Thokozile Masipa a commencé à Pretoria, ce jeudi 11 septembre 2014, la lecture de son jugement - solitaire (pas de jury dans ce pays) - qui devra dire si le champion sud-africain a tué intentionnellement ou pas le mannequin Reeva Steenkamp en février 2013. Ne se laissant influencer par personne et alors que l'opinion publique réclame la perpétuité, la juge a d'emblée rejeté les témoignages à charge et donc un meurtre prémédité. Retour sur une affaire emblématique, qui colle aux chaos de la nation arc en ciel, l'Afrique du Sud post-apartheid
"Il a mis ses prothèses, marché sept mètres et fait feu". L'athlète continue à invoquer une méprise. Pourtant, le parquet avait retenu mardi 19 février 2013, la "préméditation" contre Oscar Pistorius, le champion handisport accusé du meurtre de sa petite amie, le mannequin Reeva Steenkamp, au matin de la Saint-Valentin. "La victime a été touchée trois fois alors qu'elle était aux toilettes" et "la porte des toilettes a été défoncée depuis l'extérieur. Nous pensons que la porte était fermée à clé", a indiqué le procureur Gerrie Nel, en soulignant qu'"il n'y avait que deux personnes dans la maison cette nuit-là". Il "a tiré et a tué une femme innocente non armée. Il a tiré quatre fois". L'athlète avait cependant été libéré sous caution de 85000 euros au terme d'une semaine d'audience quelques mois après le meurtre.
La jeune mannequin sud-africaine Reeva Steenkamp était sans doute ‘terrifiée’, enfermée dans les toilettes de son petit ami, la star paralympique Oscar Pistorius. Elle a reçu alors trois balles tirées à travers la porte. C’est le Procureur de la République Gerrie Nel qui a évoqué cette image mercredi matin (19 fevrier), lors de la demande de liberté provisoire de Pistorius, accusé d’avoir tué Steenkamp dans sa luxueuse villa à Pretoria le matin du 14 février. Les détails de ce drame ont à nouveau choqué et surpris l’Afrique du Sud, traumatisée par ces accusations contre le ‘héros’ de l’athlétisme mondial. Pistorius nie l’avoir tuée en disant qu’il a pris Steenkamp, derrière la porte de la salle de bain, pour un voleur. Le parquet retient quant à lui la thèse de la préméditation. Le lendemain du drame, la police a confirmé avoir était appelée par les voisins qui avaient entendu des cris. Bien que rien ne prouve pour l’instant la culpabilité de Pistorius, ce drame qui secoue l’Afrique du Sud, met de nouveau l’accent sur les brutalités, viols et autres crimes faits aux femmes dans un pays marquée par la violence du temps d’apartheid et où sont perpétrés 15 609 meurtres par an, selon les statistiques de la police pour 2011/2012 – un des taux les plus élevés au monde. Selon ses chiffres 65% de ses homicides sont ‘de nature interpersonnelle’. Cela veut dire, selon les spécialistes, que dans la plupart des cas, la victime et le meurtrier se connaissaient. Et les femmes en sont presque toujours les victimes. Selon une autre étude du Conseil de Recherche Médical Sud-Africain (SAMRC) trois femmes sont tuées par leurs conjoints chaque jour en Afrique du Sud (en France, c’est une tous les trois jours, ndlr). Aucun milieu n'échappe à cette violence Par ailleurs, ce meurtre dont est accusé Pistorius, dément, une fois encore, l’idée reçue selon laquelle ces crimes sont plus souvent commis dans un milieu défavorisé. En Afrique du Sud autant qu’ailleurs, la population associe la violence conjugale à la pauvreté, d’alcoolisme, de désespoir. Eh ben, non.
Pistorius et Steenkamp étaient parmi les très privilégiés de ce monde. Sans doute, la jeune mannequin, diplômée de droit, s’était-elle préparée pour une soirée romantique à la veille de la Saint Valentin, avec son nouvel amour de trois mois. Quelques heures après son arrivée munie « d’un petit sac de cosmétiques » - selon le procureur - dans le luxueux complexe sécuritaire de Silver Woods, Steenkamp était morte. Le plus surprenant sans doute, c’est le fait que Steenkamp elle-même avait manifesté sa solidarité avec les femmes victimes de violence. L’Afrique du Sud est souvent considérée ‘le pays du viol’ avec plus de 55 000 viols par an officiellement déclarés à la police (2011/2012). Ca n'arrive qu'aux autres Aujourd’hui le contenu d’un message posté par Steenkamp, selon la presse sud-africaine, quelques jours avant sa mort sur le réseau « Instagram » frappe les esprits. « Je me suis réveillée ce matin heureuse, me sentant en sécurité chez moi. Ce n’est pas le cas pour tout le monde, » a-t-elle écrit, encourageant ses concitoyen(ne)s à s’exprimer contre les violences sexuelles dans le pays. Dans son message, elle faisait aussi référence à la jeune Anene Booysen, 17 ans, morte et mutilée lors d’un viol collectif, le 2 février 2013 à Bredasdorp, près du Cap. Ce meurtre, étrangement similaire à ce qui était arrivé à l’indienne Joyti Singh Pandey (à la fin de l’année 2012), et qui a entrainé des réactions en Inde et dans le monde entier, a suscité de très fortes émotions en Afrique du Sud. Son message se termine ainsi : RIP Anene Booysen #rape #crime #sayNO Le meilleur des mondes Pour sa part, Steenkamp pensait sans doute vivre dans un monde parfait. Quelques jours, c’est à dire le samedi 16 fevrier, elle savait qu’elle allait apparaître dans une nouvelle sérié télévisée Tropika Island of Treasure. Elle sort avec une star. Non seulement une star, mais un athlète admiré pour son courage et sa détermination face à l’adversité qui le frappe depuis l’amputation de ses deux jambes, advenue à un très jeune âge. Le visage d’Oscar Pistorius s’affiche partout en Afrique du Sud : à la Une des magazines de modes, dans les publicités télévisuelles, et depuis peu, sur un grand panneau traversant une autoroute de Johannesburg. Ce dernier a été enlevé dès le lendemain de son inculpation. On ne sait toujours pas ce qui c’est réellement passé cette nuit là à Pretoria. Mais Reeva n’avait-elle pas entendu les rumeurs selon lesquelles Pistorius était un homme coléreux ; n’avait-elle pas su que la police avait déjà reçu des plaintes contre lui de la part d’une femme, pour agression sexuelle. Elle certainement aussi pu constater qu’il aimait s’entrainer avec ses armes à feu, dans un terrain près de sa maison. D’ailleurs, au mois de janvier, selon le quotidien de Johannesburg, The Star, il a commandé une liste d’armes à feu, dont certaines de grands calibres. Mais, comme c’est le cas souvent quand il s’agit des stars et des ‘héros’, on ne parlait pas de cet envers du décor d’Oscar Pistorius. En s’effondrant devant les cameras après ses funérailles à Port Elizabeth, l’oncle de Steenkamp a évoqué l’engagement de sa nièce contre la violence sexuelle en Afrique du Sud. Il faudra attendre la fin du procès pour savoir si elle était elle-même l’une des victimes de cette triste réalité.
A propos de Liesl Louw Vaudran
Liesl Louw-Vaudran a durant de longues années été correspondante à Paris d'une chaîne de télévision sud-africaine puis rédactrice en chef adjointe de la revue
African.org , à l'Institut d'Etudes de Sécurité, en Afrique du Sud, à Prétoria. Elle est aujourd'hui journaliste indépendante et collabore régulièrement à TV5Monde.com, en particulier pour les blogs planétaires.