Fil d'Ariane
Un blason à redorer
Ce n'est sans aucun doute pas un hasard si les Nobel ont choisi une femme pour hériter du prix Nobel de littérature 2018. Un choix symbolique destiné à redorer un blason sévèrement terni par l'affaire de viol qui avait impliqué un proche d'une membre de la prestigieuse académie.
L’Académie suédoise avait implosé après la publication en novembre 2017, en plein mouvement #MeToo, des témoignages de 18 femmes (autant que d’académiciens) accusant de harcèlement, d’agression sexuelle et de viol un Français, Jean-Claude Arnault.
Marié à une académicienne, propriétaire d’un club underground fréquenté par le gratin artistique et intellectuel suédois, il recevait de généreux subsides de l’académie, se vantait d’en être le «19e membre» et, selon des témoins, soufflait le nom des futurs lauréats du Nobel à ses amis.
Parfois qualifié de «fossoyeur de l’Académie», il a été définitivement condamné à deux ans et demi de prison pour viol.
Relire notre article > Scandale sexuel à l'académie des Nobel : Jean-Claude Arnault condamné pour deux viols en appelBREAKING NEWS:
— The Nobel Prize (@NobelPrize) October 10, 2019
The Nobel Prize in Literature for 2018 is awarded to the Polish author Olga Tokarczuk. The Nobel Prize in Literature for 2019 is awarded to the Austrian author Peter Handke.#NobelPrize pic.twitter.com/CeKNz1oTSB
Née le 29 janvier 1962 dans une famille d'enseignants à Sulechow dans l'ouest de la Pologne, elle est auteure d'une douzaine d'ouvrages. Diplômée de psychologie à l'Université de Varsovie, elle s'intéresse aux travaux de Karl Jung. Pendant un temps, elle travaille comme psychothérapeute à Walbrzych (sud-ouest) et s'essaie à l'écriture. Elle publie un recueil de poèmes, avant de se lancer dans la prose.
Après le succès de ses premiers livres, elle se consacre entièrement aux lettres et s'installe dans le village de Krajanow dans les monts Sudètes (sud-ouest). Aujourd'hui, ses livres sont des bestsellers en Pologne, traduits dans plus de 25 langues, dont le catalan et le chinois. Plusieurs de ses ouvrages ont été portés sur scène et à l'écran.
Son œuvre, extrêmement variée, va d'un conte philosophique Les Enfants verts (2016), à un roman policier écologiste engagé et métaphysique Sur les ossements des morts (2010), et à un roman historique de 900 pages Les livres de Jakob (2014).
Dans son univers poétique, le rationnel se mêle à l'irrationnel. Son monde est en mouvement perpétuel, sans point fixe, avec des personnages dont les biographies et les caractères s'entremêlent et, à la manière d'un puzzle géant, créent un splendide tableau d'ensemble. Le tout décrit dans un langage à la fois riche, précis et poétique, attentif aux détails.
"Olga est une mystique à la recherche perpétuelle de la vérité, vérité qu'on peut atteindre uniquement en mouvement, en transgressant les frontières. Toutes les formes, institutions et langues figées, c'est la mort", explique une de ses amies, Kinga Dunin, elle aussi écrivaine et critique littéraire.
Olga Tokarczuk elle-même se décrit comme une personne sans biographie: "Je ne possède pas en propre de biographie bien claire, que je pourrais raconter de façon intéressante. Je suis composée de ces personnages que j'ai sortis de ma tête, que j'ai inventés. Je suis composée d'eux tous, j'ai une biographie à plusieurs trames, énorme", explique l'écrivaine dans une interview pour l'Institut du livre polonais.
Sortis en 2014, Les livres de Jakob ont obtenu le plus prestigieux prix littéraire polonais Nikê, le deuxième de sa carrière. L'ouvrage est devenu un bestseller en Pologne, mais aussi l’objet de vives attaques des milieux nationalistes.
Après une interview à la télévision publique en 2015, où elle dénonce le mythe d'une Pologne tolérante et ouverte, elle reçoit des menaces de mort pour avoir "diffamé le bon nom de la Pologne et des Polonais". Pendant une semaine, l'éditeur lui envoie des gardes du corps.
Le même livre lui a valu, à elle et à son traducteur suédois, la première édition du prix littéraire Kulturhuset Stadsteatern de Stockholm. "Je me sens comme si j'avais eu le Nobel", a-t-elle alors déclaré.
Maintenant, elle peut le dire.
Elle devient la 15e femme seulement à recevoir le Graal des écrivains en 118 ans d'existence.
Après 3 hommes 0 femme #PrixNobel de médecine, 2 hommes 0 femme prix Nobel de physique, ce jour 3 hommes 0 femme prix Nobel de #chimie. Total 8 hommes prix Nobel 0 femme prix Nobel en #sciences... @FemmesSciences @CLEF @GwendoLefebvre @Assembleefemmes #NobelPrize2019 @PFDMedias https://t.co/EQbfU2SyQ5
— claudine monteil (@claudinemonteil) October 9, 2019