Avec beaucoup d'humour, un brin caricatural, la dessinatrice Oriane Lassus brosse le portrait d'une jeune femme qui ne veut pas d'enfants. Un choix difficilement admis par son entourage, son gynécologue et plus largement notre société du XXIème siècle, en général.
Il y a le médecin qui ne veut pas pratiquer la stérilisation : "Vous êtes jeune, vous changerez d'avis. Et puis tant que vous n'en avez pas eu, vous ne savez pas" ; la copine qui vous assène des lieux communs : "Mais tu sais, c'est les hormones. A un moment donné, ça te parle t'es obligée d'en vouloir!" ; ou encore la soeur, enceinte : "Bon et toi ça te fait pas envie ?"
Dans son album Quoi de plus normal qu'infliger la vie? (Edition Arbitraire), Oriane Lassus fait le tour de tous ces préjugés, pressions et critiques que subissent ces femmes qui font le choix de ne pas avoir d'enfants.
"C'est comme si on m'avait offert une grosse télé. J'en voulais pas, je la regarde jamais...mais tous les mois je dois payer la redevance", raconte avec beaucoup d'humour le personnage principal de la BD à propos de son utérus.
Ces "nullipares" (celles qui n'ont jamais accouché) comme on les appelle aussi, sont souvent sévèrement jugées et incomprises. Car s'attaquer à la maternité, c'est encore tabou en France, comme ailleurs.
Difficile pour certains d'admettre qu'une femme ne veut pas procréer, pas seulement pour des raisons personnelles, existentielles mais aussi par considérations politiques, idéologiques sur notre société d'aujourd'hui. "J'ai du mal à m'empêcher de voir ça (un bébé) comme une offrande aux dieux du capitalisme, un guerrier au service des valeurs parentales, un splendide clone/poupée, mini-soi à modeler, un talisman vivant contre la solitude", énumère la jeune femme dans la BD. Un peu caricatural mais percutant et souvent juste.
Mais l'auteure n'en oublie pas pour autant les clichés qui entourent les parents aussi sur : la façon de porter son enfant, l'allaiter ou pas? , les questions incessantes "c'est pour quand?" "Fille ou garçon?", ...
Parents ou nullipares, mêmes pressions finalement. Oriane Lassus, 29 ans, nous explique son travail.
Comment vous est venue l’idée de cet album Quoi de plus normal qu'infliger la vie ?
C’est un projet dont j’ai réalisé une première version quand j’étais aux Beaux Arts en 2011. C’était à l’époque où ma sœur était enceinte pour la première fois. On a alors eu pas mal de discussions avec elle à ce moment-là. C’était surprenant parce qu’on avait des visions vraiment opposées sur le désir d’enfant, le rapport à la maternité, … J’ai trouvé que c’était un sujet riche, et ça m’a donné envie d’en parler.
Bio express
-Bac et BTS d’Arts appliqués
-Beaux arts de Bruxelles d’où Orianne Lassus est sortie en 2011. Cette année-là, elle gagne le prix « Révélation blog à Angoulême ». Publication de son premier ouvrage « ça va derrière ? » (Editions Vraoum). L’histoire d’une famille qui part en voiture.
- Elle participe aussi régulièrement à des revues et des magazines.
- Parution en 2016 : « Quoi de plus normal qu’infliger la vie ? » (Editions Arbitraire)
De quoi vous êtes-vous servis pour nourrir les dialogues ?
Ce sont, en partie, des choses j’ai entendues plein de fois. Sur ce sujet, en particulier, on retrouve souvent les mêmes réflexions. Chez beaucoup de gens, il n’y a pas une grande réflexion poussée là-dessus. Et en préparant le livre j’ai aussi lu beaucoup de témoignages, d’articles qui m’ont permis de voir ce qui se répétait dans le vécu d’autres personnes. Mais il y a aussi une part d’invention dans mon récit.
Pourquoi avez-vous décidé de faire un album sur ce tabou que représente le refus de la maternité ?
Je n’aurais pas vraiment eu le courage de me replonger là-dedans si la maison d'édition lyonnaise Arbitraire ne me l'avait pas demandé. C’est paradoxal pour une femme comme moi qui ne veut pas d’enfants, de passer autant de temps à parler de ça. C’est un peu frustrant de revenir, encore et encore, sur un sujet sur lequel on n’aimerait pas avoir à en parler, à se justifier.
Tout l'album n’est pas le reflet de mon opinion parce que je ne voulais pas faire une bande dessinée intime, … Mais il y a beaucoup de réflexions tirées de mon expérience personnelle. Je suis bien sûr partie du fait que je n’ai jamais voulu d’enfants. Ça a toujours été une certitude pour moi.
Mais je n’ai pas toujours l’impression que ce soit un tabou, cela dépend aussi des gens à qui on s’adresse. Les consciences ont peut être un peu évolué même si on se heurte parfois à des jugements un peu péremptoires. J’ai donc essayé d’en parler dans ma BD avec le plus d’honnêteté possible.
Et j'ai eu, en général, une bonne réception des lecteurs. Ce sont plus des hommes que des femmes qui ont été choqués par cette idée de stérilisation définitive des femmes en lisant ma BD. Ça me laisse assez perplexe d’autant plus que ce ne sont pas eux qui sont concernés directement.
La gent masculine est d'ailleurs représentée dans votre ouvrage. Par exemple, le compagnon de votre personnage principal partage tout à fait le choix de la jeune femme.
J’aurais pu choisir un personnage célibataire, ou dans une autre situation. Mais je trouvais intéressant d’avoir un personnage en couple et hétérosexuel car c’est un peu la voie royale pour avoir des gamins dans notre société. Et c'est là aussi où votre famille va rapidement poser la question : « Alors c’est pour quand ? »
Je trouvais que c’était bien de montrer des aspects positifs. Cela peut être un choix qui se vit bien en couple, de manière compréhensive et pas forcément quelque chose de destructeur, qui rend malheureux.
Dans votre bande dessinée, le refus de la maternité va au-delà d’un choix personnel mais relève d’une position politique, idéologique. Pourquoi ?
Ça fait partie des questions qui sont intéressantes à se poser. Cette idée des pays qui vont encourager les gens à faire des enfants, là on sort complètement du domaine du choix personnel. C’est là où je trouve qu’il y a une grande hypocrisie de dire que c’est un choix très intime et personnel, et en même temps, il y a tellement de choses à l’extérieur qui poussent les gens à faire des enfants pour des raisons pas toujours très glorieuses.