente développe de graves troubles : phobie médicale, dépression, anorexie. "Je n'avais pas besoin de manger. Je n'avais pas de sensation de faim. J'avais peut-être envie de mourir aussi", confie celle qui souffre encore de phases dépressives aujourd'hui. Constituée partie civile, elle ira lui faire face lors de son procès.

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