"Ouaga Girls", premier long métrage de Theresa Traore Dahlberg, sort en France le 7 mars 2018. La veille de la journée internationale des Droits des femmes, le 8 mars... Durant un an, la réalisatrice moitié suédoise, moitié burkinabée, a suivi le quotidien de jeunes filles en dernière année de mécanique dans un centre de formation à Ouagadougou. Un film documentaire, à portée universelle, sur la résilience, le passage délicat de l’adolescence à la vie d’adulte, à la vie de femme.
Le jour se lève sur Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, si belle à voir aux premières lueurs du matin. Des foules compactes de femmes et d’hommes, sur toutes sortes de deux roues, mettent la ville en effervescence. Tandis que des adolescentes, en bleu de travail, pédalent avec la nonchalance de la jeunesse. Une main sur le guidon, l’autre sur le smartphone, des filles de leur temps, en route vers le CFIAM, le Centre féminin d’initiation et d’apprentissage aux métiers.
Devenir femme
Chantale, Bintou, Dina, Marthe, Mouniriatou… et les autres achèvent leur dernière année de carrosserie tôlerie, dans cette école de mécanique pour jeunes filles, créée en 1994, à l’initiative de l’association
ATTous-Yennenga, et soutenue par l’ONG
Terre des Hommes Suisse et Terre des Hommes Allemagne.
Les phases de transition sont si fragiles dans la vie de chaque individu qu’avec ce film, j’ai voulu saisir l’instant crucial où les choix déterminants s’opèrent.Théresa Traoré Dahlberg, réalisatrice
La réalisatrice Theresa Traoré Dahlberg, née en 1983 à Stockolm et qui a passé une partie de son enfance au Burkina, les suit avec sa caméra tout au long de cette année charnière.
" Celle du passage de la vie adolescente à la vie d’adulte, l’entrée dans la vie active et l’heure des choix, explique la jeune cinéaste.
Les phases de transition sont si fragiles dans la vie de chaque individu qu’avec ce film, j’ai voulu saisir l’instant crucial où les choix déterminants s’opèrent. Cet entre-deux où les rêves, les désirs et le courage se heurtent à la prise de conscience du regard des autres, aux attentes de la société et des peurs inhérentes à cette naissance en tant que femme."La réalisatrice se tiendra à cette ligne directrice. Alors ne vous attendez pas à
voir un film documentaire sur l’empowerment féminin des jeunes filles Burkinabées, comme pouvait le laisser présager cette superbe affiche flanquée du slogan :
"Aucun métiers ne devrait être interdit aux femmes". Si dans
Taxi sister, son premier court métrage de 28 minutes, la réalisatrice filme des Sénégalaises qui ont choisi de devenir chauffeure de taxi pour bousculer les normes dans un métier dominé par les hommes, il n'en est rien dans Ouaga Girls.
Mais c’est en montrant Taxi Sister aux étudiantes en mécanique que la réalisatrice parviendra à nouer avec elles, une relation de confiance et qu’elles accepteront d’être filmées. La caméra les suit à l’école, à l’extérieur aussi, dans les lieux de divertissements de la capitale comme dans le concert du célèbre Smockey. La cinéaste filme aussi, en plan serré, les séances avec la psychologue scolaire qui se déroulent dans l’enceinte de l’établissement et qu'elles coupe de manière abrupte, comme de peur de franchir une limite. On découvre alors les difficultés sociales de chacune d’elles (orpheline, grossesse précoce, exclusion scolaire), on comprend dès lors que toutes n’ont pas vraiment choisi d’être là.
Y a pas un métier qu’une femme ne peut pas faire, si elle le décide.Les jeunes filles apprentis mécano de Ouaga Girls
Mais elles ont conscience qu’elles doivent s’imposer dans ce milieu professionnel, celui de
"la jungle" comme le qualifiera, dans une séquence intense, l’une des premières femmes du Burkina Faso à gérer un garage. Face au scepticisme d’un garçon qui leurs demande :
"comment se fait-il que des filles font de la mécanique ?" La réponse est lapidaire :
"Y a pas un métier qu’une femme ne peut pas faire, si elle le décide". Vrai. Mais en 2015, année où la réalisatrice a tourné ce film, le pays traverse aussi une délicate phase de transition.
Un gouvernement provisoire assure l’intérim après la chute de l’ex président Blaise Compaoré. Dans la chaleur du foyer des apprentis mécano, les journaux télévisés tournent en boucle, les chiffres du chômage donnent le tournis : 51 % des jeunes de 15 à 29 ans sont sans emploi. Dans les rues de Ouagadougou, la caméra se pose sur les visages des candidats à la course à la présidentielle.
"Même si les jeunes filles ne sont pas politisées, souligne la réalisatrice.
Je voulais montrer que la situation politique a un impact sur le destin de cette jeunesse."Futilité et gravité
Pour elles, il y a l’espoir d’un avenir meilleur entre les quatre murs de l’école de mécanique où l’esprit de Thomas Sankara, le mythique chef d'Etat révolutionnaire du pays, respire encore. Il y a des leçons de maths et de français qui servent aussi de cours de sensibilisation au contrôle des naissances, à la sexualité, et bien sûr, les apprentissages de mécanique. Sous le chassis ou en train de poncer une voiture délabrée, les bleus de travail laissent s’échapper les ballerines scintillantes des jeunes filles. Dès que les professeurs ont le dos tourné, elles surfent sur leur portable, se tressent les cheveux et parlent d’amour, en langue française à la demande de la réalisatrice mais aussi en moré qui semble s'imposer plus naturellement, entre coups de blues et rires aux éclats.
L’une rêve d’être chanteuse, tant pis si elle chante faux, Bintou peine à finir son année scolaire, et Chantale cherche à faire un stage en tôlerie pour trouver un travail rapidement. C’est cette vie faite d’énergie et de désinvolture, de futilité et de gravité que filme Theresa Traoré Dahlberg avec une profonde sensibilité et sincérité. Avec ces portraits authentiques, le film prend une indéniable dimension universelle. Certains pourront lui reprocher les longs plans de coupe sur la ville de Ouagadougou, d’autres apprécieront ce goût que la réalisatrice cultive pour le
"slow movie" ou le cinéma contemplatif.
Le film est projeté dans plusieurs villes de France, notament en banlieue parisienne dans le cadre du 40 ème
festival international de film de femmes de
Créteil (FIFF), qui se déroule du 9 au 18 mars 2018. Terriennes est à la fois partenaire et membre du jury de cet événement cinématographique.
Ouaga girls a déjà obtenu plusieurs récompenses. Entre temps,
"la moitié de la classe a trouvé un travail dans un garage, les autres filles ont mis leur vie professionnelle en suspens le temps de s’occuper de leurs nouveaux-nés, seule Bintou a choisi de se convertir dans la coiffure", nous confie la réalisatrice qui travaille déjà sur un nouveau court-métrage. La parole féminine sera à nouveau au centre de son prochain film, cette fois elle braque sa caméra sur la femme de l’ambassadeur français au Burkina Faso.
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