Fil d'Ariane
Les Aquatiques raconte le parcours de plusieurs personnes victimes d'oppressions dans un pays imaginaire d’Afrique où les élites politiques se livrent une âpre lutte pour préserver leurs fonctions et avantages. Parmi elles, Katmé, épouse du préfet et futur gouverneur, verra son monde basculer après l’arrestation de Samy, son ami sculpteur devenu, en raison de son homosexualité, un sujet d’affrontement entre aspirants gouverneurs en manque de programme politique. Désormais pointée du doigt par les siens, qui fustigent sa proximité avec un homosexuel, Katmé entamera un combat pour s’affirmer dans une société patriarcale et superficielle où les intérêts et la carrière de son époux importent davantage que son émancipation…
PRIX LITTÉRAIRE > Osvalde Lewat, lauréate du "grand prix panafricain de littérature"
— Livres Hebdo (@livreshebdo) January 25, 2022
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Terriennes : Pourquoi avez-vous choisi de transposer l’intrigue de votre ouvrage dans un pays imaginaire d’Afrique et non au Cameroun où vous êtes née ?
Osvalde Lewat : Les Aquatiques se déroule effectivement au Zambuena, un pays imaginaire qui ressemble à différents pays d’Afrique subsaharienne où j’ai vécu, à l’exemple du Congo ou du Cameroun où je suis née. Je ne voulais pas me restreindre à cause d’une dénomination de pays, d’une toponymie. Si j’avais fait ce choix, on m’aurait opposé que telle ou telle situation dépeinte dans le roman est inexacte. C’est donc par souci de liberté et besoin de débrider mon imaginaire que j’ai choisi de transposer l’intrigue de mon roman dans un pays qui n’existe pas, mais qui rappelle quand même plusieurs pays d’Afrique subsaharienne…
À travers les trajectoires de Samy et Katmé, vous dénoncez les rouages du pouvoir en Afrique, où prime l’intérêt des élites…
J'ai vécu et grandi dans un contexte social et politique où, malheureusement, la lutte pour le pouvoir est sans merci. C’est une réalité bien évidemment commune à d’autres zones géographiques. Il n’y a pas qu’en Afrique que les luttes pour le pouvoir sont aussi brutales. Mon souhait était de raconter les expériences de personnes qui, par le fait du hasard, se retrouvent aux prises avec une machine qui les dépasse et cette machine-là, c'est le rouleau compresseur de l'Etat. Car j'ai toujours été révoltée par l'injustice et l'arbitraire qu’un État peut exercer sur les individus.
Katmé entame un processus de déconstruction tard dans sa vie. Moi, très tôt, j’ai souhaité me réinventer pour m’affranchir des carcans du groupe.
Osvalde Lewat
Quelle est la part autobiographique de ce livre ?
Les Aquatiques comportent une part minimale d’autobiographie. J’ai en commun avec Katmé la perte de ma mère à un âge très jeune, et de l’avoir vu enterrer deux fois. On va dire que je me suis nourrie de la réalité sociale, politique et économique dans laquelle j’ai vécu pour écrire ce roman, qui reste malgré tout un texte de fiction. Katmé est un personnage qui a été pensé à rebours de moi puisque dans le roman, c’est quelqu’un qui entame un processus de déconstruction tard dans sa vie alors qu’elle est déjà mariée avec des enfants. Moi, très tôt, j’ai souhaité me réinventer pour m’affranchir des carcans du groupe. Donc, s’il y a effectivement dans Les Aquatiques des scènes qui ont une résonnance forte avec certains événements que j’ai vécus, le roman est globalement le fruit de mon imagination.
C’est le roman d’une femme qui décide qu’elle va coïncider avec elle-même, alors que tout ce qu’on lui a inculqué jusque-là semblait l'avoir structurée de façon définitive.
Osvalde Lewat
Les Aquatiques est-il un roman d’émancipation ?
Katmé a un certain âge et un parcours de vie derrière elle. Elle s’est construite dans un groupe qui lui a inculqué certaines règles. Et lorsqu’elle décide de s’insurger contre ce qu’on lui a appris, elle entame un processus de déconstruction. C’est en effet le roman d’émancipation d’une femme qui, à un moment, décide qu’elle va coïncider avec elle-même, alors que tout ce qu’on lui a inculqué jusque-là semblait avoir forgé son caractère et structuré son identité de façon définitive.
