Nouveau procès #Metoo dans le cinéma français : Adèle Haenel en attente de justice
Les révélations d'Adèle Haenel avaient bouleversé le monde du cinéma et au delà. Cinq ans plus tard, Christophe Ruggia est jugé au tribunal correctionnel de Paris pour agressions sexuelles sur mineure. Le parquet a requis 5 ans de prison dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique. Retour sur cette affaire qui a ouvert la voie au #Metoo du cinéma français.
La toute jeune Adèle Haenel dans le film Les Diables de Christophe Ruggia sorti en 2002. Le réalisateur est jugé pour agressions sexuelles sur mineur de moins de 15 ans à Paris, les 9 et 10 décembre 2024 suite à la plainte de l'actrice.
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"Adèle, tu n'es pas seule", "Adèle, on te croit ! Violeurs, on vous voit !", "la honte doit changer de camp", "elle avait 12 ans et lui 36. Un(e) enfant n'est jamais consentant... Voilà quelques uns des slogans inscrits sur des pancartes brandies par plusieurs dizaines de manifestants, en majorité des femmes, venues soutenir Adèle Haenel devant le Palais de Justice de Paris, où se tient le procès de Christophe Ruggia.
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Adèle Haenel avait 11 ans lors du casting du film Les Diables de Christophe Ruggia et 12 pendant le tournage, à l'été 2001. Le long métrage, dont des extraits devraient être diffusés au procès, raconte la fugue perpétuelle d'un frère et de sa soeur autiste, abandonnés à la naissance. Une histoire qui devient incestueuse, avec plusieurs scènes de sexe entre les enfants et des gros plans sur le corps nu d'Adèle Haenel.
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La justice s'était saisie de cette affaire en 2019, après une enquête du site d'investigation Mediapart sur les faits dénoncés par l'actrice, qui s'est depuis mise en retrait du cinéma.
Aux enquêteurs, l'actrice avait raconté ces séquences qui l'avaient mise "très mal à l'aise", d'autres "violentes" comme celle où elle avait dû danser devant une prison sous les cris de "à poil !" de vrais détenus. Et la "bulle" dans laquelle le réalisateur l'avait progressivement "isolée" sur le plateau, demandant à sa famille de ne pas venir pour ne pas la déconcentrer.
Christophe Ruggia, jugé pour agressions sexuelles sur mineur, nie les faits dont il est accusé.
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"Malaise" pendant le tournage
Plusieurs professionnels ont décrit leur "malaise" face aux conditions de travail imposées aux enfants, et surtout au comportement de Christophe Ruggia sur le plateau. "Envahissant", "déplacé", "sa main sur la cuisse" de la jeune actrice, "des trucs dans le cou", elle "assise sur ses genoux". "Ça va pas, on dirait un couple c'est pas normal", s'était dit une scripte.
Après le tournage, entre 2001 et 2004, l'adolescente se rend "tous les samedis" après-midi ou presque chez celui qui lui répète l'avoir "créée". Les agressions qu'elle dénonce se déroulaient toujours de la même façon: lui assis sur un fauteuil, elle sur le canapé et "très vite" il trouve un prétexte pour se rapprocher. Il commence par lui caresser les cuisses, remonte "l'air de rien", puis lui touche le sexe ou la poitrine. "Il respirait fort" et "m'embrassait dans le cou", décrit-elle. Et si elle résistait, "il réagissait de manière choquée et avec cet air de 'non mais qu'est-ce que tu vas croire ?', alors qu'il avait sa main dans ma culotte".
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"La sensualité" d'une adolescente de 12 ans ?
Pendant l'enquête, Christophe Ruggia niera tout. Les agressions, les déclarations d'amour, l'emprise. Il évoquera la "sensualité" de l'actrice de 12 ans pendant le tournage. Les "poses" que prenait Adèle Haenel sur son canapé, ses mouvements de "langue", "dignes d'un film porno", qui le mettaient mal à l'aise voire le "dégoûtaient".
Il peinera à expliquer ce qu'ils faisaient pendant plusieurs heures, tous ces samedis après-midi. Se souviendra qu'il lui donnait "un goûter" avant de la ramener chez ses parents. Et mettra les accusations sur le compte d'une "vengeance" car il ne l'aurait finalement pas fait travailler à nouveau.
