Fil d'Ariane
Sana Al-Mashari, 37 ans et Amna Al-Balushi, 35 ans, ont été respectivement élues dans les provinces d'Amerat et de Seeb, dans le gouvernorat de Mascate, la capitale. Toutes les deux ont l'ambition de se faire une place dans une société omanaise qu'elles décrivent comme toujours plus ouverte, mais à la fois encore imparfaite. Le père de Sana a siégé au conseil municipal entre le milieu des années 80 et le début des années 90. "Il m'a poussée, comme tout le reste de ma famille, à prendre sa succession et à perpétuer le nom au conseil municipal", sourit-elle assise dans un café de l’un des nombreux centres commerciaux de la ville.
Mon père, conseiller municipal, avait été désigné par le wāli car il connaissait certains hommes d’affaires. Moi je préfère les élections
Sana Al-Mashari, conseillère municipale de Mascate
Mais à la différence de son père, Sana a été élue. "Mon père avait été désigné par le wāli car il connaissait certains hommes d’affaires. Moi je préfère les élections car c'est un choix au mérite. Et puis ça donne confiance aux candidats qui n'ont pas été simplement désignés par untel ou untel", se réjouit la nouvelle élue dans un élan démocratique.
Amna Al-Balushi, elle, n'est pas "fille de", mais elle a menée une campagne acharnée deux semaines durant dans sa province de Seeb. "Ma campagne s'est faite en porte à porte. Tous les jours, je faisais le tour de plusieurs dizaines d'habitats. Puis j'avais des discours publics, des interviews avec des médias ou des déplacements dans certains secteurs d'activité. Les gens m'arrêtaient dans la rue pour me demander si j'étais bien Amna Al-Balushi. Je leur donnais ma carte", rigole-t-elle.
Cette maman de quatre enfants tient à jour des comptes Facebook, Instagram et Twitter qu'elle s'attache à mettre à jour à chacune de ses actions, interventions médiatiques et propositions. Amna comme Sana ont eu l’occasion de faire des études supérieures. La première est aujourd'hui professeure d'anglais dans une école privée de Mascate et la seconde est encore en phase d’obtenir son diplôme dans école de commerce. "Je sais qu'avec seulement mon diplôme de fin de secondaire je n'aurais pas été crédible pour faire de la politique. C'est pourquoi je poursuis encore mes études", affirme encore Sana Al-Mashari.
Même si le Sultan Qabus ibn Saïd, qui règne depuis 1970 sur ce pays à peine moins grand que son voisin le Yémen, est aussi Premier ministre, ministre de la Défense, des Finances, des Affaires Etrangères, chef des armées et directeur de la banque centrale, l'Etat omanais a ouvert les scrutins de vote au Majlis ach-Choura (conseil consultatif du Sultan), et a élargi à toutes les wilayats (gouvernorats) l'organisation d'élections municipales, d'habitude réservée uniquement à Mascate.
Le droit de vote des femmes (1994), puis celui de s'opposer à un mariage arrangé par leurs parents (2010), et enfin de conduire (en 2011, certes seulement un taxi mais quand même), ont suivi dans ce pays du golfe au modèle social patriarcal et tribal. Sur 731 candidats, 23 étaient femmes alors que la quasi moitié des votants étaient des femmes (289,491 femmes contre 333,733 hommes). Sept femmes ont été élues, c’est trois de plus qu’en 2012. Une surprise tant le pays reste accroché à des valeurs patriarcales et traditionnelles. En dehors de la capitale, qui fait exception, les Omanaises doivent habituellement renoncer aux longues études ou à une carrière professionnelle. Dans "Le Sultanat d'Oman, une révolution en trompe-l'oeil", Marc Valeri rapporte les conseils d'une mère à son jeune fils omanais : elle lui somme d'éviter une femme trop "indépendante", autoritaire, pas opposée par le "divorce", ou studieuse.