L’ouvrage aborde également la situation de certaines femmes subsahariennes qui, malgré leur intellectualisation et le fait d'appartenir à une élite, sont considérées comme étant inférieures aux hommes…
Les Aquatiques est un roman qui évoque la situation de la femme en Afrique subsaharienne au XXIe siècle, dans des sociétés où, malgré de nombreuses avancées, de nombreux acquis, la situation de la femme est encore problématique. À cause notamment des injonctions du mari, de la famille et de la société. Il m'a semblé intéressant de montrer que, même si elles ont réussi leurs vies, les femmes continuent d'être infantilisées par une société qui continue à penser qu'elles ne sont pas des êtres humains à part entière, qu’elles ne peuvent s’autonomiser, s’épanouir sans être sous le joug d’un homme.
Il y a eu une régression importante des droits des femmes en Afrique après la colonisation et l’instauration des religions monothéistes.
Osvalde Lewat
Ce qui me frappe lorsque je lis des ouvrages qui portent sur les femmes africaines durant la période précoloniale, c'est qu’elles avaient beaucoup plus de droits et de libertés que ce que la société leur reconnaît aujourd’hui. Il y avait des guerrières, des reines, une transmission matrilinéaire de l'héritage dans certaines sociétés et des structures de cogestion du pouvoir entre les hommes et les femmes. C’est étonnant de réaliser à quel point il y a eu une régression importante des droits des femmes en Afrique après la colonisation et l’instauration des religions monothéistes.
Dès qu'on parle de droits des femmes, de féminisme, on se heurte à des critiques affirmant que c'est une vision occidentale de la place de la femme dans la société. La femme africaine serait par essence soumise, obéissante, éduquée pour être au service de son époux et de la communauté. Le fait que des femmes diplômées, qui ont un travail, puissent se sacrifier pour maintenir cet équilibre social et familial au nom de la paix du groupe et des diktats sociaux est une réflexion qu'il m'a semblé nécessaire de mener dans le roman.
La deuxième thématique abordée dans votre livre est la persécution des homosexuels en Afrique…
Dans le contexte où j'ai grandi, être homosexuel signait votre mort sociale. Avant la répression de l'Etat, il y avait la répression de la famille. Lorsque vous entendez, enfant, des propos racontant la possible damnation d'un oncle dont l'homosexualité vient d'être découverte, ça vous marque à jamais. Lorsque j'ai commencé à concevoir le personnage de Samy, je l'ai imaginé à fleur de peau et sensible. Ces souvenirs d'enfance sont revenus et c'est ainsi que le personnage a été construit...
Récemment, au Cameroun, deux jeunes travestis ont été arrêtés pour motif d'homosexualité, puis condamnés à cinq ans d'emprisonnement et 200 000 FCFA d'amende. Ce qui est la peine maximale pour les condamnations liées à l'homosexualité. En tant que romancière, c'est une situation qui ne me laisse pas indifférente. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé d'aborder le sujet en allant à la rencontre de personnes qui se trouvent rejetées pour ce qu'elles sont, alors qu'elles n'y sont pour rien.
Pourquoi ce titre Les Aquatiques ?
Parce que dans le roman, il s'agit d'une communauté marginalisée qui vit à la périphérie du centre-ville et des belles maisons. C’est aussi une métaphore que je voulais utiliser puisque les Aquatiques sont considérées par la classe dirigeante comme des sauvages, et je voulais montrer qu’au fond, nous sommes tous des aquatiques. Il y a un moment, dans le roman, où l’un des personnages se rend compte qu'en prenant le temps de regarder, on est toujours à la marge de quelqu’un d’autre, on est toujours l’altérité.
Quelles sont les autrices qui vous ont permis de vous construire ?
La première, que je cite souvent, car elle m’a donné la liberté d’écrire, est Doris Lessing. Le Carnet d'or, l'un de ses romans, reste pour moi d'une incroyable actualité et intemporalité. Lorsque j'ai lu Le Carnet d'or, sa liberté de ton, son humour et la question de la femme qu'elle aborde avec finesse et culot m'a fait comprendre que je pouvais aussi écrire en me déprenant de certaines peurs et a priori. Il y a aussi Toni Morrison que j'ai beaucoup aimé lire, puis Marguerite Yourcenar, Aminata Sow Fall...
Un dernier mot sur la littérature ?
C’est un territoire qui me permet de vivre avec plus de densité la vraie vie et d’explorer la nature humaine en sondant ce qu’elle a de merveilleux et de repoussoir.
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