Jugé pour agressions sexuelles aggravées par la minorité de la victime et sa position d'autorité, il encourt jusqu'à 10 ans de prison et 150.000 euros d'amende.
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Adèle Haenel hors champ
Adèle Haenel a dit avoir décidé de parler publiquement en apprenant que Christophe Ruggia préparait un nouveau film avec des adolescents. Mais elle avait déjà raconté ou évoqué ces agressions des années auparavant auprès de son entourage personnel et professionnel, qui a témoigné de son mal-être, de ses crises d'angoisse. La comédienne a marqué le public dans Naissance des pieuvres, 120 battements par minute et surtout dans Portrait de la jeune fille en feu. Elle a obtenu deux César, celui de la meilleure actrice dans Les Combattants, et du second rôle, dans Suzanne.
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Elle s'est depuis officiellement retirée du cinéma, soldant une carrière qui avait basculé le soir des César 2020, lorsqu'elle avait quitté avec fracas la cérémonie pour dénoncer le sacre de Roman Polanski, accusé d'agressions sexuelles et de viols par plusieurs femmes."Distinguer Polanski, c'est cracher au visage de toutes les victimes", avait-elle prévenu avant la soirée.
Adèle Haenel"manque énormément" au cinéma français, regrette Noémie Merlant sur France Inter. Pour l'actrice et réalisatrice, qui partageait l'affiche avec Adèle Haenel dans Portrait de la Jeune fille en feu, "Parfois, pour être entendue, il faut faire des choses de manière un peu radicale".
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Aujourd'hui, Adèle Haenel se consacre au théâtre expérimental et mène les combats de la gauche radicale, comme l'écrit La Tribune du Dimanche qui a pu la rencontrer. "C'est l'aboutissement d'un long chemin" pour Adèle Haenel qui est "une survivante", a déclaré lundi 9 décembre au micro de franceinfo son avocate Anouck Michelin. "Son état d'esprit est celui d'une jeune femme qui est tendue, qui appréhende cette échéance qui est évidemment éminemment personnelle et fondamentale, et très importante pour elle", ajoute la magistrate.
Adèle Haenel, dont les apparitions publiques se font rares, est venue faire face à celui qu'elle accuse de l'avoir agressée, alors qu'elle n'était qu'une toute jeune adolescente. Elle n'avait que 12 ans, lui en avait alors 36. "Mais ferme ta gueule !", a-t-elle lancé au second jour du procès, se levant et quittant la salle d'audience.
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Le parquet a requis une peine de cinq ans de prison dont trois avec sursis, et deux ferme aménagés sous bracelet électronique, assortis d'une interdiction de travailler avec des mineurs. ce qui veut dire que Christophe Ruggia, 59 ans, n'irait pas en prison si le tribunal suivait ces réquisitions. Le jugement sera rendu le 3 février 2025.
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Plusieurs figures du cinéma français rattrapées par des accusations de violences sexuelles
La réalisatrice de « Me Too » Judith Godreche, au centre, pose avec les mains couvrant sa bouche à son arrivée à la première du film « Furiosa : A Mad Max Saga » au 77ème festival international du film, Cannes, sud de la France, mercredi 15 mai 2024.
L'actrice Judith Godrèche, 52 ans, a déclenché une nouvelle tempête en accusant publiquement en début d'année Benoît Jacquot de viols puis Jacques Doillon d'agression sexuelle. Toutefois, les faits qu'elle dénonce semblent prescrits. Benoît Jacquot a néanmoins été inculpé au début juillet pour les viols des actrices Julia Roy, en 2013, et Isild Le Besco, entre 1998 et 2000. Placé sous contrôle judiciaire, il lui est interdit d'exercer la profession de réalisateur et d'assister à des événements publics en lien avec le cinéma.
Jacques Doillon, lui, a vu sa garde à vue levée pour des raisons médicales. Il est notamment accusé de viols, de coups et blessures ainsi que de violences psychologiques par Joe Rohanne, personne trans non binaire.
L'acteur Gérard Depardieu, inculpé depuis 2020 pour viols et agressions sexuelles sur la comédienne Charlotte Arnould, lors du tournage du film Les Volets verts de Jean Becker en 2021. L'acteur doit être jugé pour agressions sexuelles sur deux femmes lors d'un tournage en 2021. Son procès a été reporté au printemps 2025.