On est toutes diplômées dans la famille. Ma soeur poursuit des études aux Etats-Unis
Amna Al-Balushi, conseillère municipale
Selon un rapport de l'UNICEF publié en 2011, 81% des filles omanaises ont été scolarisées dans le secondaire, contre 83% pour les garçons. Lors de l'année scolaire 2005-2006, sur les 8000 étudiants omanais qui avaient opté pour faire leurs études aux Emirats Arabes Unis, 75% étaient des filles. Une prouesse dans un Etat où, pour une jeune femme, quitter le cocon familial et son influence reste un défi. Les Omanaises doivent, comme en Arabie saoudite voisine, se soumettre au bon vouloir de leurs époux ou pères pour obtenir un passeport. La nouvelle élue Amna Al-Balushi tient à valoriser l'éducation que le Sultanat offre aux filles comme aux garçons : "On est toutes diplômées dans la famille. Ma soeur poursuit des études aux Etats-Unis. Sa Majesté ne fait pas de différence en fonction du sexe." tient-elle à souligner.
"Les Omanais sont très calmes, ils ne montrent pas leur sentiment. Ici nous ne sommes pas en démocratie, les gens ne savent pas encore montrer leurs opinions. Les manifestations sont interdites. [...] nous n'avons pas de grands intellectuels, de journalistes, une histoire culturelle qui permettent à la population de prendre position, de montrer ce qu'elle pense..." La citation, tirée du livre "Le Sultanat d'Oman, une révolution en trompe-l'oeil" de Marc Valeri, universitaire spécialiste d'Oman, date de 2007.
Pourtant cet Oman si paisible n'a pas échappé aux tentatives de révolutions menées en 2011. En février une déferlante secouait les rues de Mascate contre la corruption et pour l'emploi ou de meilleurs salaires. Les hôpitaux annonçaient une dizaine de morts et de nombreux manifestants étaient arrêtés. Mais les choses avaient bougé et les premières élections municipales au suffrage universel, quoiqu'encore verrouillées, étaient organisées un an plus tard.(Oman reste cependant une monarchie absolue... et pétrolière, même si elle esr moins bien pourvue que certains de ses voisins en cette matièrepremière).
Le 25 décembre 2016, Oman organisait donc les deuxièmes élections municipales de son histoire. Au total, 731 candidats se sont présentés devant 623 224, soit 150 000 votants de plus que lors du premier vote de 2012, selon le Ministère de l'Intérieur (la population du sultanat s'élève à 3,6 millions d’habitants, augmentée de près de 700 000 travailleurs étrangers. La faible proportion d’électeurs s’explique par l’obligation d’une inscription électronique pour pouvoir voter).
On verra plus d'ambassadrices ou de femmes au conseil omanais à l'avenir
Saeed Al-Muharrami, professeur de sciences politiques
Le Docteur Saeed Al-Muharrami, professeur de science politique à l'université Sultan Qabus de Mascate, constate que : "nous avons 18 000 étudiants uniquement dans cette université et sur ces 18 000, nous avons plus de filles que de garçons. Et c'est le cas pour presque toutes les universités à Oman. Depuis quatre ans, nous avons une nouvelle branche en science politique. Et dans cette branche, il y a plus de femmes que d'hommes. Donc on verra plus d'ambassadrices ou de femmes au conseil omanais à l'avenir", sourit-il. Aujourd'hui, 14 femmes sur 84 membres siègent à l'influent conseil d'Etat omanais.
Désigné par le Sultan Qabus, ce conseil, qui rassemble hommes d'affaires puissantes, anciens ministres, intellectuels et savants, est au-dessus du conseil Majlis ach-Choura (conseil consultatif du Sultan) chargé de revisiter ou valider les lois rédigées par les ministres. "Si l'Etat omanais a fait beaucoup pour les femmes, une femme devra toujours faire plus qu'un homme pour réussir. Par exemple, si une femme critique le gouvernement, les médias et certaines personnes influentes vont répandre de fausses rumeurs sexuelles à ton propos. Une femme reste fragile et peut plus facilement se faire assassiner socialement qu'un homme", relativise Basmah Al-Kiyumi, une avocate omanaise de 32 ans, spécialisée dans la défense des droits des femmes.